
La vraie vie en prison
Véronique Sausset, directrice de centre pénitentiaire, nous raconte la détention de l'intérieur. Elle balaie nombre de préjugés et braque la lumière sur ce quotidien à l'ombre en publiant un récit. Interview.
Sur population, violence, suicide, radicalisation ... Les prisons françaises, qui accueillent près de 70 000 individus*, sont régulièrement pointées du doigt. Au quotidien, les 235 000 personnes qui composent l'administration pénitentiaire s'activent afin de les faire fonctionner, gérer les détenus et tous les aléas liés à la détention. Véronique Sausset en fait partie. Cheffe d'établissement à Caen, Brest, Nantes, Saint-Maur, directrice de cabinet à l'Administration pénitentiaire (2018-2020) et actuellement à la tête de la prison pour femmes de Rennes (depuis avril 2020), elle raconte dans Fragments de prison ses rencontres les plus marquantes derrière les barreaux. Elle les évoque pour VSD.
VSD. En préambule, vous expliquez « vouloir donner à voir autrement la prison, de l'intérieur ». C'est-à-dire ?
Véronique Sausset. La prison reste un univers méconnu qui fait parfois fantasmer ou qui parfois est complètement ignoré. J'avais envie de la montrer de l'intérieur en ouvrant une fenêtre dans les murs et par un seul prisme : celui des rencontres, avec un récit plutôt qu'un descriptif de son fonctionnement. Certes, il y a une réalité, celle de la surpopulation, de la privation de liberté et de ses conséquences, mais je pense important de donner à voir autrement la prison. Je me souviens de cette parole entendue par un visiteur peu habitué à la prison qui m'a dit : « Cette personne n'a pas la tête d'un détenu. » Mais évidemment, il n'y a pas de stigmate, il peut s'agir d'un voisin, d'une sœur ou d'un frère, d'un collègue. On ne peut pas seulement parler de l'univers carcéral par le biais du fait divers ou en réaction à un incident. J'ai souhaité raconter l'ordinaire de la prison qui conduit à des rencontres extraordinaires. Ça a été mon parti pris.
"Nous sommes loin de l'image du détenu qui fait des bâtons sur les murs"
Vous insistez sur la réinsertion. Ce besoin de préparer l'après représente-t-il une mission essentielle ?
Oui, c'est une chose fondamentale. La porte d'entrée est toujours la porte de sortie. Nous devons nous attacher à l'exécution de la peine tout en assurant une mission de réinsertion. La réinsertion et la préparation à la sortie commence dès l'arrivée en prison, notamment en garantissant de maintenir un statut de citoyen. S'il s'agissait uniquement d'un lieu de relégation, nous raterions collectivement l'objectif. La prison est un lieu d'insertion et ce sont notamment ces multiples aspects qui rendent ce travail passionnant.

Vous évoquez la trajectoire d'un homme resté cinq ans à l'isolement qui assure « voir trouble ». Quel est l'impact de l'emprisonnement sur les corps ?
Je ne suis pas la première à constater qu'il y a des répercussions psychologiques et physiologiques à l'isolement. Parfois, cette mesure est nécessaire : l'histoire de ce monsieur que je cite (un braqueur multirécidiviste) le démontre. Son pedigree obligeait à prendre des précautions ...
Environ 3 % des détenus sont des femmes. Existe-t-il des particularités féminines ?
Oui, parce que les femmes n'ont pas les mêmes besoins, leurs attentes et leurs préoccupations diffèrent.
Raison pour laquelle vous avez récemment autorisé les sextoys en détention ...
Certes, je ne souhaite pas que l'idée qu'on se fait de ma contribution à l'amélioration des conditions de détention soit limitée à ce sujet. Il me paraissait évident que ce soit un thème que l'on devait prendre en compte, qu'il n'y ait pas de sujet tabou et que la privation de liberté n'ait pas d'incidence sur le reste. Cela reste de l'ordre de l'intime et, si l'administration n'a pas à s'y immiscer, elle doit respecter les préoccupations des détenues.
Vous évoquez aussi l'alcool, en prenant l'exemple de ce détenu qui en fabrique en utilisant de la levure.
Oui, cela peut paraître normal mais la privation de liberté implique aussi l'interdiction de consommation d'alcool en prison. Il est néanmoins possible pour un détenu d'acheter nombre d'aliments en cantine. La levure permet de fabriquer de l'alcool en faisant macérer des fruits. Ce que j'explique, c'est le besoin irrépressible de ce détenu de faire de l'alcool, au risque que la levure soit interdite pour tous alors qu'un autre détenu, qui fait de la pâtisserie, en a besoin. Ça souligne tous ces petits riens qui font aussi le quotidien de la prison.
Quid de l'état d'esprit des surveillants ? Quel regard portez-vous sur leurs missions ?
L'un des textes de mon liv re leur rend hommage. Il faut de la maturité pour exercer ce type de fonction. Les surveillants doivent faire preuve d'écoute en permanence. Et puis, il y a aussi un effet miroir, c'est compliqué d'être dans ce face-à-face permanent avec les détenus. Pour tout le personnel des prisons, qui n'est pas forcément là par vocation, il faut une sacrée dose d'humanité. Leur dévouement est remarquable. Il forme la troisième force de sécurité publique et contribue aussi à la sécurité collective.
En revanche, vous n'évoquez pas la radicalité qui est pourtant un problème souligné de façon récurrente quand on évoque les prisons.
C'est vrai mais ce n'était pas l'objet de ce livre, sans doute parce qu'en la matière, la rencontre, celle qui se raconte, ne s'est pas encore faite. En revanche, au-delà de la radicalité, la spiritualité peut contribuer à adoucir le vécu en prison, ce qui est également vrai pour la peinture, la sculpture, l'art de manière générale ou encore la philosophie. Tout ce qui permet de transcender le quotidien entre les murs pour ouvrir son esprit, rester debout et se projeter vers l'avenir ne peut qu'être bénéfique. Mais l'administration ne promeut rien, elle permet seulement au x détenus de faire des choix en la matière.
Il y a l'idée, dans votre ouvrage, que le détenu est acteur de sa peine. Vous écrivez « la liberté ne se rend pas, elle s'acquiert ».
C'est tout l'enjeu de notre mission. Pour les personnes qui portent le poids de la culpabilité, de la peine et les troubles que cela peut engendrer, il est nécessaire de les mettre en action. « Faire sa peine », c'est s'en emparer. Nous sommes loin de l'image un peu caricaturale du détenu qui fait des bâtons sur les murs pour compter ses années de détention. Je me rappelle du père d'une victime qui, en visitant une prison, m'avait dit : « J'espère qu'il fera quelque chose de son temps ici. » Et ce mouvement-là, de nombreux détenus le suivent car on évolue, en détention. Il y a beaucoup d'hommes et de femmes qui s'activent, qui étudient et, pour certains d'entre eux, qui changent. Cela donne un vrai sens à nos métiers.
HISTOIRES VÉCUES
(*) « Fragments de prison », de Véronique Sausset, Le ChercheMidi, 192 p.

Antoine Grenapin
VSD - samedi 26 février 2022