« Nous sommes les seuls à les attendre » : après la prison, accompagner les ex-détenus aux troubles psys
À la sortie de prison, deux hommes sur trois ont des troubles psychiatriques ou addictifs, alerte une mission d’évaluation de l’Assemblée nationale qui présentait ses résultats jeudi 10 juillet. À Nantes, le CHU a mis en place une équipe mobile pour les accompagner.
À la sortie de prison, des premiers jours décisifs : deux hommes sur trois ont des troubles psychiatriques ou addictifs.. À Nantes, le CHU a mis en place une équipe mobile pour les accompagner. @LaCroix pic.twitter.com/NNW8G5cYT2
— framafad paca corse (@WaechterJp) July 12, 2025
Florence Pagneux, correspondante à Nantes (Loire-Atlantique)
Ce matin-là, Monsieur R. est à l’heure à son rendez-vous. Sorti de prison en novembre dernier, sans logement ni proche pour l’accueillir, cet homme de 55 ans, au visage marqué mais souriant, a dormi plusieurs mois dans une cage d’escalier, dans le quartier du Sillon de Bretagne, à Saint-Herblain (Loire-Atlantique). Mais depuis mai dernier, sa situation s’améliore : il vit dans un logement social situé au-dessus de son ancien abri, au 14e étage d’une barre d’immeuble. L’équipe mobile transitionnelle (Emot) prend de ses nouvelles chaque semaine et le rencontre très régulièrement : chez lui, dans son quartier, ou via une association partenaire.
« Nous n’avons pas de bureau fixe et allons là où les gens se trouvent », explique Caroline de Charette, psychiatre de l’Emot, qui travaille depuis dix ans dans l’univers carcéral et croise de plus en plus de détenus qui auraient davantage leur place à l’hôpital psychiatrique qu’en prison. Lancée par le CHU de Nantes en octobre dernier, cette expérimentation, financée pour trois ans par l’Agence régionale de santé, est calquée sur une initiative née en 2020 à Lille. Ses objectifs ? Prévenir les ruptures de soins, fluidifier le relais avec les associations ou structures d’hébergement et lutter contre la précarisation et la stigmatisation qui accompagnent la sortie de prison.
Cette équipe de six personnes aux compétences variées (psychiatre, infirmier, assistants sociaux, éducatrice spécialisée, secrétaire) suit en ce moment une vingtaine de sortants de prison. Surtout des hommes de 35-40 ans, souffrant de troubles psychotiques, de la personnalité ou de l’adaptation, le plus souvent en proie à de lourdes addictions (alcool, drogues…). Pour ces personnes qui cumulent les vulnérabilités, les quinze jours qui suivent la libération représentent une période particulièrement délicate : leur risque de mortalité (par suicide ou overdose notamment) est multiplié par 15… « Ce qui les caractérise, c’est leur immense solitude, souligne Caroline de Charette, qui les rencontre en détention pour leur présenter cet accompagnement post-carcéral durant environ six mois. Nous sommes très souvent les seuls à les attendre à leur sortie de prison. Sans nous, ils repartent avec un bout de papier indiquant l’adresse d’une association et ne s’y rendent pas… » Faute de liens humains, ces personnes replongent dans leurs addictions, décompensent, finissent aux urgences ou retournent en prison. « On appelle cela le syndrome de la porte tournante », résume-t-elle.
Ces allers-retours entre le monde extérieur et la prison, ponctués de séjours en hôpital psychiatrique, Monsieur R. connaît bien. « Depuis ma première incarcération, en 1993, j’ai cumulé une quinzaine d’années de prison, calcule-t-il. Je n’en suis pas fier, mais avec l’âge, je commence à prendre du recul et à me dire que je ne veux plus recommencer. » Le plus délétère, pour cet homme capable de grandes éruptions de violence, contre lui-même ou les autres : mélanger alcool et anxiolytiques. « Dans ces moments-là, c’est grave, je deviens une autre personne… »
L’équipe les aide aussi à reprendre leurs repères, brouillés par la détention. « Je pense à un détenu de 45 ans sorti d’une longue peine pour meurtre, raconte Juliette Paquereau, assistante sociale à l’Emot. Il ne savait pas comment fonctionnait un smartphone. Aujourd’hui, il travaille. » Faire des démarches administratives, trouver un logement, un médecin… Toutes ces étapes sont particulièrement difficiles.
« Le plus compliqué, c’est avec les étrangers, poursuit-elle. Quand ils ne sont pas interpellés par la police aux frontières dès leur sortie de prison, ce qui est de plus en plus fréquent, ils n’ont plus droit à rien alors qu’ils vont très mal. » Après huit mois de fonctionnement, seules deux personnes sur les 29 suivies par l’Emot sont retournées en prison. Monsieur R. reconnaît que ce suivi très étroit porte ses fruits. « Hier, j’aurais pu m’acheter de l’alcool mais je ne l’ai pas fait, confie-t-il. J’en suis le premier étonné, mais là, en ce moment, je me sens bien… »