A la suite du succès du film « Je verrai toujours vos visages », le magistrat Edouard Durand, coprésident de la Ciivise, met en garde contre une « pensée magique » qui prêterait à la justice restaurative des vertus sans limites, et dénonce, dans une tribune au « Monde », un système d’impunité qui fait toujours fi des besoins et des droits des victimes.
Le magistrat Edouard Durand, coprésident de la Ciivise, met en garde contre une pensée magique qui prêterait à la justice restaurative des vertus sans limites, et dénonc un système d’impunité qui fait toujours fi des besoins et des droits des victimes.https://t.co/Y82v34aLTc
— lamandier13 (@WaechterJp) April 18, 2023
Au risque de briser l’adhésion unanime au film Je verrai toujours vos visages [de Jeanne Herry], sorti en salle le 29 mars, je crois devoir exprimer l’inquiétude que m’inspire une pareille minimisation de la gravité des violences sexuelles et de la dangerosité des agresseurs. Au moment même où la parole des victimes commence à être entendue par la société, et donc leur dignité respectée, ici ou là, sa légitimité est contestée, l’air de rien. « C’est tout de même moins grave qu’un cancer. »
Le film met en lumière le processus de justice restaurative en représentant des rencontres entre des condamnés et des victimes d’infractions. Chloé, l’une d’elles, a été violée par son frère à de nombreuses reprises. La rencontre avec son agresseur, qu’elle a demandée pour surmonter des conduites d’évitement – qui sont l’un des symptômes du psychotraumatisme – est organisée par une personne qui se désigne elle-même comme une médiatrice.
Je verrai toujours vos visages réunit des spectateurs qui sortent des salles de cinéma rassurés sur notre humanité commune. Les protagonistes de ces histoires tragiques, incarnés par des comédiens que nous aimons, nous renvoient à nos douleurs, à nos peurs et peut-être à nos haines, en même temps qu’ils réactivent notre espoir de reconnaître toujours un semblable en l’autre : le délinquant ou le criminel n’est pas un monstre, il est mon frère ou mon prochain. Nous avons le même langage ; nous nous reconnaissons. Il pleure, comme moi. Il rit, comme moi. Je lui parle, il m’écoute. Je lui fais des reproches, il baisse les yeux. Je verrai toujours son visage, celui de notre humanité commune.
Des invisibles
Je le crois profondément, l’existence humaine est la confrontation entre le langage et la violence. La violence n’est qu’un instrument pour délégitimer la parole de l’autre et le réduire à son corps : pour l’agresseur, le visage de la victime n’est qu’un objet.
D’une certaine façon, ces dialogues entre les victimes et les agresseurs soutiennent notre foi dans la puissance du langage. Mais il faut parfois en reconnaître les limites, et même l’échec. Suffit-il de quelques échanges pour restaurer l’humanité commune ? Il faut tourner le dos résolument à la pensée magique.
Qui voit le visage des victimes de violences conjugales ? Qui voit le visage silencieux des enfants ou des adultes victimes de violences sexuelles ? Qui entend les supplications des mères qui sont accusées de manipuler les institutions quand leur enfant leur a dit : « Papa me viole » ? Près de 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. Pourtant, ils restent invisibles. Nous ne voyons que le visage d’enfants menteurs, de mères manipulatrices, de femmes et d’hommes qui nous ennuient avec leurs plaintes et leur souffrance.
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