De la prison au triathlon, une sacrée remontée 

Ancien braqueur, le Britannique John McAvoy a découvert le sport derrière les barreaux.

Ancien braqueur, le Britannique John McAvoy a découvert le sport derrière les barreaux. Au cours de sa détention, il a même pulvérisé plusieurs records du monde sur un rameur. Une fois libre, le quadragénaire, aujourd'hui installé à l'Alpe d'Huez, est devenu un athlète à part entière. Son destin hors norme va même être adapté au cinéma.

PAR CHLOÉ BELLERET

Son passé de truand, le triathlète John McAvoy semble bel et bien l’avoir semé. Dans sa course à la rédemption, rien ne peut désormais l’arrêter. Pas même le froid glacial qui brûle les poumons en cette matinée d'hiver. Sur la terrasse de son appartement de l’Alpe d’Huez (Isère), le Britannique de 40 ans déroule méthodiquement les kilomètres sur son rameur, sans faiblir, devant un panorama à couper le souffle. Dans sa ligne d'horizon, les sommets enneigés du massif des Écrins ont remplacé les barbelés des prisons de haute sécurité. Installé depuis bientôt deux ans dans cette station des Alpes, le sportif se lève quatre fois par semaine à 5h30 pour s’entraîner. Lorsqu’il ne brave pas la neige en short et en petites foulées, il s’inflige à vélo les 21 virages de la mythique montée du Tour de France reliant la vallée aux sommets. Dans le village, tout le monde ou presque a déjà croisé John en plein effort. Mais combien savent que cet avenant gaillard au regard franc et au sourire d'ange fut, dans une autre vie, l’un des gangsters les plus actifs du Royaume-Uni ?


Londres, 1990. Le petit John, 7 ans, coule des jours heureux à Crystal Palace, un quartier agréable du sud de la capitale anglaise. Il n’a jamais connu son père, mort d’une crise cardiaque un mois avant sa naissance, mais sa mère, Margaret, fleuriste, issue d’une famille nombreuse de catholiques irlandais, se démène pour offrir la meilleure éducation possible à ses deux enfants. Le blondinet arpente les musées, se passionne pour le roi Henri VIII, et aussi pour la seconde guerre mondiale.


Mais l’irruption dans sa vie d’un certain Billy Tobin, l’un des braqueurs les plus redoutables du pays, va dynamiter son destin.


L'homme a épousé sa mère alors qu’elle n’avait que 16 ans. Le jeune couple a eu une fille - la demi-sœur de John -, avant de divorcer. Condamné pour un vol à main armée, il fait la connaissance de John à sa sortie de prison, lorsqu'il rend visite à son ex-femme. Ce dernier est immédiatement fasciné par ce grand brun aux cheveux plaqués en arrière. Il faut dire que le quadragénaire en impose. Il a de l’allure, des vêtements de luxe, une démarche assurée. Des dents particulièrement blanches, aussi, note John. Surtout, il est la première figure masculine à franchir le seuil de l’appartement familial. « Lorsque je lui ai apporté une tasse de thé, il m’a glissé un billet de 20 livres sterling en me disant : “T’es un bon garçon”. C’était la première fois qu’un adulte me donnait de l’argent », se souvient John McAvoy.


Billy revient chaque semaine. Il n’a pas de fils et se prend très vite d'affection pour le petit, qui ignore tout de ses activités. Le gamin sait seulement que l’homme est millionnaire, qu’il roule dans de grosses cylindrées et possède un appartement sur les Champs-Élysées, à Paris.


À la télé, la Première ministre Margaret Thatcher glorifie la réussite individuelle et l’argent. Billy en a beaucoup, c’est forcément un modèle, en déduit le jeune garçon. Ce n’est qu’à 11 ans que John découvre, ahuri, les faits d’armes de celui qu’il considère comme son père, lorsqu’il tombe sur des articles de presse dans un tiroir. Et il n’est pas au bout de ses surprises. Un an plus tard, il comprend, en regardant un film, que son oncle paternel, Micky McAvoy, qu’il n’a jamais vu et dont sa mère parle si peu, est l’un des six braqueurs du plus célèbre casse du Royaume-Uni. Celui de la Brink’s-Mat: le vol, en 1983, de près de 26 millions de livres (l’équivalent de plus de 40 millions d'euros) en lingots d’or et diamants, dans un entrepôt de l'aéroport d’Heathrow. « C’est ce que je veux faire ! » se dit l'adolescent, les yeux brillants d’excitation.


Pour lui enseigner la théorie et superviser les travaux pratiques, il peut compter sur Billy. À 16 ans, John quitte l’école et se procure son premier pistolet. Deux ans plus tard, il est incarcéré pour tentative de vol à main armée. Le gamin de Crystal Palace est devenu un dur, un vrai. Il refuse de se plier aux règles, et termine le plus souvent à l’isolement. Loin de le calmer, son séjour de deux ans en prison l’endurcit. À l’étroit dans sa cellule, il lit et multiplie les séries de pompes pour tuer le temps, lui qui n’a jamais été sportif. « À ma sortie, j’étais bien pire qu’en entrant », se souvient-il.


Une fois libre, il s'envole pour les Pays-Bas, puis l’Espagne avec son meilleur ami, Aaron. Ensemble, ils montent un lucratif trafic de drogue. John a 21 ans et mène une vie à «1000 à l'heure ». Sans attache, comme le lui a enseigné Billy, il ne pense qu’à faire la fête et à flamber. En 2005, une virée en Angleterre de six jours à l’occasion de l’anniversaire d’un ami va siffler la fin de la récréation.


À peine arrivé, John est contacté sur son portable par Kevin, l’un des associés de son beau-père. Un gars respecté, et même redouté. John a pourtant pris soin de ne communiquer le numéro de ce téléphone acheté à son arrivée qu’à deux personnes, son ami et sa mère. « Tu travailles toujours ? » interroge la voix au bout du fil. Le coup est facile et bien payé, John accepte la proposition.


« La meilleure décision de ma vie », commente rétrospectivement le bandit repenti. Un jour, il décide que l’argent ne dictera plus sa vie


Il l’ignore à l’époque, mais Kevin est filé depuis deux mois par des policiers. Alors qu’il s'apprête à braquer un fourgon de transport de fonds, John tombe dans une embuscade. Prise en chasse, sa voiture est interceptée par les forces de l’ordre qui manquent de l’abattre à deux reprises. « À terre ! » lui hurle la police. Menotté, puis jeté à l’arrière du véhicule des forces de l’ordre, John voit une nouvelle fois la liberté lui échapper. « Profite bien du paysage, mon garçon, parce que tu n’es pas près de ressortir », raille l’officier au volant.


Quatre ans plus tard, à la prison de Belmarsh, l’une des plus sécurisées d'Europe, alors qu’il purge la peine à perpétuité à laquelle il a été condamné, John est foudroyé par une nouvelle qui va bouleverser sa vie. Aaron, son complice de toujours, est mort d’un accident, à la suite d’un cambriolage qui a mal tourné. Le criminel de 26 ans sent les larmes inonder ses joues, lui qui n’a pas pleuré depuis l’enfance. « D’un coup, je me suis trouvé pathétique, en cellule avec ma Rolex à 20 000 euros au poignet, confie-t-il quatorze ans après. J’ai réalisé que j’avais gâché ma vie, que tous les gens que j'admirais enfant étaient soit morts, soit en prison. Je me suis dit: “Je ne veux plus de tout ça.” » Dans sa cellule, il s’en fait alors la promesse, l’argent ne dictera plus sa vie. Il ne le sait pas encore, mais son salut passera par le sport.


À la salle de gym de la prison, John a remarqué ce détenu qui passe des heures à suer sur le rameur pour, dit-on, collecter des fonds pour une œuvre de charité. Il demande à participer. À l’issue de sa première séance sur l'engin, le compteur indique 32 kilomètres parcourus.


Malgré les courbatures, il recommence le lendemain, puis le surlendemain. Au bout de trente jours, John a ramé l’équivalent de 1000 kilomètres. Le mois suivant, il renouvelle l’exploit. Et encore celui d’après. L'un des surveillants, Darren Davis, n’en revient pas. Féru d’alpinisme, il est certain que ce prisonnier a des aptitudes physiques hors norme. « Un jour, Darren m’a tendu une feuille sur laquelle figuraient les records mondiaux et britanniques des moins de 75 kilos sur rameur d’intérieur. Ils étaient tous à ma portée ! » raconte John. Galvanisé par le gardien qui l’encourage et entame les démarches pour faire valider ses exploits, le détenu redouble d’efforts. Sur son rameur, il finit par battre de six minutes le meilleur temps britannique en bouclant l’équivalent d’un marathon. Trois records du monde et huit nationaux suivront, dont celui de la plus longue distance parcourue en vingt-quatre heures. Une prouesse.


Il apprend à nager grâce à YouTube

Finalement libéré en 2012 après huit ans de détention, comme le permet le système anglais qui réexamine cha- que année les dossiers, John se rêve désormais en médaillé olympique. Il rejoint un prestigieux club d’aviron londonien mais, très vite, déchante. À presque 30 ans, il est déjà trop « vieux » pour percer dans ce sport.

En prison, il a vu une émission sur l’Ironman, cette compétition de triathlon (3,8 km à la nage, 180,2 km à vélo et 42,195 km de course à pied) ouverte à tous. « Je me suis dit : voilà ce que je vais faire ! J'ai acheté un vélo sur eBay — trop grand pour moi! —, je me suis mis à la course à pied, et j'ai appris à nager en regardant des vidéos sur YouTube », énumère l’ancien prisonnier. Dès lors, il ne cessera plus d’enchaîner les défis sportifs, en participant à des Ironman, puis à des ultra-trails, ces très longues courses à pied sur terrain accidenté.


Seul triathlète Ironman sponsorisé par Nike, il partage désormais son temps entre entraînements et engagements caritatifs. Grâce à sa fondation, The John McAvoy Charitable Trust, créée en 2018, il vient en aide aux jeunes en difficulté, notamment en finançant leurs études, et se bat pour promouvoir le sport en prison. « C’est un outil essentiel pour prévenir la récidive et faciliter la réinsertion », plaide l’ex-détenu. Le lendemain de notre rencontre, il doit justement s'envoler pour Bruxelles afin de s’exprimer devant plusieurs responsables de prisons européennes, et 400 universitaires spécialistes de droit pénal. « J’interviens aussi dans les écoles et les prisons pour redonner aux jeunes de l'espoir, leur dire que tout est possible », souligne le braqueur repenti.


Son histoire sera bientôt portée à l’écran. Après avoir refusé des dizaines de propositions pourtant très généreuses, John McAvoy a signé un contrat, en août dernier, avec Hollywood. Le casting, comme le montant du chèque, est encore tenu secret. Mais le Britannique l’assure, l'argent n’a pas guidé son choix. Il a d’ailleurs prévu de reverser ses gains à sa fondation, comme il l’avait déjà fait avec les droits de son best-seller publié au Royaume-Uni en 2016 (mais pas encore en France), Redemption : From Iron Bars to Tronman - traduisible par « Rédemption : des barreaux de fer à l’homme de fer ». « J’attendais juste un projet inspirant, un scénario qui mette davantage l’accent sur ma rédemption que sur mon passé de voyou », explique-t-il. Le film, encore en phase de préproduction, devrait être tourné au Royaume-Uni, en Espagne et en France. 

AUJOURD’HUI EN FRANCE - le 31 mars 2023

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