Mauvais dispositif pour “mauvaises graines”


Centres éducatifs fermés

À chaque affaire médiatique mettant en cause des délinquants mineurs – et les affrontements entre bandes n’y échappent pas – revient dans le débat la solution miracle: les centres éducatifs fermés. Un système chéri des politiques depuis près de vingt ans, mais qui, dans la réalité, pèche sur bien des plans. Explications.


C’est un paradoxe, somme toute, très français. Depuis leur création en 2002 par la loi Perben I, les centres éducatifs fermés (CEF), vendus à l’opinion publique comme une alternative à l’incarcération des mineurs délinquants âgés de 13 à 18 ans, se retrouvent régulièrement sous le feu des critiques. Pourtant, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de les renforcer au fil des ans. De 32 en 2003, le nombre de mineurs placés en CEF atteint 466 en 2017. Selon la loi de programmation de la justice 2018-2022, 20 nouveaux centres devraient s’ajouter à la cinquantaine déjà existants. Mais le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, tient mordicus à présenter ces CEF comme des « établissements scolaires ». La preuve à l’occasion d’une visite dans l’une de ces structures, il déclamait devant la presse, paraphrasant Victor Hugo : « J’ai toujours pensé qu’il valait mieux construire une école qu’une prison. »

“Mesure fictive”

Pourtant, dans un rapport sur les « droits fondamentaux des mineurs enfermés », publié mercredi 3 mars, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté met en cause cette « création de 20 CEF supplémentaires [qui] paraît peu justifiée en regard des données statistiques sur la délinquance des mineurs et de l’absence d’évaluation sérieuse du dispositif, et ce, malgré le constat de nombreuses difficultés et carences de ces structures ». Ce que confirment de nombreuses remontées du terrain. « En tant que magistrat de permanence, face à un mineur déféré, on se retrouve très souvent à opter pour le CEF faute d’offre de placement de substitution. Même si on sait que ce sera une mesure fictive », déplore Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature et juge pour enfants à Paris. Destinées à accueillir des mineurs dans le cadre d’une mesure de contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’un aménagement de peine, ces structures de petite taille se voient confier un maximum de 12 jeunes, chacun pour une période de six mois, renouvelable une fois. Sur le papier, les CEF se distinguent par « un niveau d’encadrement élevé », notaient les députés Jean Terlier et Cécile Untermaier dans un rapport sur la justice des mineurs en 2019 : « Dans chaque centre, 26,5 équivalents temps plein sont chargés de l’encadrement des mineurs auxquels peuvent se joindre un enseignant mis à disposition par l’Éducation nationale et des personnels de santé. » Ce qui en fait le « dispositif le plus onéreux » de la protection judiciaire de la jeunesse « avec un coût moyen d’une journée d’hébergement […] à 690 € en 2018 », poursuivaient-ils. En comparaison, le coût d’une journée en centre éducatif renforcé (CER) revenait à 543 € en 2018, à 561 € pour une unité éducative d’hébergement collectif (UEHC) et… à 13€ pour une journée en milieu ouvert, cette mesure n’impliquant évidemment aucun hébergement.


Manque de formation

Un investissement financier important qui pourrait laisser penser que les projets pédagogiques et éducatifs qui y sont mis en œuvre seraient d’une grande efficacité. Sauf que, sur le plan humain, et notamment dans le domaine pénal, arithmétique et réalité de terrain ne font pas forcément bon ménage. « Par rapport aux mesures en milieu ouvert ou même en CER, l’aspect éducatif des CEF est très souvent absent. C’est dramatique ! Les CEF, c’est plus de la garderie façon carcérale qu’autre chose », estime Lucille Rouet. Un constat partagé par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui explique, dans son rapport, que «les enfants placés en CEF bénéficient souvent de moins de cinq heures de cours hebdomadaires effectifs ».

Autre problème, le manque de formation des personnels encadrants, comme le pointe un récent avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la privation de liberté des mineurs : « Les CEF rencontrent de grandes difficultés avec leur personnel, qui comprend 80 % de contractuels. Les auditions conduites par la CNCDH ont […] fait ressortir un “turnover” du personnel très important, malgré l’obligation de rester dans le même CEF pendant deux ans. Le recrutement est difficile, car les situations de violence et les rapports de force quotidiens, bien connus, n’attirent pas le personnel éducatif, dont les attributions en CEF se rapprochent finalement de celles des surveillants d’établissements pénitentiaires sans que les intéressés en aient la formation. »

Un climat si difficile, notent les auteurs de l’avis, que même des intervenants bardés d’un « diplôme de coach sportif, notamment dans les sports de combat », démissionnent « rapidement ». Dans leur rapport, les deux députés rendent tout de même un hommage à « la qualité du travail » dans certains centres. Trois sur 52 très exactement… Et, par le passé, à plusieurs reprises, des CEF ont dû fermer leurs portes à cause de graves dysfonctionnements. En novembre 2013, Jean-Marie Delarue, alors Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dénonçait ainsi des « atteintes aux droits fondamentaux » dans plusieurs centres et faisait même usage d’une procédure d’urgence concernant deux d’entre eux.

Surtout, malgré leur ancienneté, il n’existe pas de véritable évaluation statistique de l’efficacité des CEF. Dans un rapport publié en 2018, un sénateur tombait ainsi des nues : « C’est non sans étonnement […] que votre rapporteur a appris que le ministère n’était pas en mesure de produire un suivi des trajectoires des jeunes ayant réalisé un séjour en CEF, afin d’en évaluer les conséquences sur leur parcours et notamment le taux de réitération [le fait de commettre une nouvelle infraction]. » La seule étude existante remonte à 2007. Menée entre 2003 et 2007, cette enquête sur la « réitération des mineurs placés en CEF » montrait que ce taux « s’élève à plus de 80 % pour des séjours inférieurs à quatre mois ; à peu près à 70 % entre quatre et sept mois de séjour ; à un peu plus de 55 % au-delà de sept mois de séjour ». Or, comme le notait le sénateur, « la durée moyenne des séjours s’est élevée en 2016 à 3,9 mois… »

Bruno Rieth

MARIANNE - N°1251 - 8 mars 2021

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