
LAURENT NUÑEZ est coordonnateur du renseignement et de la lutte contre le terrorisme à l’Élysée.
LE FIGARO. - L’attentat d’Yvan Colonna n’a pas été anticipé. Le renseignement pénitentiaire est-il responsable ?
Laurent NUÑEZ. - Il ne faut pas confondre ce qui relève, d’une part, de la gestion de la détention et des remontées d’information et, d’autre part, le travail de renseignement exigeant que permet la mise en œuvre de techniques particulières pour exhumer des données cachées. Alors que la question du renseignement pénitentiaire était pendante depuis trente ans, et que nous partions d’une page blanche, nous avons, au cours de ces cinq dernières années, créé un service qui n’a cessé de monter en puissance. Il est aujourd’hui bien structuré, doté d’environ 340 agents et de techniques de renseignement efficaces, et capable de travailler avec les autres entités du renseignement. Autrement dit, d’assurer un continuum dans les deux sens, entre l’extérieur et la détention. Ce qui est essentiel, puisque nous sommes face à la montée de formes de violences au sein de l’ultragauche et de l’ultradroite et que, je le rappelle, la prison est aussi un lieu de radicalisation, comme en témoigne le parcours de certains des auteurs des attentats de 2015.
Estimez-vous avoir les moyens de suivre efficacement l’ensemble des détenus et des sortants de prison terroristes ?
Aujourd’hui, le renseignement pénitentiaire suit quelque 570 détenus de droit commun radicalisés et quelque 430 détenus pour terrorisme islamiste. Pour chaque sortant de prison, une cellule dédiée, placée sous l’égide de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), étudie préalablement le niveau de suivi nécessaire et statue sur la dangerosité des détenus. Hors les murs, qu’ils soient sous suivi sociojudiciaire, sous le coup de mesures de sûreté ou sous la seule surveillance du renseignement, 100 % des objectifs sont suivis par nos services. Il n’y a aucun trou dans la raquette, si l’on peut dire. Il y a d’ailleurs très peu de réincarcérations, hormis un cas notable. Et quand ils font reparler d’eux sur le plan judiciaire, c’est uniquement pour des délits de droit commun.
Quelles seraient les marges de progression du renseignement pénitentiaire ?
Les lois successives de 2017 et 2021 ont permis d’aller aussi loin qu’il était possible. Au point, d’ailleurs, en matière terroriste, de décloisonner complètement, dans les deux sens, les relations entre les mondes du judiciaire et du renseignement. Cela veut dire plus de fluidité entre nos services et le parquet national antiterroriste ainsi que la police judiciaire. Mais pas seulement puisque, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, nous avons pu procéder à plus de 500 visites domiciliaires, sans que cela fasse l’objet de beaucoup de recours ou de refus, ce qui témoigne de la rigueur de nos procédures. Cela est particulièrement efficace en ce qui concerne les sortants de prison. Nous chercherons encore à faire progresser le renseignement pénitentiaire, par exemple en le dotant de nouveaux outils d’intelligence artificielle permettant d’améliorer le recoupement des faits, des échanges et des relations entre individus, toujours dans le strict respect du cadre légal.
■ PROPOS RECUEILLIS PAR P. G.
LE FIGARO - le 22 mars 2022