Sortie en salles du film UN TRIOMPHE


A la date du 1er septembre 2021 sort en salles le film UN TRIOMPHE, d'Emmanuel Courcol, avec Kad Merad, Marina Hands et Pierre Lottin. Un film inspiré d’une histoire vraie : celle de quatre détenus qui ont profité d’une représentation d’En attendant Godot, pour se faire la malle dans la Suède des années 80… Trente ans plus tard, les fugitifs racontent. Ci-dessous la critique du film faite par le magazine SOCIETY, le quotidien LA PROVENCE, le JDD, le HUFFPOST, la Marseillaise, le Figaro, Aujourd’hui en France, la Provence, Comment ça marche, Telerama, Paris Match, Valeurs Actuelles, la CROIX et RÉFORME.




Fin de partie


Le 28 avril 1986, tandis que le monde a les yeux braqués sur le nuage radioactif tout juste échappé du réacteur de la centrale de Tchernobyl, c’est un autre genre de fuite qui préoccupe le Suédois Jan Jönson. Dans les coulisses du théâtre de la ville de Göteborg, le metteur en scène a beau ouvrir chaque porte, faire relever les rideaux et tous les décors, rien n’y fait. La quasi-totalité de sa troupe – quatre comédiens sur cinq – s’est volatilisée. Voilà pourtant plus d’un an qu’ils enchaînent les répétitions en vue de la grande première qui doit avoir lieu ce soir. La salle et ses 600 fauteuils rouges affichent complet. On est venu voir jouer En attendant Godot, de Samuel Beckett. Mais, les yeux rivés sur sa montre, Jan Jönson doit bien finir par se rendre à l’évidence : “On était censés faire une répétition technique vers midi. Quand je me suis rendu compte qu’ils étaient partis, j’ai attendu deux ou trois heures, histoire de leur laisser une chance de revenir. Et puis, il a bien fallu que je donne l’alarme…” Si en un instant, un cortège de gyrophares converge vers le Stadsteatern, c’est en raison de la nature du casting. Tous les acteurs qui manquent à l’appel sont résidents du pénitencier de Kumla, l’un des trois établissements de haute sécurité de Suède, où sont parqués les criminels les plus dangereux de la Couronne. Des détenus condamnés à de longues peines, envoyés en tournée dans des théâtres ouverts à tous les vents… Qui a bien pu avoir l’idée d’un tel pousse-au-crime ?




Trente ans plus tard, avec sa crinière blonde, sa barbe de marin et sa verve infatigable, l’initiateur de l’opération ne se fait pas prier pour raconter “l’histoire qui a changé[s] a vie”. Acteur au Dramatern (l’équivalent de notre Comédie-Française), Jan Jönson est convié à l’hiver 1984 à interpréter un monologue au sein de la prison de Kumla. Alors proche de la quarantaine, c’est la première fois qu’il débarque dans ce vaste huis clos. “À la fin de la représentation, un détenu s’est approché en me tendant une rose. Il m’a regardé dans les yeux et m’a dit : ‘S’il vous plaît, venez nous enseigner l’art dramatique’”, narre Jönson. À une fleur près, le prisonnier en question, Zoran Lovrencic, confirme la scène. Cela fait alors trois ans qu’il croupit entre les murs de béton froid du pénitencier, et tout ce qui peut “injecter de la vie” est bon à prendre. Même sentiment pour son compagnon de galère Francisco Cabrerizo, un Espagnol tombé pour trafic de haschich et condamné à six ans d’incarcération. “Ce qui te tue là-bas, c’est la routine, remet ce dernier. Quand on a demandé à Jan s’il pouvait nous donner des cours de théâtre, on a utilisé l’argument des droits de l’homme auprès de l’administration. Finalement, on n’a pas eu besoin de beaucoup pousser pour obtenir leur permission.” Toujours citée pour l’exemplarité de son système carcéral, la Suède privilégie depuis longtemps la réinsertion par le travail, avec beaucoup d’activités dans des établissements bien moins surchargés que les nôtres. Le modèle scandinave est une force tranquille : le nombre de prisonniers est deux fois moindre qu’en France et son taux de récidive est l’un des plus bas d’Europe. En plus de ce terreau favorable, l’établissement de Kumla cultive sa singularité. Son directeur, Lennart Wilson, à l’époque proche de la retraite et aujourd’hui décédé, ne coche pas vraiment les cases que l’on attend d’un homme de sa position.

“Ce n’était pas quelqu’un de dur. Plutôt un doux dingue qui aurait aimé être crooner et chanter du Sinatra”, explique Francisco Cabrerizo. Dans le documentaire Prisonniers de Beckett, de la réalisatrice Michka Saäl, tourné en 2005, l’ancien maton s’explique sur cette foi soudaine dans la réinsertion par le théâtre : “Faire du théâtre à Kumla, c’était comme ouvrir les grilles toutes grandes.” Grâce au tandem Jönson-Wilson, Kumla possède donc la première troupe de théâtre de son histoire. “C’était beaucoup plus intéressant que de plier des cartons ou ce genre de boulot qu’on nous faisait faire jusque-là, précise Cabrerizo. Et puis, Jan était cool. Il arrivait même à nous faire rentrer un peu de whisky de temps à autre.” Les répétitions auront lieu à raison de deux heures hebdomadaires.

“J’ai dit aux spectateurs : ‘Désolé, les acteurs se sont évadés’, ils ont éclaté de rire. Je n’ai jamais reçu autant d’applaudissements de toute ma vie.”

Jan Jönson, metteur en scène.

Beckett et la cocaïne

Il faut désormais trouver la pièce qui plaira aux détenus comme au public. Grand admirateur de Beckett, Jan Jönson a l’idée de proposer aux prisonniers une histoire absurde, celle d’hommes condamnés à guetter l’hypothétique arrivée d’un personnage mystérieux dont ils espèrent qu’il donnera, enfin, un sens à leur attente. Avec son ironie mordante, En attendant Godot séduit rapidement les néo-comédiens : “Attendre, c’est tout ce qu’on fait en prison. Attendre que quelqu’un vous ouvre la porte pour aller en promenade, qu’on vous serve à manger, qu’on vous rende votre liberté… Ça collait parfaitement”, se rappelle Francisco Cabrerizo, à l’époque tout jeune trentenaire et papa d’une petite fille. Pour Zoran Lovrencic, l’écho du théâtre de Beckett est plus intime encore. Débarqué de Yougoslavie quand il avait 2 ans, il s’est toujours senti comme un déraciné en Suède.

Adolescent, il se cherche et explore la poésie, la danse et la photographie. Il a 20 ans quand il rejoint un ami en Colombie pour faire quelques photos. Là-bas, il fait aussi la rencontre de la cocaïne, et l’idée d’en rapporter un kilo dans ses bagages pour se faire “un peu d’argent facilement” lui vient… Mais on ne devient pas narco en un jour. Sans réseau et dépourvu de plan pour tromper la douane, Lovrencic se fait attraper dès son arrivée sur le sol suédois. Le progressisme du pays s’arrête aux stupéfiants. En application d’une politique pénale de tolérance zéro sur les drogues, il écope de huit ans d’incarcération, sans trop comprendre ce qui lui arrive. Pour lui, la découverte du théâtre de Beckett sera un électrochoc : “Ce texte, c’était comme un coup de poing dans l’estomac. Je me retrouvais dans la solitude des personnages et surtout dans l’espoir d’un but qui viendrait de l’extérieur. Mais ce que j’ai compris de l’existence avec cette pièce – et c’est une pensée plutôt effrayante –, c’est qu’on nous donne simplement un corps. Tout le reste, la raison d’avancer, le sens de la vie, c’est à nous de le trouver.”Passionnés par leur nouvelle activité, les deux amis détenus se plongent dans les dialogues, en anglais, et décrochent logiquement les rôles d’Estragon et Vladimir, les personnages principaux. Le reste de la distribution se compose de trois autres détenus, respectivement russe, hondurien et chinois. Au bout de quelques mois, Jan Jönson fixe une première représentation : “Je leur ai fait jouer le premier acte dans le gymnase de la prison devant 300 personnes. Il y avait des membres de leurs familles, des journalistes, des gens de l’administration pénitentiaire, des professionnels du théâtre.”

Dans le préau, les chaises du public sont à touche-touche. Affublés de chapeaux melons et de grands manteaux portés à même la peau, les acteurs déambulent sur une estrade, devant une toile noire tendue et un arbrisseau étique pour seul décor. Pour la journaliste Betty Skawonius, la première à avoir couvert l’affaire pour le compte du Dagens Nyheter, la soirée est un évènement : “On avait déjà vu des compagnies venir en prison pour faire des ateliers de théâtre avant Jan Jönson. Mais lui y est allé tout seul, avec sa fougue et surtout avec un texte incroyablement exigeant et complexe. C’est ça qui était exceptionnel.” Sur la qualité de la prestation, les avis divergent. Le metteur en scène loue abondamment le jeu “juste, basé sur leur expérience du réel” de ses interprètes. Francisco Cabrerizo, lui, se rappelle qu’ils étaient “nazes”. Peu importe. Dans la salle, les applaudissements font trembler les murs de Kumla et Zoran Lovrencic se sent un peu plus vivant : “D’un coup, j’étais vu et reconnu par les autres. C’était quelque chose que j’attendais depuis très longtemps, avoir l’impression que mon existence sur cette planète était désirée.” Sous les pieds des acteurs, le plancher commence tout juste à brûler…

Dans la salle ce soir-là, une bonne fée va propulser la carrière de la troupe. “Ils n’étaient pas doués que pour le crime. […] Je m’attendais à un spectacle d’amateurs, mais j’ai vu quelque chose d’incroyable. Ils m’ont profondément émue”, s’enthousiasme alors Marianne Hakansson, la responsable des services correctionnels dans la région (aujourd'hui décédée). Grâce à son soutien, Jan Jönson échafaude un plan : une tournée triomphale, en extérieur, dans les théâtres les plus importants du pays. À force de négociations, le metteur en scène obtient de l’administration une permission de sortie pour deux dates. Ce sera Göteborg et Malmö, respectivement les deuxième et troisième plus importantes villes de Suède. Au printemps 1985, les cinq prisonniers prennent la route dans un van Chevrolet bleu avec une escouade de sécurité ultralégère : deux gardes et Lennart Wilson, le directeur, en réalité plus chauffeur et machiniste de la bande qu’autre chose. Portant des vêtements civils pour la première fois depuis des années, déambulant dans les rues de Göteborg avec leur compagne au bras, les prisonniers de Kumla goûtent à une étrange semi-liberté : “On était là à se promener sans réel contrôle… C’était absurde ! D’autant qu’en Suède, si tu es étranger et condamné, tu te retrouves expulsé du territoire après ta peine. Moi, je suis résident permanent, mais tous les autres étaient dans cette situation. Et pourtant, ils allaient devoir rentrer de leur plein gré en cellule, être considérés à nouveau comme des gens dangereux… On se demandait vraiment ce qu’on foutait là”, résume Zoran Lovrencic. Passées les deux représentations, lui et ses camarades retournent dans leur geôle avec pas mal d’espoir en tête. Ils croient être devenus les ambassadeurs d’un système carcéral humain, qui prône la réhabilitation par l’art et la responsabilisation de ses détenus. De fait, Cabrerizo et Lovrencic obtiennent leur transfert dans une prison de moindre sécurité, mais pour le reste, l’administration leur fait vite comprendre que la fête est finie : aucune remise de peine, pas d’aménagement supplémentaire de leurs conditions de détention. Et pour l’Espagnol, ce sera l’expulsion au bout du tunnel : “On nous permettait d’aller dehors, de faire nos petits tours de singes savants… Mais quand on demandait quelque chose pour nous, en tant que personnes, pour nos familles, on nous le refusait. On s’est dit : ‘OK, si c’est comme ça, on va se barrer !’”

“J’étais complètement parano !”

Au même moment, Jan Jönson, Lennart Wilson et les responsables des services correctionnels, grisés par leur succès, veulent accélérer la cadence. Le metteur en scène suédois a rencontré quelques semaines plus tôt à Paris Samuel Beckett, son maître. Touché par le projet, ce dernier lui a donné l’autorisation de jouer l’ensemble de l’œuvre sans en payer les droits d’auteur. De nouvelles représentations et une nouvelle tournée sont prévues. Pour les détenus, qui doivent encore s’approprier le deuxième acte, il faut donc mettre les bouchées doubles. Ils répètent plusieurs fois par semaine pendant près d’une année, sans éveiller les soupçons sur leurs intentions réelles. “C’était une trahison et on se sentait mal vis-à-vis de Jan, qu’on considérait comme l’un des nôtres, admet Francisco. On jouait la comédie à l’intérieur d’une comédie.” Aucun regret cependant, même 30 ans plus tard : “Trouver le moyen de s’échapper, c’est le devoir de tout prisonnier.” Et ceux de notre histoire sont désormais sûrs de leur coup: ils frapperont dès la première date de la tournée, à Göteborg. “C’était le plus simple parce que c’est tout proche de la frontière”, explique Zoran Lovrencic. Tant pis pour le grand final prévu à Stockholm, sa ville de jeunesse : “J’avais très envie de jouer au théâtre Orion, qui est un peu le temple de l’avant-garde. J’ai tenté de convaincre Jan d’intervertir les dates, mais il n’en démordait pas ; il fallait terminer par la plus belle scène.”

“On nous permettait d’aller dehors, de faire nos petits tours de singes savants… Mais quand on demandait quelque chose pour nous, on nous le refusait. Alors on s’est dit : ‘OK, si c’est comme ça, on va se barrer !’”

Francisco Cabrerizo, l’un des évadés.

Ce 28 avril 1986, l’équipe se retrouve donc en milieu de matinée au Stadsteatern de Göteborg. Avant de monter sur scène, tous doivent participer à une conférence de presse, qui sera suivie d’un brunch copieux. C’est là que tout se décide. “À l’origine, on avait prévu de s’enfuir en début d’après-midi… Mais alors que je suis aux toilettes, Micha, notre ami russe, tape à la porte et me dit : ‘C’est maintenant !’ raconte Lovrencic. Le temps que je remonte mon pantalon, ils étaient déjà tous partis. J’étais complètement paniqué, alors je suis allé au plus simple… Je suis parti par là où j’étais entré, par la porte réservée au personnel.” À la sortie, aucun uniforme. Zoran s’enfuit avec le vélo que sa petite amie de l’époque a laissé à son intention quelques heures plus tôt, juste devant le théâtre. “Je suis allé à la gare prendre un train pour Malmö. J’étais complètement parano, persuadé qu’on me suivait, mais tout le monde s’en fichait !” Pour Francisco Cabrerizo, c’est un départ en voiture avec chauffeur : “Je suis sorti par une issue de secours. C’était un peu Alice au pays des merveilles, comme si j’entrais dans un monde magique. Mon beau-père était garé 200 mètres plus loin et on a pris la route vers l’aéroport. J’ai pris un vol pour Copenhague avec ma femme, ma fille et un faux passeport.” Seul détenu sur les cinq à ne pas avoir pris la fuite, le Hondurien Rafaele, tout proche de la fin de sa peine, est furieux. “Il craignait d’avoir des ennuis par la faute des autres”, se rappelle Jan Jönson. Mais l’administration passera rapidement l’éponge, sans doute embarrassée et pressée de tirer le rideau sur toute l’expérience Godot. Le metteur en scène assure pour sa part ne pas avoir ressenti la moindre colère à l’encontre des fuyards: “J’avais surtout peur pour eux, qu’il leur arrive quelque chose de grave.”

En attendant, le spectacle, du moins ce qu’il en reste, doit continuer. Après quelques heures de discussion avec les forces de l’ordre venues à la rescousse, le dramaturge obtient de monter sur scène. Objectif: clarifier la situation. Dans le public, on commence à s’impatienter. “Je suis allé au centre de la scène et j’ai commencé à raconter comment tout ça avait commencé. Nos répétitions, ma rencontre avec Beckett… Et puis d’un coup, je leur ai dit qu’ils ne verraient pas la pièce parce que quelque chose était arrivé. ‘Désolé, les acteurs se sont évadés !’ Les gens ont éclaté de rire, certains se sont levés, sous le choc, et je n’ai jamais reçu autant d’applaudissements de toute ma vie.” Selon lui, quelques jours plus tard, Beckett lui-même aurait approuvé l’improbable scénario : “Quand je lui ai annoncé qu’ils s’étaient tous enfuis, il a rigolé et il m’a dit que c’était la meilleure chose qui pouvait arriver à sa pièce.” Pour Francisco Cabrerizo, l’histoire finira bien aussi. Après avoir rejoint l’île de Majorque, il grimpera les échelons dans le monde de l’hôtellerie. Pour Zoran Lovrencic, en revanche, la cavale sera plus éprouvante. Aujourd’hui professeur de yoga et fan de philosophie orientale, il préfère passer rapidement sur ses galères : “Je n’étais tout simplement pas taillé pour cette vie.” Il tiendra deux ans, aux Pays-Bas, en France et en Espagne, avant de se rendre aux autorités. À son retour en Suède, Jan Jönson est là, mais aussi une foule de policiers qui l’embarque pour terminer sa peine.

De ses aventures carcérales, Jan Jönson, lui, a tiré le spectacle Moments of Reality, un seul-en-scène où il vibrionne inlassablement sur les planches, surplombé par un portrait de Beckett et une photo de son duo d’acteurs, Zoran et Francisco. Difficile de trouver meilleure histoire pour un metteur en scène. Au fil des mois, par le bouche-à-oreille, l’évasion de Godot a fait le tour du monde : “Le San Francisco Chronicle a consacré un article à l’affaire. Et quelques jours plus tard, j’ai reçu un coup de fil du directeur de la prison de San Quentin me demandant de venir le voir”, jubile encore le Suédois. Deux ans seulement après sa première déconvenue, Jönson remettait le couvert dans cette prison de haute sécurité, à l’américaine : “Quand je suis arrivé dans son bureau, le directeur m’a donné 24 mois pour faire exactement la même chose qu’à Kumla. Mais il m’a mis en garde : ‘Souviens-toi de ne jamais me demander une permission pour aller jouer ta pièce dehors.’”

Paul Sanfourche




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Society N°163 - septembre 2021


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"Un Triomphe", fiction carcérale sur fond d’histoires vraies




Emmanuel Courcol, le réalisateur, et l’acteur arlésien David Ayala étaient à Arles cet été

Nicolas PUIG

Ce film est inspiré d’une histoire vraie, qui s’est déroulée en Suède il y a quelques années : Jan Jönson, comédien, a monté en 1985 la pièce En attendant Godot, de Samuel Beckett, avec les détenus d’une prison de haute sécurité. La pièce a rencontré un immense succès, jusqu’à la dernière représentation, qui a réservé au public une surprise à laquelle le metteur en scène non plus ne s’attendait pas. Pour connaître cette surprise, il faudra aller voir le film d’Emmanuel Courcol, qui sortira le 1er septembre en salle.

Un Triomphe reprend la trame de l’histoire de Jan Jönson en la replaçant dans l’univers carcéral français d’aujour-

"Quand on est en prison, même si on sait qu’on va rentrer le soir, c’est très étrange."

d’hui, avec Kad Mérad dans le rôle de l’acteur à l’origine de ce projet théâtral. Et il a fallu du temps au réalisateur pour concrétiser ce projet, qui lui a été présenté il y a plusieurs années. "Mon producteur m’avait donné le documentaire sur Jan Jönson, il voulait voir ce que je pouvais en faire comme scénariste, rappelait Emmanuel Courcol cet été à Arles, à l’occasion des Rencontres cinématographiques lors desquelles son film a été diffusé en avant-première. Il fallait penser ce projet en le faisant. Il a été mis en sommeil, puis j’ai décidé de m’y mettre." Mais pas en tant que scénariste : en tant que réalisateur.

Si la démarche rappelle celle des frères Taviani, auteurs de César doit mourir en 2012, tourné dans la prison de Rebibbia, dans lequel les détenus, montant la pièce Jules César de Shakespeare, jouaient leur propre rôle, Emmanuel Courcol a choisi une démarche "très différente. Je ne fais pas un docu-fiction, je transpose l’histoire en fiction dans les prisons françaises d’aujourd’hui. Avec le parti pris d’adopter le point de vue du metteur en scène. Je voulais un personnage un peu romanesque, qui ne vient pas en prison par vocation mais parce qu’il y trouve un intérêt." C’est là que se niche la fiction, dans la construction des personnages, de leur psychologie, de leurs histoires personnelles et de leurs motivations.

Un film primé

Le film a été tourné dans la prison de Meaux-Chauconin, en huit jours. Emmanuel Courcol y avait déjà tourné un documentaire, et bénéficiait d’un a priori favorable de l’administration et de la direction. Les détenus, l’équipe ne les a vus que de loin. Mais David Ayala, acteur arlésien qui endosse dans Un Triomphe le rôle de Patrick (et lui aussi présent cet été dans sa ville à l’occasion des Rencontres cinématographiques), rapporte : "C’était très impressionnant. Quand on est enfermé là-dedans, même si on sait qu’on va rentrer chez nous le soir, c’est très étrange."

Sorti en 2020, le film a été applaudi et primé à Angoulême. Il a aussi fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes. "Depuis le début, c’est une sorte de rêve, même si c’était difficile parfois, sourit l’acteur. On est ultra-surpris. Il n’est même pas encore sorti et il a déjà eu beaucoup de reconnaissance. »


Une expérience déjà menée ici

# Arles

AU-DELÀ DE LA FICTION




Une histoire similaire s’est déroulée à la prison d’Arles, à partir de 2015. Et elle a porté ses fruits. "Un détenu des Baumettes (Marseille) avait été transféré à la maison centrale d’Arles, relate l’ancienne directrice, Christine Charbonnier. Il a proposé de monter une pièce qu’il avait écrite, avec d’autres détenus." Ils ont d’abord travaillé seuls, puis se sont vus offrir l’assistance du metteur en scène Joël Pommerat. "Plusieurs représentations ont eu lieu à la maison centrale, puis Joël Pommerat a voulu poursuivre l’aventure. Les détenus aussi ont continué à écrire. C’était des détenus très différents, qui se sont parlé. L’un d’eux était suivi par un psy. Avec tout ça, son traitement a pu être allégé." Preuve du bénéfice de telles initiatives. Ensemble, ils ont ensuite monté Marius, en 2018, joué à la prison d’Arles puis plusieurs fois en 2019 à la prison des Baumettes.

Où, par ailleurs, " on a voulu créer un théâtre dans la nouvelle prison en construction, les Baumettes 3, pour accueillir aussi du public, des artistes en résidence et offrir des formations, au moins pour les métiers de techniciens du spectacle." Et l’ancienne directrice de rappeler : "Ce n’est pas qu’une occupation, le théâtre. Ça participe au mieux-être de tous. »

La Provence - 29 août 2021


UN TRIOMPHE iiii

D’EMMANUEL Courcol, avec Kad Merad, Laurent Stocker, Marina Hands. 1 h 46.

S.J.

Un comédien en galère anime un atelier théâtre en prison et se met en tête, autant pour les détenus que pour lui, de leur faire jouer Beckett sur une vraie scène. Belle surprise que cette comédie dramatique tout en nuances « tirée d’une histoire vraie ». Fin scénariste (pour Philippe Lioret notamment), Emmanuel Courcol tricote un film fédérateur et touchant, plus ambitieux qu’il n’y paraît, qui célèbre l’engagement collectif sans jamais verser dans les clichés ni le pathos. Les personnages sont bien troussés, complexes, à l’image de Kad Merad, impeccable en acteur et en père frustré mais tenace, et d’une troupe de détenus aussi justes que des non-professionnels. On lui reprocherait bien son titre si sûr de lui, mais il est si vrai…

S.J.

le JDD - 29 août 2021

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Derrière "Un triomphe", l'histoire vraie d'un atelier de théâtre hors norme en prison

Le film d'Emmanuel Courcol s'inspire librement du parcours de Jan Jönson, un comédien suédois qui a fait jouer "En Attendant Godot" de Beckett à des prisonniers.


Memento Films Distribution

Un Triomphe retrace l'histoire de prisonniers qui vont tout faire pour se produire dans les plus prestigieux théâtre de France avec leur adaptation de la pièce "En attendant Godot"

CINÉMA - Quand la culture s’invite dans le milieu carcéral, les résultats sont parfois étonnants. Le film Un Triomphe avec Kad Merad à l’affiche sort en salle ce mercredi 1er septembre. Pour raconter le lien entre cette fiction et l’histoire vraie qui avait fait l’objet d’un documentaire en 2005, le réalisateur Emmanuel Courcol et le comédien Jan Jönson, qui a inspiré l’intrigue, se sont confiés au HuffPost.

Le long-métrage raconte l’histoire d’un comédien qui veut redonner un sens à son parcours professionnel et personnel. Il va alors prendre la décision d’animer un atelier de théâtre dans une prison. Étienne, joué par Kad Merad, ne recule devant rien, ni les règles strictes que lui impose l’administration pénitentiaire ni les doutes exprimés par les détenus qui ne s’estiment pas assez cultivés pour jouer devant un public.

Il est déterminé à leur faire apprendre En attendant Godot de Samuel Beckett, une pièce qui symbolise l’attente et l’absurde, une métaphore de la vie quotidienne en prison selon lui. Le principal pour le comédien c’est de révéler le talent caché de ces prisonniers et de montrer aux spectateurs qu’eux aussi peuvent devenir acteurs.


L’intrigue du film est inspirée de l’histoire de Jan Jönson, un comédien qui avait œuvré à Kumla, une prison de haute sécurité en Suède dans les années 1980. Cependant, contrairement au film d’Emmanuel Courcol, l’occasion de rencontrer des détenus s’est présentée à lui un peu par hasard lors d’une représentation théâtrale.

“La différence avec ce film, c’est essentiellement la raison pour laquelle le personnage d’Étienne arrive en prison pour donner des cours de théâtre”, explique le suédois de 73 ans au HuffPost. “Pour ma part, j’étais en train de réciter un monologue devant un public, mais dès les premières répliques, un spectateur se mettait à me répondre, ce qui est assez inhabituel au théâtre. À la fin de la représentation, il est venu me parler pour me demander de venir jouer dans la prison où il travaillait en tant que directeur”.

“Beckett est mon héros”

Jan Jönson accepte et se retrouve à devoir faire une représentation en prison. Alors qu’il se produisait devant des dizaines de personnes, certains l’insultent et ne l’écoutent pas. Mais la fin de la pièce, plusieurs prisonniers viennent le voir en le remerciant. “Il y a cet homme qui m’avait fait un doigt d’honneur et qui est revenu vers moi à la fin de ma prestation en m’offrant une rose et en me remerciant”, déclare Jan Jönson en souriant.

“Plusieurs d’entre eux m’ont ensuite demandé de leur faire des cours de théâtre. J’ai dit que je ne savais pas si je pouvais leur donner des leçons, mais que j’allais leur lire une pièce de Samuel Beckett. L’un des détenus m’a alors répondu ‘Beckett est mon héros’”. Au bout de 3 mois, le comédien suédois a réussi à choisir 5 détenus pour ces ateliers qui ont duré une année. Malgré des réticences de la part de l’administration pénitentiaire, qui sont aussi mises en scènes dans le film, la troupe a pu partir en tournée et se produire sur les planches de plusieurs théâtres suédois.

Le réalisateur d’Un Triomphe, quant à lui, a voulu s’accorder quelques libertés dans son film. “C’était intéressant de partir d’une histoire vraie, car cela donne une caution au film. J’ai voulu garder le fil de l’histoire, avec une fin similaire. Toutefois, tous les personnages sont fictionnels, y compris le comédien interprété par Kad Merad”, explique Emmanuel Courcol au HuffPost. Sa volonté n’était pas de reproduire l’entièreté de l’histoire de Jan Jönson à la façon d’un “biopic”, mais bien de s’en inspirer pour remettre au goût du jour des pratiques qui ont encore lieu actuellement en France. En effet, six détenus d’une prison s’étaient produits sur la scène du Théâtre Paris-Villette en 2017, une première dans l’Hexagone.

Un tournage à la prison de Meaux

Un Triomphe a d’ailleurs été tourné dans la prison de Meaux, où des ateliers de théâtre ont été mis en place. Le lieu a permis aux acteurs de se rendre compte du quotidien du milieu carcéral lors du tournage, selon le réalisateur. Alors que Kad Merad n’était pas disponible pendant plusieurs mois, Emmanuel Courcol a dû attendre avant de commencer à tourner son film. Pendant ce temps, il rencontre la coordinatrice culturelle de la prison qui propose des cours de théâtre aux détenus. “Durant 8 mois, j’ai suivi un des ateliers et nous les avons filmés. Cela a beaucoup nourri le scénario de mon long-métrage”, explique-t-il. 

Avec une panoplie d’acteurs talentueux tels que Pierre Lottin, Sofian Khammes, David Ayala et Lamine Cissokho, Un Triomphe arrive à mettre en perspective les problèmes du milieu carcéral français et l’importance de la culture dans la réhabilitation des personnes. Le réalisateur affirme d’ailleurs que la Suède a “toujours eu un temps d’avance sur la France”, et qu’il n’était finalement pas si difficile d’adapter en 2021 une histoire datant des années 1980. Avec un Kad Merad flamboyant, que beaucoup avait apprécié dans la série Baron Noir, Emmanuel Courcol réussit à adapter une histoire suédoise tout en y reflétant les problèmes de la société française contemporaine.

LE HUFFPOST - 1er septembre 2021


« Un Triomphe », d’Emmanuel Courcol

Un acteur en galère accepte d’animer un atelier théâtre en prison. Surpris par les talents de comédien des détenus, il se met en tête de monter avec eux une pièce sur la scène d’un vrai théâtre.


Un Triomphe, gageons-le, porte un titre prédestiné et devrait attirer le public sur le seul nom de Kad Merad. Certes parfait, mais loin d’être la meilleure surprise de ce feel-good movie où brille chaque second rôle. Au gré de joutes savoureuses entre deux répétitions d’En attendant Godot, les acteurs se renvoient les répliques avec un naturel confondant et emportent l’enthousiasme du public, de chaque côté de l’écran. Très drôle, finement écrit, Un Triomphe évoque, surtout, la nécessité d’injecter de la culture dans le milieu carcéral sans tomber dans la caricature, le mélodrame ou la démonstration démago.

LA MARSEILLAISE - 1er septembre 2021

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Kad Merad : « j’aime l’esprit de troupe »



Dans le second film d’Emmanuel Courcol, « Un triomphe », l’interprète de « Baron noir » incarne un acteur qui s’investit à fond dans un atelier théâtre en prison. Une façon pour lui de revenir à sa passion de jeunesse.

Olivier Delcroix 

Chemise légère, barbe de trois jours et chapeau vissé sur la tête, Kad Merad apparaît tel qu’en lui-même, souriant, affable, gouailleur, dans ce café parisien qui donne sur l’église Saint-Eustache. Il sait déjà que son rôle dans Un triomphe d’Emmanuel Courcol va lui coller à la peau. Il s’en explique sans détour.

LE FIGARO. - Vous souvenez-vous comment a débuté ce projet ?

Kad MERAD. -Tout a commencé par une rencontre. Le réalisateur Emmanuel Courcol, dont j’avais aimé le premier film, Cessez-le-feu, m’a contacté. Il avait aimé me voir dans la série Baron noir, et m’imaginait bien tenir le rôle d’Étienne dans son prochain film. J’ai trouvé la démarche intéressante. Souvent, le problème des metteurs en scène pour moi, c’est qu’ils ne sont pas assez curieux ! Pas tous, bien sûr…

Où s’est passée cette première rencontre ?

Chez moi. À l’époque, je vivais dans le 6e arrondissement et mon appartement donnait sur les jardins du Luxembourg. Emmanuel, qui vient du théâtre, m’a raconté son film, en me précisant que son intrigue s’inspirait d’une histoire vraie, celle du comédien suédois Jan Jönson qui en a tiré un livre dans les années 1980. C’était presque un biopic. J’ai immédiatement été séduit. Courcol est un réalisateur direct, un type franc et qui se montre aussi passionné dans la vie qu’il est calme sur un plateau. Il avait une idée précise du personnage. Il voulait que ce soit moi. Et la preuve, il a attendu plus de deux ans, à cause d’un problème de planning, ce qui lui a permis d’approfondir le scénario.

Comment avez-vous appréhendé les nombreuses scènes tournées en prison ?

C’était un défi. Nous avons commencé par une journée de visite à la prison de Meaux. Nous nous sommes retrouvés avec l’équipe technique, les acteurs et les assistants. C’est grâce à la compagne d’Emmanuel Courcol, Irène, qui s’occupe de la culture dans cette structure pénitentiaire, que nous avons pu tourner aussi longtemps : dix jours ! Ce fut une expérience intense de jouer dans le bâtiment de ce qu’on appelle les « longues peines ».

C’est-à-dire ?

Nous arrivions le matin, et commencions par nous soumettre à un protocole de sécurité. On laissait nos téléphones portables, par exemple. Vous imaginez un acteur sans portable ? (Rires.) Si nous avons compris que nous pouvions nous passer de téléphone, nous avons surtout pris conscience que nous ne pouvions pas nous passer de liberté. Ce que je retire de cette expérience, c’est la chance que nous avions de ressortir le soir. Nous avions beau être sur un parking dans une zone industrielle, pour nous, c’était le plus beau du monde. C’est tout juste si nous n’embrassions pas le goudron.

Un triomphe est aussi un film sur le théâtre. Racontez-moi votre passion de jeunesse pour le théâtre, et pour Jacqueline Duc…

En mentionnant Jacqueline Duc, vous êtes sur le point de me faire pleurer. C’est une grande dame que j’ai rencontrée lorsque j’étais élève comédien. Elle avait déjà 71 ans lorsque je suis arrivé à « La Boutique », son cours de théâtre à République. J’étais son chouchou. Elle a joué à la Comédie-Française, avec Fernandel. Elle avait une passion dévorante pour le répertoire classique, pour Molière, Racine, Marivaux ou Feydeau. Grâce à elle, j’ai découvert le métier d’acteur. Je me souviens que j’étais à peine arrivé lorsqu’elle me proposa Le Misanthrope. Nous avons passé tout un été à travailler « à la table » le rôle d’Alceste. Depuis, ce personnage me poursuit. D’ailleurs, je me suis promis que je le jouerai un jour.

Qui est Étienne, ce comédien en fin de droits qui tient absolument à monter En attendant Godot de Beckett avec des détenus ?

La seule chose qu’Emmanuel Courcol m’a dite, c’est qu’il ne fallait pas que je fasse de ce personnage un être altruiste et désintéressé. Ce que fait Étienne, il le fait sans doute avant tout pour lui. Il est revanchard et en quête de reconnaissance.

Que pensez-vous d’En attendant Godot de Samuel Beckett ?

Pour commencer, c’est la pièce la plus lue dans le monde. Et pour le plus grand plaisir de son auteur, grand maître de l’absurde, si vous ne comprenez rien, c’est que c’est réussi. Sérieusement, cette pièce est fabuleuse, drôle, moderne, intemporelle, insensée…

N’avez-vous pas peur que ce personnage vous suive ?

Non, j’ai adoré incarner cet acteur pugnace, qui ne lâche rien. Il possède une force de conviction incroyable. Et puis j’aime l’esprit de troupe. Je n’ai jamais voulu faire de one-man-show. J’aime partager, j’adore les sports collectifs. Je pratique le rugby. Étienne a aussi quelque chose d’un dompteur. Dans cette prison, où on a l’impression d’être entouré de fauves, il impose immédiatement son autorité. Il sait temporiser la violence. À un moment, il dit : « C’est moi le metteur en scène, c’est moi qui décide ! » Je me suis surpris à entendre une vraie dureté dans sa voix. Sans doute qu’avec le recul, je prends conscience qu’Un triomphe est un film solaire sur un univers noir. Peut-être que ce rôle va me poursuivre comme celui de Je vais bien, ne t’en fais pas, Bienvenue chez les Ch’tis ou Baron noir. Le rôle d’Étienne est la preuve qu’un acteur peut rencontrer un personnage. Et j’ai l’impression de l’avoir rencontré comme il m’a rencontré !

Quels sont vos projets ?

J’ai fini l’écriture de mon troisième long-métrage, Beau parleur, une comédie tendre. Si tout va bien, nous la tournerons en 2022. Je vais aussi partir en tournée théâtrale avec Amis d’Amanda Sthers et David Foenkinos, que je n’ai jouée que dix fois à La Michodière à cause du Covid. Le théâtre, toujours le théâtre. (Rires.) ■


Le mythe Beckett

« Une catastrophe. » C’est ainsi que Samuel Beckett accueille la nouvelle quand il apprend en 1969 qu’il a été choisi pour le prix Nobel de littérature. L’écrivain irlandais n’ira pas à Stockholm. « Tout ce succès ! Je me demande si ce n’est pas là la preuve que je ne suis pas compris. » Ce succès forcément suspect à ses yeux, il le doit en grande partie à En attendant Godot, traduit et joué dans le monde entier. Il résume ainsi sa pièce : « Deux personnages qui attendent un troisième qu’ils appellent Godot. » En 1953, Roger Blin signe la première mise en scène au Théâtre de Babylone. Pas la dernière.

Godot tendance zonzon

OLIVIER NAKACHE et Éric Toledano doivent ruminer. Comment n’ont-ils pas entendu parler de cette histoire vraie qu’aucun scénariste n’aurait osé imaginer ? Il y a fort à parier que les auteurs d’Intouchables auraient acheté les droits dans la seconde. Emmanuel Courcol, lui, a découvert l’histoire de Jan Jönson il y a quelques années via un documentaire que lui a montré son producteur, Marc Bordure - entre-temps, Robert Guédiguian et Dany Boon ont mis des billes dans le projet, c’est dire s’il fascine tout le monde. Au milieu des années 1980, Jönson monte En attendant Godot de Samuel Beckett avec des détenus dans une prison suédoise. Dit comme ça, pas de quoi grimper au rideau mais le pitch réserve bien des émotions et des surprises.

Kad Merad n’a pas tout à fait le profil d’un Suédois mais il est parfait dans le costume de Jönson, rebaptisé Étienne, comédien « de base », pas vu à la télé. Il rêve de jouer Tchekhov mais donne dans l’alimentaire. Déguisé en All Black, il fait faire des hakas à des managers (« Soyez encore plus guerriers, pensez à la concurrence »). Un ami lui refile un atelier théâtre en prison. Il se retrouve face à des gus massacrant les fables de La Fontaine (Luchini peut dormir tranquille). Étienne a une révélation. Il va mettre en scène En attendant Godot, qu’il a lui-même interprété vingt-cinq ans auparavant. Pour convaincre les sceptiques, il a cet argument imparable : « L’attente, ils savent ce que c’est. » Entraîner Jordan, Moussa, Kamel, Patrick et Alex dans le théâtre de l’absurde ne sera pas une mince affaire. Leur faire apprendre leur texte et répéter non plus. Mais l’aventure sera ponctuée de grands moments de comédie, en partie dus à l’excellence de la distribution. Kad Merad n’est pas seul et David Ayala, Sofian Khammes, Wabinlé Nabié, Pierre Lottin et Lamine Cissokho forment autour de lui une troupe homogène.

Exégèse joyeuse 

Courcol ne repeint pas en rose les murs du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin. Il montre le retour en cellule après les applaudissements, les fouilles, les humiliations. À ce titre, Un triomphe est le meilleur film français de prison depuis Un prophète, de Jacques Audiard. Avec moins de truands corses et plus d’humour. L’autre mérite d’Un triomphe, et non des moindres, est de dépoussiérer le théâtre. Courcol montre la jubilation d’un comédien, taulard ou non, sur un plateau. Un plaisir ici partagé par le public. Le film est enfin une exégèse joyeuse et légère d’En attendant Godot, chef-d’œuvre pas du tout élitiste. On se souvient de la formule de Jean Anouilh à propos de Godot dans Le Figaro : « C’est les Pensées de Pascal jouées par les Fratellini ». Les héros d’Un triomphe sont des clowns. Pas des enfants de chœur mais des asociaux, des marginaux. « Ils ont du tragique, ils ont du burlesque. Ils jouent faux mais ils sont dans le vrai », dit Étienne. Il a raison. Beckett ne s’y est pas trompé. On ne dévoilera pas le dénouement mais le commentaire de l’auteur irlandais, encore en vie pour voir ça (il meurt en 1989) : « C’est la plus belle chose qui pouvait arriver à ma pièce. »

LE FIGARO - 1er septembre 2021

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Kad Merad triomphe en prison

L’acteur joue dans « Un triomphe » d’Emmanuel Courcol, en salles aujourd’hui. Film très drôle inspiré de l’histoire vraie d’un comédien en galère qui monte une pièce avec des prisonniers.

Julie Clément


Propos recueillis par Catherine Balle

Il est formidable dans ce film inspiré d’une histoire vraie. Dans « Un triomphe » d’Emmanuel Courcol, Kad Merad interprète Étienne, un comédien en galère qui décide de monter « En attendant Godot » de Samuel Beckett avec des prisonniers.

L’acteur de 57 ans nous parle de ce long-métrage très drôle, rocambolesque et poétique, qui évoque le métier de comédien et le milieu carcéral avec beaucoup de finesse.

Kad Merad

Le réalisateur a attendu un an que vous soyez disponible pour tourner « Un triomphe »…

J’ai eu beaucoup de chance car je ne voulais pas passer à côté de ce rôle. Étienne est complexe, c’est un emmerdeur, mais avec du panache et de la pugnacité. C’est un vrai héros de film.

Vous avez tourné pendant dix jours dans la prison de Meaux (Seine-et-Marne). Comment l’avez-vous vécu ?

C’était très fort. On a tourné dans les ateliers où travaillent les détenus de longue peine. Même si on n’a jamais croisé de prisonniers, quand on met une heure trente à franchir la sécurité, qu’on passe la journée en apnée et que, le soir, on ressort pour rentrer chez soi, on a une autre vision de la liberté.

Vous aussi, comme votre personnage, vous avez fait des jobs alimentaires ?

Oui. Quand j’ai débuté, j’ai connu les changements de costumes dans les toilettes, les courts-métrages pas payés, les castings où on se retrouve entouré de mecs super gaulés qui ont des cheveux ! Alors j’ai fait des sketchs à la Poste, des animations dans les supermarchés et dans une agence d’intérim. Et j’ai passé des saisons au Club Med : la journée, j’animais des jeux à la piscine avec mon collier de fleurs et, le soir, j’étais batteur dans un orchestre qui s’appelait les Gigolo Brothers.

C’était une période de galère ?

Je cachetonnais, mais j’ai toujours cru que le succès arriverait. Je vais vous confier un truc : à 17 ans, j’ai même répété le discours que je prononcerais quand j’aurais un César.

C’est vous qui avez appelé Dany Boon pour qu’il coproduise « Un triomphe » ?

Non, mais j’étais ravi quand j’ai appris que Dany allait sauver le film, qui peinait à être financé.

Quelle relation avez-vous avec lui depuis « Bienvenue chez les Ch’tis » ?

On est amis. On prend des nouvelles tout le temps, on se conseille. Et on sait qu’on va se retrouver pour tourner ensemble. Aujourd’hui, je fais les films par envie plus que par confort.

D’ici là, vous avez beaucoup de projets…

Oui. Je remonte sur scène en janvier 2022 pour une tournée d’« Amis », la pièce de David Foenkinos et Amanda Sthers que j’ai adoré mettre en scène et dans laquelle je joue avec Claudia Tagbo et Lionel Abelanski. Je vais aussi jouer dans une comédie d’Olivier Baroux qu’on écrit ensemble pour Canal +. Une série avec Bullit et Riper, les agents de « Mais qui a tué Pamela Rose ? », qu’on tournera l’an prochain. Je vais aussi être dans une série sur le baron Haussmann réalisée par Radu Mihaileanu et j’ai des projets de films à petit budget, mais courageux.

Canal + diffusera le 17 septembre votre spectacle musical « Kad on Stage ». Vous allez remonter sur scène ?

J’adorerais. Il faut que je trouve vingt dates consécutives : avec mes musiciens, on pourrait jouer le soir et dormir dans un bus.


AUJOURD’HUI EN FRANCE - 1er septembre 2021

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♥♥ UN TRIOMPHE Le théâtre de la liberté

COMÉDIE (1h46) d’Emmanuel Courcol, avec Kad Merad, David Ayala, Lamine Cissokho

L’histoire

Un acteur en galère accepte pour boucler ses fins de mois d’animer un atelier théâtre en prison. Surpris par les talents de comédien des détenus, il se met en tête de monter avec eux une pièce sur la scène d’un vrai théâtre pour les faire jouer En Attendant Godot de Samuel Beckett. Le début d’une formidable aventure semée d’embûches et d’élans solidaires.

Notre avis

Inspiré d’une histoire vraie survenue en Suède dans les années 1980 - mais ici transposée en France à notre époque -, Un triomphe mélange avec intelligence des univers opposés. En l’occurrence le milieu carcéral et l’écriture de Samuel Beckett, dont l’esprit est présent d’un bout à l’autre. Et qui de mieux pour faire ce lien que Kad Merad ? Étincelant dans la peau d’un comédien colérique en perpétuelle galère, il est aussi un chef de troupe compréhensif, passionné, déterminé, dur aussi parfois envers ses comédiens inattendus, parfaitement interprétés par des valeurs montantes comme Sofian Khammes (révélé dans Chouf, prochainement à l’affiche de Mes frères et moi), Lamine Cissokho (qui a depuis obtenu un petit rôle dans le palmé Titane), David Ayala (Kaamelott) et Pierre Lottin (connu pour être le fils Tuche). Marina Hands étant aussi parfaite en directrice de l’établissement pénitentiaire. Une bande homogène et des portraits justes.

Toute la force de la mise en scène est de faire ressortir les sensibilités tout en arrivant à nous faire rire sans jamais juger les personnages ni édulcorer les situations.

Tout est donc pensé, fait avec grand respect et une volonté d’appeler à la découverte, de s’enrichir culturellement. Une très belle surprise donc.

LA PROVENCE - 1er septembre 2021

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Immense succès

D’Emmanuel Courcol, avec Kad Merad, David Ayala, Lamine Cissokho..


Soyons beaux joueurs et - pour la bonne cause du cinéma français de retour - prenons sans trop de réserves ce gentil film de prisonniers devenant presque par magie comédiens de théâtre. Les bonnes intentions socioculturelles sont forcément évidentes et l'ensemble réussit à faire rire de bon cœur lors de quelques scènes. Et tant pis si les applaudissements dans l'écran (méthode hollywoodienne employée ici) forcent grossièrement l’émotion des spectateurs du film.

Comédien sur la touche, Kad Merad donne des cours de théâtre à une poignée de prisonniers.

Plus ou moins motivés et très gamins, ceux-ci offrent un spectacle réjouissant de pitreries puis d’envies d'y croire.

Merad, lui, trop souvent désagréable, plus brutal qu'empathique, confond un peu trop son rôle de metteur en scène avec celui du coach sportif du film Une Belle équipe (2019) ou de la série Baron Noir. Une jolie fable sociale avec un twist, tirée de vrais événements.

COMMENT ÇA MARCHE - N°130 Septembre 2021

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Kad Merad dans “Un Triomphe” : “J'ai connu ces moments où ça ne marche pas”

Dans le dernier film d’Emmanuel Courcol, Kad Merad est un comédien en galère qui entreprend de monter “En attendant Godot” avec des détenus. L’acteur raconte pourquoi ce feel-good movie lui tient à cœur.

Taillé pour le succès, Un triomphe, d’Emmanuel Courcol, en salles ce 1er septembre, boxe dans la catégorie « feel good movies » avec un poids lourd de la comédie française : Kad Merad. Qui fait ici plutôt office de clown blanc, dans le rôle d’un comédien en galère contraint, pour cumuler « ses heures », d’animer un atelier-théâtre en prison. Que proposer à des hommes condamnés à attendre ? En attendant Godot, sommet de l’absurde signé Samuel Beckett, évidemment !

« C’est un film de troupe », se réjouit la star de Bienvenue chez les Ch’tis (2008), qui s’y connaît en matière de triomphes. Quinze ans après son virage « sérieux » dans Je vais bien, ne t’en fais pas – avec, à la clé, un César du meilleur second rôle –, celui qui fut aussi bien le papa du Petit Nicolas (2009) que le redoutable politicien de la série Baron noir (trois saisons sur Canal+) nous parle de ce Triomphe qui lui tient à cœur. Et qui lui rappelle l’époque où les réalisateurs ne se bousculaient pas à sa porte…

TÉLÉRAMA - 2 septembre 2021

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UN TRIOMPHE ” ***"

D'Emmanuel Courcol

UN TRIOMPHE Avec Kad Merad, Pierre Lottin.

Un énième « feel good movie » social français, me direz-vous ? Mais ce portrait d'un acteur en galère qui va faire jouer « En attendant Godot » à des détenus est pourtant réalisé avec beaucoup de retenue, d'humanité et de tendresse. Inspiré de faits réels, le film d'Emmanuel Courcol est un sans-faute de goût, porté par Kad Merad et une brochette de jeunes acteurs incroyables. Beckett vous arrachera même une petite larme... =Fa.L.

PARIS MATCH - le 2 septembre 2021

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Un triomphe

d’Emmanuel Courcol


ÉNERVANT

Acteur sans rôles, Étienne (Kad Merad) accepte de donner des cours de théâtre à des détenus. Après des débuts difficiles, il parvient à les intéresser si bien que l’idée lui vient de leur faire jouer une pièce entière sur un sujet qui leur parle: l'attente. Leur représentation d’En attendant Godot sera un tel succès qu’ils se voient proposer une tournée dans différentes villes de France...

Inspiré d’une histoire vraie survenue en Suède, le film séduit d’abord par cette aventure hors normes qui a l'intelligence de ne pas (trop) idéaliser la situation, ses difficultés et ses ambiguïtés. Les choses se gâtent farouchement vers la fin, avec un monologue final de Kad Merad, non seulement très platement écrit et joué avec une auto-complaisance assez pénible, mais surtout qui a l’air de considérer la fuite finale des détenus comme une bonne nouvelle, un aimable pied de nez à une société bêtement répressive et un bon point pour la liberté. Inscrivant ainsi le film dans un tropisme criminophile du cinéma français qui devient franchement gênant. L. D.

VALEURS ACTUELLES - 1er septembre 2021

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Kad Merad interprète un acteur au chômage qui anime un atelier théâtre en prison et va conduire sa troupe de détenus jusqu’à L’Odéon. Inspiré d’une histoire vraie, cette comédie attachante et inspirée évite l’écueil des bons sentiments par la justesse de son écriture et de ses comédiens, tous formidables.

« Un triomphe », le théâtre au-delà des murs


Un triomphe ***

d’Emmanuel Courcol

Film français, 1 h 45

En 1985, un acteur et metteur en scène suédois, Jan Jönson, a monté avec des détenus de la prison de haute sécurité de Kumla, En attendant Godot de Samuel Beckett. Le spectacle a été une telle réussite, qu’ils ont été invités à la jouer dans plusieurs théâtres du pays avant, consécration ultime, d’achever leur tournée au théâtre royal de Göteborg et de mettre, de manière spectaculaire, un point final à une aventure inédite.

LA CROIX - le 4 septembre 2021

Les planches de la réinsertion 

CINÉMA En 1985, un metteur en scène suédois a monté En attendant Godot, chef-d’œuvre de l’absurde, en milieu carcéral. Contre toutes attentes, la bande de détenus s’est fabuleusement bien approprié le texte de Samuel Beckett. À l’issue d’une tournée théâtrale au succès galvanisant, ils sont même parvenus à brouiller les frontières entre réalité et fiction, entre la forme et le fond... Du grand art ! 

On comprend pourquoi Emmanuel Courcol, comédien de formation passé à l’écriture de scénario et à la réalisation, a été séduit par cette histoire vraie, bluffante, qui célèbre le dépassement de soi et la libération qu’offre la pratique du théâtre. 

Avec Un triomphe, il livre une transposition française de haute tenue : un récit drôle, rythmé, réconfortant, nuancé et plein d’émotions. Le tout porté par un casting formidable. 

Kad Merad incarne avec grâce – et sobriété – ce metteur en scène rugueux, tenace et exigent, à la fois au bout du rouleau et passionné, qui amène chaque acteur de sa mauvaise troupe (migrant, escroc, dealer, voleur récidiviste ou caïd notoire) à puiser dans sa vie réelle pour parvenir à être juste. Ou mieux encore : vrai. Entre la confiance, la manipulation et le don de soi, le but du jeu est finalement de se révéler à soi-même à travers la force du collectif. Et réciproquement. Joli ! 

Un triomphe 

SOPHIE ESPOSITO 

de Emmanuel Courcol, en salle (1 h 46). 

RÉFORME - 11 septembre 2021

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