Attaques contre les prisons Plongée dans le canal Telegram du groupe «DDPF»

Menaces, revendications, critiques de Gérald Darmanin… «Libération» a pu consulter les messages postés par «Défense des droits des prisonniers français», qui a revendiqué une partie des actions contre des centres pénitentiaires ces derniers jours.


Depuis les premières attaques contre des prisons et des véhicules de surveillants pénitentiaires, les autorités enquêtent sur une série d'incidents coordonnés, principalement en région parisienne et dans le Sud de la France. Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a ouvert une enquête pour des faits incluant des tirs à l'arme lourde et des incendies, revendiqués par un groupe se faisant appeler "DDPF" (Défense des droits des prisonniers français) sur Telegram.

Le canal Telegram de DDPF, suivi par environ un millier d'abonnés, a publié des vidéos des attaques et des messages menaçants à l'encontre des surveillants pénitentiaires. Les publications mêlent revendications, critiques des conditions de détention en France, et attaques personnelles contre le ministre de la Justice, Gérald Darmanin.

Les auteurs des messages restent difficiles à identifier, et les hypothèses sur leurs motivations varient entre une réaction du narcotrafic à des mesures répressives et une action de l'ultragauche. Les messages du groupe appellent à la solidarité entre détenus et menacent directement certains agents pénitentiaires, tout en critiquant vivement Darmanin.

L'enquête se poursuit pour déterminer l'origine et les motivations exactes de ces attaques.

• Par Anaïs Condomines, Fabien Leboucq et Jacques Pezet

Soixante-douze heures après les premiers feux, on en sait toujours peu sur les atteintes aux prisons et aux véhicules garés autour des établissements pénitentiaires français. Une douzaine de sites ont été touchés, principalement en région parisienne et dans le Sud, pour la plupart dans la nuit de lundi à mardi. Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a ouvert, mardi, une enquête pour «dégradation ou détérioration en bande organisée du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes en relation avec une entreprise terroriste», «association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteinte aux personnes», et «tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste commise sur une personne dépositaire de l’autorité publique».

Sous ce chef d’accusation, le Pnat vise les tirs à l’arme lourde qui ont touché la porte de la prison de La Farlède, près de Toulon (Var). Dans la nuit de mardi à mercredi, le parquet antiterroriste s’est saisi de faits nouveaux : l’incendie de véhicules devant le centre pénitentiaire de Tarascon (Bouches-du-Rhône), devant le domicile d’un agent pénitentiaire de la prison de Luynes à Aix-en-Provence, et l’incendie d’une porte d’immeuble (où réside une agente) et d’un véhicule en Seine-et-Marne. Le Pnat explique s’être saisi à cause de «la nature» de ces faits, de leur «caractère concerté», du «trouble à l’ordre public» qu’ils suscitent et parce qu’ils ont été revendiqués «sur les réseaux sociaux par un groupe baptisé "DDPF - Défense des prisonniers français"». Une référence à un canal Telegram créé samedi, aussi parfois appelé «Défense des droits des prisonniers français» et que Libération a pu consulter.

Dégradations

A partir de mercredi, cette boucle forte d’un gros millier d’abonnés a vu plusieurs de ses publications être suspendues par la plateforme. Parmi elles : des vidéos montrant le début des incendies de plusieurs véhicules. Nous avons pu localiser celles filmées devant l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire, à Agen, et sur les parkings des prisons de Nanterre (Hauts-de-Seine), Réau (Seine-et-Marne), Valence, et Nîmes. Dans les trois premiers cas, des inscriptions «DDPF» sont présentes (peintes au sol ou écrite sur un bout de carton). Toutefois, Ici (anciennement France Bleu) relève que dans le Gard ce sont les lettres «DDPP» qui ont été peintes sur le mur de la maison d’arrêt. Toujours sur le canal Telegram, on voit aussi des personnes taguer «DDPF» dans une séquence localisée à Luynes-Aix-en-Provence. Une autre vidéo de véhicules en feu a été filmée à Villepinte (Seine-Saint-Denis), d’après les administrateurs du groupe.

A notre connaissance, d’autres faits n’ont donc pas fait l’objet de revendications explicites sur ce canal. C’est le cas des dégradations à Marseille, sur un parking à proximité de locaux de la protection judiciaire de la jeunesse et de logements sociaux où vivent des agents pénitentiaires, où de nombreux tags «DDPF» ont été inscrits sur des voitures, d’après des photos parues dans la Provence. Quant aux tirs à l’arme lourde sur la prison de La Farlède-Toulon, ils sont accompagnés d’une autre inscription discordante : «DDPM.»

Toutes prolixes qu’elles soient, les personnes derrière le groupe sont difficilement identifiables. Mardi, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a d’abord désigné les faits comme une réaction des tenants du «narcotrafic» à la lutte contre la criminalité organisée et à la création d’un régime plus strict de détention. Dans le même temps, plusieurs médias se prévalant de sources sécuritaires associaient le groupe DDPF à l’«ultragauche».

«Démissionnez»

La lecture des publications sur le canal Telegram ne permet de confirmer aucune de ces hypothèses. S’y mélangent, en plus des revendications, des vidéos postées en ligne ou issues de reportages télé qui soulignent les mauvaises conditions de détention en France - ou dans une moindre mesure la corruption d’agents pénitentiaires. Sont aussi postés des textes plus ou moins clairs sur ces sujets. Comme lundi, où DDPF publie un message sibyllin : «Nous défendrons les droits de nos frères et sœurs détenus, quitte à donner notre vie. Soyons solidaires ! L’union, ils détestent ça. Ils cherchent à nous diviser pour mieux régner. N’oubliez pas les anciens : dans les années 1990, ils ont défendu nos droits. C’est grâce à eux que vous pouvez fumer et regarder la télé aujourd’hui. Nous avons de gros investisseurs derrière la DDPF.»

Le groupe menace à plusieurs reprises les surveillants de prison, dans leur ensemble - «Démissionnez tant qu’il en est encore temps. Gérald Darmanin ne va pas protéger tous les surveillants de France», lisait-on mercredi. Et parfois même nommément. En effet, l’une des publications les plus récentes (et supprimée) vise un agent pénitentiaire d’Aix-Luynes qui s’est exprimé à la télévision. Une première vidéo montre le surveillant en uniforme à côté de son véhicule, dont la plaque d’immatriculation est clairement identifiable. Puis une autre désigne une boîte aux lettres où apparaissent le nom du gardien et de nouveau la plaque de sa voiture. Et enfin dans une troisième, filmée de nuit, un homme montre son smartphone sur lequel apparaissent les lettres «DDPF», et le véhicule en flammes. Cette attaque a été recensée comme ayant eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi.

Aussi, DDPF vilipende abondamment Gérald Darmanin - la photo du groupe a un temps été une représentation du ministre derrière des barreaux. Avec une pique presque enfantine : «M. Darmanin, c’était pour vous dire, M. Retailleau est plus bon que vous, vous n’allez même pas passer le premier tour à la présidentielle 2027.» Contactés, les administrateurs du groupe n’avaient pas répondu à l’heure où ces lignes sont écrites.

Libération - le 17 avril 2025

PLAN DU SITE - © la FRAMAFAD PACA & CORSE- 2025 - Pour nous joindre