Des infrastructures légères pour combler l’absence de nouvelles cellules « en dur »

La surpopulation carcérale, sujet brûlant. Les derniers chiffres de la pénitentiaire, en mars 2025, affichent 82 000 détenus pour 62 000 places net. Au vu des entrées actuelles, un nouveau record sera battu le mois prochain.


• Paule Gonzalès

« La direction de l’administration pénitentiaire anticipait 85 000 détenus en 2030. Mais à ce ­rythme, nous savons que ce n’est plus qu’une affaire de mois », prévient-on dans les milieux pénitentiaires. Laurent Ridel, inspecteur général de la justice et ancien directeur de l’administration pénitentiaire, aime à rappeler que « la pénitentiaire est le seul service public qui ne dit jamais “stop” ».

Dans le grand Sud, particulièrement impacté, la marge de manœuvre est inexistante. Entre les établissements de Toulouse totalement sinistrés, ceux de Perpignan, pour lesquels le directeur de l’administration pénitentiaire a dû imposer des transferts l’an dernier et ceux de Nîmes, totalement asphyxiés, « nous pouvons encore ajouter 200 matelas, mais pas un de plus », laisse-t-on filtrer. Les quartiers de semi-liberté ne sont pas épargnés, avec déjà 94 % d’occupation, « et parfois des pics à 150 % », note Wilfried Fonck de l’Unsa-surveillants pénitentiaires (Ufap), qui rappelle que ces structures servent de déversoir aux maisons d’arrêt.

Les sorties automatiques à quatre mois de la fin de peine n’endiguent pas le flot. Quant à celles liées à un aménagement de peine, elles n’ont cessé d’augmenter pour atteindre 46,9 % des sorties totales, contre 30 % en 2021, alors que 38,1 % tout de même concernent des atteintes aux personnes. Pour des raisons de coût, la détention à domicile sous bracelet électronique est souvent privilégiée, mais la semi-liberté représente toujours 30 % des aménagements de peine.

Pour autant, à son arrivée Place Vendôme, le garde des Sceaux a douché froidement les espoirs de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), qui rêvait d’une régulation carcérale façon Covid : en 2020, 13 000 détenus avaient été libérés en quelques semaines, ce qui avait fait passer pour la première fois depuis plus d’une décennie le nombre de détenus en dessous du nombre de places. Seuls 18 mois avaient suffi pour renouer avec la surpopulation carcérale. La faute à la multiplication par trois des incarcérations pour violences intrafamiliales et à l’embrasement du trafic de stupéfiants ces dernières années : 17 000 individus, dont 5 000 réputés dangereux, sont aujourd’hui détenus pour des infractions liées au narcotrafic.

C’est pour cette raison qu’en plus d’une réforme des peines, Gérald Darmanin a promis, d’ici à la fin 2027 voire à 2028, la construction de 3 000 places de prison « légères ». Le document de présentation de la loi de finances 2025 pour la pénitentiaire, transmis aux organisations syndicales le 21 mars dernier, évoque déjà une enveloppe distincte non déterminée « qui permettra de financer un plan d’urgence immobilier visant à accroître les capacités d’accueil des établissements par l’implantation de constructions modulaires sur les domaines pénitentiaires existants ».

« Les nouvelles places faites pour les délits les plus faibles seront moins onéreuses que celles d’établissements sécurisés, jusqu’à une fois et demie moins cher. Mais cela veut dire que Vendôme cherchera aussi à dégager une marge sur les frais de personnels, puisqu’il n’y aura pas de mirador, pas d’atelier et pas d’activités comme en détention classique. Cela dégagera du budget pour faire autre chose », analyse Emmanuel Chambaud, secrétaire général Ufap-Unsa-justice.

Au total, pour l’année 2025, les crédits d’investissement immobilier dévolus aux opérations pilotés par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) se montent à 448 millions d’euros pour « le programme 15 000 places ». Ils permettront notamment « la livraison du DAC de Nîmes, du centre pénitentiaire de Baumettes 3 et de la structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) de Ducos, ainsi que la livraison de la première phase de la maison d’arrêt de Basse-Terre. Ces opérations totaliseront 1 010 places supplémentaires », se félicite le document. Elles s’ajouteront donc aux 4 099 nouvelles places nettes créées, depuis le temps où Jean-Jacques Urvoas était garde des Sceaux, après le gel imposé par Christiane Taubira.

La Chancellerie atteindra donc, fin 2025, à peine un tiers de l’objectif des 15 000 places annoncées par Emmanuel Macron en 2017. Des places qui avaient été décidées lors du quinquennat Sarkozy entre 2007 et 2012. En 2024, les coups de rabot budgétaire intempestifs avaient aussi ralenti les travaux et endigué tous les financements promis.

Aujourd’hui, la direction de l’administration pénitentiaire affirme que « les travaux se poursuivront en 2025 sur plusieurs opérations en chantier : Bordeaux-Gradignan, Baie-Mahault, Basse-Terre, Arras, Entraigues (nouvelle maison d’arrêt de Rivesaltes) et Tremblay ». Cette dernière maison d’arrêt doit décharger celle de Villepinte, championne de France de la surpopulation carcérale avec 200 % de taux d’occupation. Ensemble, elles totaliseront 2 000 détenus. Des mastodontes qui semblent passés de mode à l’heure des structures légères. Aussi, nul ne sait à quel rythme ces derniers avanceront et il est probable qu’un net ralentissement leur sera infligé.

En suspens aussi, les travaux des maisons d’arrêt de Vannes et de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, pourtant urgents. Tous les autres projets qui ne sont qu’à l’état d’étude, à l’exception de la maison d’arrêt d’Angers, sont tout bonnement abandonnés. De quoi inquiéter les professionnels, qui font remarquer qu’il n’y a pas que des délinquants légers qui vont en prison. « Il serait très périlleux de renoncer à rechercher du foncier pour les plus grandes opérations, notamment pour la région parisienne saturée. Chaque projet suspendu impliquera des coûts majorés à la reprise, car il faut relancer tous les processus d’appel d’offres et d’embauches. Plutôt que d’abandonner complètement les grands projets nécessaires, peut-être faudrait-il commencer à revoir ceux qui pourraient être revus à la baisse en termes de coûts, en réduisant l’exigence de normes », tente-t-on de proposer du côté des professionnels de l’immobilier pénitentiaire. P. G.

Le Figaro, le 14 avril 2025

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