Si aucune piste n’est écartée, l’administration pénitentiaire avait été avertie de menaces de représailles contre les futurs établissements de haute sécurité.
Les prisons françaises prises pour cible sur fond de lutte contre le narcotrafic
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 17, 2025
Si aucune piste n’est écartée, l’administration pénitentiaire avait été avertie de menaces de représailles contre les futurs établissements de haute sécurité. @Le_Figaro pic.twitter.com/onHiTma7KL
• Paule Gonzalès
Un choc dans le monde de la pénitentiaire. Dans un déchaînement de violence inédit, neuf de ses établissements ont été pris pour cible entre dimanche et mardi. Ces attaques n’ont cessé de s’intensifier, au point que le ministre de la Justice, Gérald Darmanin s’est projeté en première ligne en se rendant, mardi après-midi, à la prison de Toulon dont la porte a été criblée d’une rafale de kalachnikov.
Pour le garde des Sceaux, il ne fait aucun doute que « la République est confrontée au narcotrafic ». En marge de son déplacement dans le Var, il a ainsi martelé que « ces faits qui ne resteront pas impunis » étaient, selon lui, en lien avec la loi narcotrafic qu’il a défendue au cours de ces dernières semaines devant le Parlement : « Nous prenons des mesures fermes et qui font visiblement réagir. Il y a des pressions pour que la République recule mais elle ne reculera pas. Cela veut dire aussi que, pour la première fois, nous prenons des mesures qui stressent la criminalité organisée. Ces mesures, notamment la création de prisons de haute sécurité, elle les doit à Monsieur Amra qui a assassiné des pères de famille et s’en est pris à la République », a affirmé le ministre qui attend de la justice qu’elle démontre s’il y a eu concordance entre ces actes sans précédent.
Il a par ailleurs annoncé vouloir « réunir l’ensemble des directeurs des établissements pénitentiaires ainsi que le renseignement pénitentiaire ». « On ne tirera pas impunément à la kalachnikov sur un centre pénitentiaire », a-t-il conclu. « Nous avons compté treize impacts de balle de 5/56 dans la porte de l’établissement (de Toulon). Nous sommes là face à des armes de guerre », rappelait plus tôt dans la journée Emmanuel Chambaud, secrétaire national de l’Ufap-Unsa Pénitentiaire.
Tout a commencé dimanche par des incendies de véhicules sur le parking de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) à Agen, suivis lundi de nouveaux feux de véhicules sur les parkings de la prison emblématique de Réaux et de la maison d’arrêt de Nanterre. Dans la nuit de lundi à mardi, la violence est montée d’un cran : devant la maison d’arrêt de Villepinte, en Île-de-France, trois véhicules, dont deux appartenant à des agents pénitentiaires, ont été incendiés. Puis c’est le centre pénitentiaire de Valence qui a été attaqué. « Un individu cagoulé arrivé en trottinette électrique a aspergé plusieurs véhicules d’hydrocarbure et a mis le feu, puis il s’est filmé devant le désastre avant de s’enfuir sans pouvoir être interpellé. La vidéo n’est toujours pas sortie sur les réseaux sociaux. Cela nous fait penser au mode opératoire des sicaires de la criminalité organisée qui prennent des photos ou filment leurs méfaits pour montrer au patron que le boulot a bien été fait », affirme une source pénitentiaire.
Menace de grève de la faim
À Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), cette même nuit, des incendies de véhicules ont été perpétrés. La porte de la base du Pôle de rattachement des extractions judiciaires et de l’Équipe régionale d’intervention et de sécurité (PREJ-ERIS) a été attaquée au fusil à pompe. « Si elle n’a pas cédé, c’est que visiblement l’arme s’est enrayée ou qu’ils n’ont pas su l’utiliser », souligne cette même source pénitentiaire.
Sur les murs des établissements de Marseille, Luynes-Aix et à Nîmes (Gard), les enquêteurs ont relevé sur des véhicules incendiés la mention « DDPF », pour « Droit des prisonniers français ». De quoi faire immédiatement réagir le Parquet national antiterroriste qui a annoncé « se saisir de l’enquête, confiée à la Sous-direction antiterroriste de la DCPJ, les directions zonales de la police nationale concernées et à la DGSI ». Selon Le Parisien, un canal Telegram « DDPF » invitant à cibler la pénitentiaire aurait été repéré.
Même si, dans le milieu pénitentiaire jusque dans les couloirs de la Chancellerie, on ne néglige aucune piste, on a du mal à reconnaître dans ces actions le mode opératoire de l’extrême gauche. « Nous y voyons tous plutôt celui de la grande criminalité organisée. Les réseaux s’activent. J’y vois là une mise sous pression de l’institution et de ses personnels, insiste Emmanuel Chambaud. Alors que les premiers transferts de détenus de Vendin-Le-Vieil ont été effectués la semaine dernière, certains d’entre eux ont soudain pris conscience que nous sommes en train de passer de la fiction à la réalité. Et cette concomitance est tout sauf anodine. »
En attendant la progression des enquêtes, nombre de professionnels notent que l’ambiance a nettement évolué en détention depuis quelques semaines. Selon plusieurs éléments judiciaires et pénitentiaires, les têtes de pont de la grande criminalité organisée, jusque-là particulièrement silencieuses mais toujours attentives aux annonces médiatiques, commencent à s’inquiéter de l’ouverture prochaine des deux quartiers de haute sécurité de lutte contre la criminalité organisée, d’ici à l’automne 2025, à Vendin-Le-Vieil et Condé-sur-Sarthe. Des annonces évoquées dans les conversations avec les proches mais aussi au sein de la détention.
Certains grands malfrats du grand banditisme ne décoléreraient pas contre Mohamed Amra. À l’instar d’Abdel Karim T., grand boss du narcotrafic, qui le juge « responsable » de ces nouvelles modalités de prise en charge qu’il redoute, tout comme Mahdi Z. de la DZ Mafia, ou Karim H., impliqué dans quatre règlements de comptes sur fond de trafic de stupéfiants.
Ce dernier aurait d’ailleurs fait savoir, au sein de la détention « qu’il péterait un câble » s’il était affecté dans une prison de haute sécurité et se considérerait comme « brisé ». Dans le même temps, il aurait affirmé ne pas douter de « la capacité d’adaptation » de beaucoup de détenus pour « transmettre », malgré les entraves, « les consignes à l’extérieur ». Les plus aguerris évoqueraient aussi la capacité « d’élaboration de stratégie de contournement », mais aussi la création « de nouvelles ententes ».
Selon différentes sources, d’autres, comme Kamel A., ont déjà prévenu que certains de ceux qui figurent dans le « top 100 » des narcotrafiquants ciblés par les autorités seraient forcément « susceptibles d’organiser des représailles,n’ayant plus rien à perdre ». De quoi mettre le monde de la pénitentiaire en état d’alerte. D’autant que certains auraient évoqué « une possible atteinte aux établissements haute sécurité aux fins d’empêcher leur ouverture ». Des menaces évoquées par le ministre, mardi après-midi à Toulon.
L’une des plus grandes préoccupations de ces narcotrafiquants est le régime de parloir avec hygiaphone et la limitation des conversations téléphoniques autorisées. Certains auraient déjà contacté leur avocat pour engager des recours contre leur affectation dans ces quartiers qu’ils estiment certaine compte tenu de leur position dans l’échelle du crime organisé. Selon nos informations, dans le grand banditisme corse, certains menaceraient aussi de faire une grève de la faim. Un peu comme Rédoine Faïd l’avait tenté l’hiver dernier depuis le quartier d’isolement de Vendin-Le-Vieil justement, où il est toujours. P. G.
Le Figaro - le 16 avril 2025