Prison - Un condamné pour viol a participé au « Koh Lantess »


Marie-Amélie Lombard-Latune


L’enquête sur l’événement sportif qui fait polémique, demandée par le ministre de la Justice, a débuté. Ce lundi, le directeur du centre pénitentiaire de Fresnes, Jimmy Delliste, a été auditonné.


PARMI LES DÉTENUS AYANT PARTICIPÉ au « Koh Lantess » de la prison de Fresnes le 27 juillet, figure un profil pénal lourd, selon les informations de l’Opinion. Cet homme de 31 ans a été condamné à dix ans de réclusion criminelle pour viol par la cour d’assises du Val-de-Marne en février 2021. Sa fiche pénale, que l’Opinion a consultée, fait aussi état de nombreuses affaires de vols dont des violences avec arme, de plusieurs jugements pour trafic de stupéfiants. Et d’une évasion en 2018 alors que le condamné était placé sous bracelet électronique. Sans compter divers incidents en prison dont des violences verbales et physiques contre des surveillants et d’autres prisonniers ainsi que la « détention d’objets interdits ».

Selon la section FO de Fresnes, qui produit une photo pour l’attester, ce détenu a pris part à l’épreuve de tir à la corde. La chancellerie a confirmé lundi après-midi à l’Opinion sa participation au Koh Lantess, assurant ne pas être en mesure de donner davantage d’explications pour le moment sur ce choix et rappelant qu’une enquête est ouverte sur cette manifestation sportive.

Le pedigree de ce prisonnier ne correspond en rien aux diverses déclarations, notamment des organisateurs de l’événement, affirmant que seuls des « courtes peines » avaient pris part aux épreuves. Selon ces sources, les participants avaient été rigoureusement sélectionnés. Certains suivent des cours en prison en vue du diplôme d’accès aux études universitaires. D’autres sont des « auxiliaires », en principe de « bons éléments » de la population carcérale, avait-il été indiqué.

Défis sportifs. Les détails de l’organisation du Koh Lantess à la prison de Fresnes restent cependant encore flous. L’événement, censé rapprocher détenus et surveillants et « créer du lien », était centré autour de quatre défis sportifs, dont un « Parcours du kart combattant ». Selon la convention signée avec la société de production, « dix personnes détenues, dix surveillants et dix personnes de l’équipe Koh Lantess » prenaient part à cette compétition, auxquels s’ajoutaient « une vingtaine de personnes détenues en figuration ». Les autres épreuves s’intitulaient « Questions pour un Mario », « Plonge avec les stars » dans un bassin démontable et « Tir à la corde du bassin d’eau ». Le tout s’est déroulé entre 8 heures et midi sur deux terrains de sport de la prison.

L’enquête ordonnée par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, menée par la direction de l’administration pénitentiaire et le secrétariat général du ministère de la Justice a débuté. Lundi après-midi, le directeur du centre pénitentiaire de Fresnes, Jimmy Delliste, a été auditionné.

A l’Opinion, l’entourage du ministre a assuré que ni lui personnellement, ni son cabinet, ni les directeur et directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire n’étaient au courant des détails de ce Koh Lantess, à commencer par l’épreuve de karting si controversée. La direction de la communication avait, elle, été missionnée, notamment en raison du tournage de vidéos et de la présence de deux médias (Le Parisien et Konbini). Dans le mail qu’elle a envoyé quelques jours avant ce Koh Lantess au cabinet du garde des Sceaux, il était indiqué « courses de relais » pour le décrire. La mention d’une épreuve de karting aurait provoqué un veto du cabinet, assure encore l’entourage du ministre.

« Ce n’est pas la bonne méthode. Des activités, oui mais pour toujours rappeler les fondamentaux, les règles de la société »

« Disneyland ». A la chancellerie, comme dans le monde pénitentiaire, les dégâts créés par cette polémique sont déjà pris en compte. Sur le fond, Eric Dupond-Moretti juge cette affaire « désastreuse » et déplore, selon ses proches, qu’un tel événement « dénature totalement

l’image de la prison » en faisant croire « aux jeunes que c’est Disneyland ». La crainte est bien réelle que son action pour créer un contrat du détenu travailleur et supprimer les remises de peine automatiques soit largement effacée par cette controverse qui a vite pris un tour politique, l’extrême droite dénonçant des « prisons colonies de vacances ».

Organiser des manifestations sportives ou culturelles en prison fait pourtant partie de la gestion de la détention depuis les années 1980. Pour la Coupe du monde de football de 1982, François Mitterrand et Robert Badinter autorisent aussi l’entrée de la télévision, créant déjà la polémique. Les critiques reprennent quand le directeur du centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis emmène quelques-uns de ses pensionnaires au sommet du Mont-Blanc. Ces soupapes, ces « carottes » pour récompenser les comportements corrects, sont organisées très régulièrement. Il y a donc une bonne dose d’hypocrisie à découvrir la lune. Mais le secrétaire national de l’Ufap- Unsa Justice, Wilfried Fonck, regrette cependant « une politique carcérale de normalisation où l’on voudrait que la vie à l’intérieur soit comme dehors. Ce n’est pas la bonne méthode. Des activités, oui mais pour toujours rappeler les fondamentaux, les règles de la société. »

L’OPINION - le 23 août 2022

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