REPORTAGE Derrière les murs des prisons, de nombreux détenus travaillent, apprennent un métier… Un modèle vertueux que la Place Vendôme aimerait développer davantage.
Dans les coulisses du travail en prison
— framafad paca corse (@WaechterJp) July 1, 2025
Derrière les murs des prisons, de nombreux détenus travaillent, apprennent un métier… Un modèle vertueux que la Place Vendôme aimerait développer davantage @leJDD pic.twitter.com/8HqL0OS2OT
- LARA TCHEKOV Envoyée spéciale Fleury-Mérogis (France)
Isolée du monde, la prison n’en reste pas moins une micro-société bien organisée. Alors que le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, vient de lancer les états généraux de l’insertion et de la probation (Egip), le JDD s’est rendu dans le plus grand établissement pénitentiaire de l’Union européenne : la prison de Fleury-Mérogis.
Première escale à la maison d’arrêt des hommes. Dès leur arrivée, les détenus passent entre les mains du personnel pénitentiaire, qui évalue leur niveau scolaire et leur maîtrise du français. Les plus fragiles reprennent les bases au centre scolaire, une étape obligatoire pour les mineurs et vivement conseillée aux majeurs. Une fois incarcérés, des détenus peuvent être employés pour des tâches liées à la vie de l’établissement : buanderie, cuisine, ménage, gestion de la bibliothèque, entretien des jardins. On les appelle les « auxi » (auxilliaires). Mais d’autres vont plus loin et transforment leur peine en tremplin, en apprenant un métier pour préparer « l’après ». Le CAP électricité figure parmi les formations proposées, ouvrant droit à un diplôme officiel. Dans une grande salle du bâtiment D4, douze détenus s’apprêtent à passer leur examen, après avoir suivi une formation intensive de 450 heures entamée quatre mois plus tôt. Parmi les compétences acquises : brancher une prise, installer un interrupteur ou encore raccorder un tableau électrique. Assez de savoir-faire pour équiper un studio en courant !
En retrait, Samy, 26 ans, répète les gestes une dernière fois. « La pression monte mais je me sens prêt. Même en prison, j’ai la possibilité d’apprendre, j’ai conscience de cette chance. » Ses journées sont bien réglées : réveil à 6 h 30, sortie des poubelles à 7 heures, puis formation de 7 h 30 à 13 h 30. L’après-midi s’organise autour de la marche et du sport. « On essaie de s’entretenir au mieux », glisse le jeune homme. Pour beaucoup, se lever tôt relève déjà d’une petite révolution. Ce qui motive leurs efforts, c’est surtout l’envie de rendre Hamza, leur formateur, fier. Pour lui, éduquer est avant tout une aventure humaine : « Sous le bleu de travail, j’essaie de sentir l’homme. Après quelques semaines d’apprentissage, le changement est saisissant : en mettant la main à l’ouvrage, ils découvrent une force qu’ils ne soupçonnaient pas. Le temps file plus vite, ils en oublieraient presque la détention. »
Sur les murs de la pièce, des dessins réalisés par les détenus rendent hommage à Samuel Paty. Une initiative d’Hamza, qui a pris le temps de raconter l’histoire du professeur assassiné. « L’année de l’hommage national, je tenais à leur en parler. Au début, beaucoup étaient méfiants, se souvient-il. Je leur ai expliqué : Samuel Paty enseignait à nos enfants. Ce matin-là, il n’a même pas pu sortir de chez lui. Ils m’ont répondu : “D’accord, on y va.” Ce geste-là, pour moi, compte énormément. »
Dans la même aile du bâtiment, Fleury-Mérogis propose aussi aux détenus une formation en mécanique, dispensée dans ce qui ressemble à un vrai garage. Pendant quatre mois, ils s’initient : géométrie des roues, courroies de distribution, pneumatiques, climatisation… Sur des véhicules-écoles, ils démontent, réparent, remontent. « Le plus dur, c’est de les faire se lever le matin. Beaucoup ont perdu le rythme du travail », murmure l’instructeur de l’atelier mécanique. Mais une fois les moteurs ouverts, l’enthousiasme revient. Pour ceux qui s’investissent, la récompense est aussi financière : entre 200 et 250 euros par mois, à condition d’être assidu. Et les débouchés ne manquent pas : concessionnaires et enseignes comme Midas ou Norauto s’intéressent à ces profils formés derrière les barreaux.
À quelques mètres de là, derrière une autre porte métallique, on change de décor. Dans une salle plutôt claire, les machines à coudre ont remplacé les moteurs. Nous entrons dans l’un des ateliers les plus demandés : la confection de vêtements sur mesure. Les détenus y apprennent à fabriquer un vêtement de A à Z, à réaliser des retouches, à manier tissus et patrons. À la clé : l’obtention d’un certificat de compétence professionnelle. Sur des machines étonnamment modernes – piqueuses plates, surfileuses, thermocolleuses, fers à repasser –, les détenus, concentrés, enchaînent les gestes techniques pour donner vie à leurs vêtements. À l’entrée de l’atelier, un portant expose leurs créations : chemises bien coupées, pantalons ajustés, vestes impeccablement taillées. Joachim, 28 ans, en est fier : « La couture m’aide à me canaliser. Elle m’a appris la rigueur et la concentration. » Un lien intime le lie à cet univers : « Quand j’étais petit, ma mère et ma grand-mère cousaient. Ça me rappelle ces moments-là. »
Au-delà des formations, le travail en détention s’impose comme un levier concret de réinsertion qui réduit les risques de récidive et permet en parallèle d’indemniser les victimes. Le ministère de la Justice mène à ce titre une politique volontariste, avec un objectif : atteindre 50 % de détenus actifs et rémunérés d’ici à 2027. Pour y parvenir, un réseau de dix référents, responsables des relations aux entreprises, a été déployé. Leur mission : promouvoir le travail pénitentiaire et convaincre de nouvelles sociétés d’implanter leur activité en prison. L’argument est économique, avec une rémunération fixée à environ 45 % du Smic. D’autant qu’avant d’enfiler leur bleu de travail, les prisonniers suivent une procédure de recrutement calquée sur celle du monde extérieur. La première étape consiste à obtenir l’autorisation du chef d’établissement pour exercer une activité. Puis les candidatures sont étudiées et les profils sélectionnés.
Un peu plus loin, dans un hangar immense, un formateur aguerri, fort de 33 années d’expérience, accueille le JDD, accompagné de son fils en passe d’assurer la relève. À l’intérieur, silence et concentration : les détenus plient, collent, assemblent des cartons. En bout de chaîne, des présentoirs destinés aux rayons de pharmacies ou aux comptoirs de supermarchés. Certaines tâches relèvent de la manutention classique ; d’autres, plus techniques, impliquent la fabrication de volets et de stores, assemblés pièce par pièce avant leur expédition chez le client.
Les détenus commencent généralement par un CDD d’un mois. En cas d’essai concluant, un CDI suit… jusqu’à la fin de leur peine. Éric les accompagne et les encourage. Beaucoup veulent lui prouver qu’il n’est pas trop tard pour changer. Nahel, 40 ans, y croit fermement : « Dehors, la paresse nous rattrape. Or ici, on n’a pas d’alternative. Le travail impose des règles, une structure. Je compte bien continuer en sortant d’ici. Surtout pour savourer mes week-ends ! » Mais le quotidien reste rude et tout n’est pas si simple. « En prison, c’est chacun pour sa peau, poursuit le quadragénaire. Nous venons tous d’horizons différents et chacun débarque avec son histoire, sa langue, son milieu. Et parfois, la communication ne suit pas. » Un frein à la réinsertion ? Peut-être. Mais c’est un autre débat.
« Dehors, la paresse nous rattrape. Ici, pas d’alternative »
Le JDD, le 29 juin 2025