Paris : les riverains de la prison de la Santé excédés par les nuisances

Trafic de drogue, parloir sauvage… Les voisins du centre de détention ont alerté le ministre de l’Intérieur.


SÉCURITÉ 

Les riverains de la prison de la Santé excédés par les nuisances

Depuis la réouverture de la prison parisienne en 2019, le quotidien des habitants du quartier s’est fortement dégradé. À bout, ces derniers ont alerté le ministre de l’Intérieur.

En ce début de soirée d’été, à l’angle des rues Jean-Dolent et Messier, dans le 14e arrondissement de Paris, plusieurs jeunes traînent devant un immeuble. Ces détenus en semi-liberté se retrouvent pour rallier, ensemble, la prison de la Santé. « Aujourd’hui, c’est la version soft. Le problème, c’est quand ils parlent fort, dealent et font preuve d’incivilité », explique une riveraine qui sort sa poubelle, avant de montrer du doigt un filet de pommes de terre resté coincé sur l’enceinte du célèbre centre pénitentiaire, inauguré en 1867. « La nuit ici, c’est lancé de paquets par-dessus le mur et parloirs sauvages », témoigne un autre résident, quelques portes plus loin. « Ce soir, la pluie est plus efficace que la police », ironise-t-il. Depuis la réouverture, en 2019, du dernier centre pénitentiaire de Paris intra-muros après quatre ans de rénovation, la cohabitation avec les détenus, même à bonne distance, est très mal vécue par les habitants du quartier.

L’État sollicité 

Dans une lettre adressée au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en date du 28 juillet dernier, ils font état de « trafic de drogue, invectives, incivilités, bruits, agressions verbales, menaces », notamment au moment du transfert des détenus en semi-liberté, entre 18 heures et 20 heures. Ils décrivent aussi les nuisances sonores la nuit : les bruits de moteur ou de klaxon des voitures, les conversations entre détenus à travers les fenêtres à barreaux. « À bout », les riverains réclament « une réunion avec un représentant de la préfecture de police » afin de trouver des solutions. Ils sont pour le moment sans réponse. Déjà, quelques mois après la réouverture de la Santé, l’association Riverains de la prison de la Santé avait écrit à la directrice de l’établissement pour alerter sur les dégradations de leur quotidien. Jusqu’en 2019, vivre à côté d’une prison n’avait jamais été un problème pour Me Jean-Pierre Boivin. « Il n’y avait pas de gênes permanentes et aussi fortes », explique le trésorier de l’association. « Tout ça se passe sous les yeux des caméras. On est passé d’une sécurité publique réelle à une sécurité publique virtuelle », souffle l’avocat. Dans la lettre adressée au ministère de l’Intérieur, les signataires regrettent « la ronde de police 24 heures sur 24 » mise en place avant les travaux, « ce qui évitait tous les désagréments listés ».

Pour certains résidents, avec la nouvelle configuration du bâtiment, la gêne est aussi devenue visuelle. Président de l’association « Riverains de la Santé », Ugo Boscain avoue vouloir quitter le quartier où il vit depuis 2013. « Les fenêtres des cellules sont plus grandes et plus proches de notre immeuble qu’elles ne l’étaient avant. Parfois, les détenus nous interpellent. » Dans une vidéo prise par ses soins, le père de famille montre ses deux enfants en bas âge jouant devant les vitres de leur appartement, sous le regard des détenus, à moins de 12 mètres. « Entre les nuisances et le vis-à-vis, personne n’a envie de vivre ici. Notre appartement a perdu 25 % de sa valeur. C’est invendable, on est bloqués. » Dans la rue Jean-Dolent, beaucoup de vitres d’immeubles ont été sablées pour avoir un rendu opaque. « Ce n’est pas une solution, cela voudrait dire abdiquer. C’est à l’État de trouver un moyen de satisfaire tout le monde », tranche un riverain, fenêtre ouverte sur la rue.

« La surveillance des abords de la maison d’arrêt de la Santé était auparavant assurée par des patrouilles spécifiques, en plus des forces de l’ordre du 14e arrondissement », détaille Carine Petit (PS), maire de l’arrondissement. Des moyens qui, après les travaux, n’ont pas été réattribués au niveau de la préfecture de police. L’élue affirme avoir elle-même écrit au garde des Sceaux et au ministre de l’Intérieur pour interpeller sur la situation. « Les conditions carcérales indignes des détenus et la colère des habitants nécessitent des mesures urgentes de la part des pouvoirs publics », écrivait-elle dans une lettre adressée à Éric Dupond-Moretti en juin 2022. « Cette demande des riverains est importante et on la soutient, exprime aujourd’hui l’élue, tout en affirmant maintenir un dialogue entre les résidents, la direction de la prison et le commissariat. C’est le seul centre pénitentiaire de Paris et à ce titre, on doit pouvoir bénéficier de moyens supplémentaires et pérennes. »

D’après la préfecture de police, 11 opérations spécifiques de sécurisation ont été réalisées par la police du 14e arrondissement aux abords de la prison, en complément de l’activité quotidienne, depuis le 1er janvier 2022. Sur le secteur, 287 interpellations auraient été effectuées.

Du côté de la préfecture de police, une réunion consacrée à la maison d’arrêt et ses abords est programmée à la rentrée. Objectif ? Dresser un bilan et répondre aux doléances des riverains. Afin de limiter les projections de paquets depuis l’extérieur de la prison, « et donc les allées et venues aux abords de l’établissement », un projet anti-intrusion est notamment en cours d’étude.

Le Figaro - le 7 juillet 2023

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