MARSEILLE Le metteur en scène Joël Pommerat s’est inspiré de la pièce de Marcel Pagnol pour en tirer une histoire d’aujourd’hui, jouée par d’anciens détenus de la maison centrale d’Arles.
Marseille - "Marius", une pièce de théâtre née en prison
— framafad paca corse (@WaechterJp) January 8, 2025
Le metteur en scène Joël Pommerat s’est inspiré de la pièce de Marcel Pagnol pour en tirer une histoire d’aujourd’hui, jouée par d’anciens détenus de la maison centrale d’Arles. @laprovence pic.twitter.com/dwg3DaahKI
• Marie-Ève BARBIER
À Marseille, Fanny (Élise Douyère) est coiffeuse, Panisse (Bernard Traversa) possède un magasin de scooters, Marius (Michel Galera) travaille dans la boulangerie de son père (Jean Ruimi), où il rêve de voyages et fait face à un dilemme : prendre le large ou rester auprès de celles et ceux qu’il aime. Pour réécrire et mettre en scène la comédie de Marcel Pagnol, présentée dans une première version en milieu carcéral, Joël Pommerat a fait appel à l’imagination des interprètes (anciens détenus et comédiens) pour proposer une adaptation contemporaine de la pièce où le parler marseillais a changé de siècle. Entretien avec Joël Pommerat.
Vous aviez promis aux deux acteurs de tourner leur pièce à leur sortie de prison. Promesse tenue ! La fidélité en amitié et dans le travail estelle importante pour vous ?
Oui ! Je suis venu en prison pour faire du théâtre à l’invitation, si l’on peut dire, d’un détenu, Jean Ruimi, qui voulait mettre en scène son texte. L’administration pénitentiaire cherchait des metteurs en scène pour ce projet et m’a contacté. La rencontre s’est faite humainement et artistiquement, j’ai eu envie de m’investir.
Quatre personnes de la tournée de Marius étaient présentes à la création : Jean Ruimi (César), Michel Galera (Marius), Ange Melenyk (Escartefigue) et la comédienne Élise Douyère (Fanny). C’est donc une troupe de personnes qui ont rencontré le théâtre à l’intérieur des murs d’une prison. Nous avions envie de continuer après la prison. Cela ne s’arrêtera pas à ces deux spectacles, nous continuerons à créer.
La première représentation au théâtre a dû être une sacrée émotion !
Le théâtre, c’est une relation aux autres, à ceux qui regardent et à ces partenaires. Pour atténuer ce que vous dites, nous avons joué le spectacle une douzaine de fois en prison devant des jauges de 50 à 80 personnes, dont des personnes extérieures qui avaient des autorisations spéciales. Les acteurs avaient déjà l’expérience de la rencontre avec le public.
"Dans d'autres prisons, à d'autres moments, la porte se serait refermée sur une telle demande émanant d'un détenu. ,,
L’institution carcérale attache donc une importance à l’art. Vous attendiez-vous à une telle ouverture ?
Cette institution est composée d’individus. Certains responsables ont à cœur d’en faire un lieu "intelligent", qui ne se limite pas à la punition.
Christine Charbonnier, directrice de la prison d’Arles à l’époque, a permis à cette initiative de se dérouler. Dans d’autres prisons, à d’autres moments, la porte se serait refermée sur une telle demande émanant d’un détenu. On ne peut malheureusement pas généraliser cette affirmation.
Vous êtes auteur-metteuren scène, vous écrivez pour vos acteurs. Jean Ruimi vous donne-t-il envie d’écrire ?
C’est dans ma façon de travailler que d’écrire en collaboration, avec et pour les interprètes que j’ai choisis. Je "prends" des choses chez chacun d’entre eux. Jean Ruimi a une vie pleine.
Une richesse et un potentiel fort se dégagent de lui. Évidemment c’est intéressant dans le cadre d’une réécriture de Pagnol.
Est-ce lui qui a choisi Pagnol ?
Non, c’est moi. Le hasard s’en est mêlé. Je l’ai choisi car la relation entre un père et un fils est au cœur de la pièce. Pour connaître les histoires en prison, il est souvent question de relation de père à enfant. J’ai senti que l’on avait un point de départ puissant. L’œuvre de Pagnol m’a accompagné dans ma jeunesse. La reprendre telle qu’elle me semblerait une erreur. C’est une réécriture, ce n’est pas une adaptation.
Vous vous êtes souvent inspiré des contes, "Le Petit Chaperon rouge", "Pinocchio". Les pièces de Marcel Pagnol sont-elles des contes au sens où elles sont entrées dans la mémoire collective ?
Le conte décrit souvent des relations structurantes dans l’histoire de l’humanité. Nous parlions d’une relation d’un père à un fils. Il est souvent question de filiation, d’héritage dans les contes.
C’est le cas dans Marius. J’ai un peu repensé la pièce de Pagnol en la comparant à une structure de conte. Cela a permis de la resserrer et d'en faire ressortir les grands thèmes.
Marius trahit son père pour la mer et la liberté. Vous-même avez déjà évoqué en interview la trahison de votre père qui ne voulait pas d’une carrière artistique pour vous. Avez-vous pensé à cela en montant la pièce ?
Parfois on fait des choses inconsciemment ! Je n’y ai pas pensé sur le moment. Je fais partie des gens qui détestent écrire à partir d’eux-mêmes. Je suis plutôt pudique ! Mais comme par hasard, des sujets sont en relation forte avec ma vie, et finalement, cela s’explique très bien psychologiquement.
Réécrire la partie de cartes n’est-ce pas délicat ?
La partie de cartes est importante dans Marius. Que faire de ce passage obligé ? Il faut le traiter sans être trop en dessous de ce qu’elle a été dans l’œuvre originale. Il faut se l’approprier et donc la rendre différente et l’intégrer à la cohérence de l’œuvre que l’on produit.
Je ne sais pas si on l’a réussie, je crois qu’on ne l’a pas ratée. On amène un élément de surprise aussi.
Cela sera donc un "Marius" avec l’accent puisque les acteurs sont du Sud.
Oui, Jean Ruimi est Marseillais et tous les acteurs sont du 13. Cela paraît difficile de monter Marius sans l’accent. Cette œuvre est vraiment écrite à partir de Marseille.
Il ne faut pas en faire quelque chose de pittoresque, de folklorique, de carte postale, c’est la difficulté. Il faut que cela parle comme on parle aujourd’hui. Ce ne sont pas les années 1930, c’est vraiment notre monde contemporain.
Jouer cette pièce au théâtre du Zef à Marseille sera-t-il un moment particulier ?
Évidemment ! En fait, nous l’avons déjà jouée à Marseille aux Baumettes en 2019, juste avant la démolition des anciens bâtiments. À ce moment-là, quasiment toute la troupe était encore détenue. Cette fois-ci, on la joue sous un régime de liberté ! Il y aura évidemment beaucoup de proches des acteurs, la représentation sera donc teintée d’une certaine émotion.
"Marius", une coproduction du Gymnase hors les murs, à découvrir au Zef, du 7 au 11 janvier. 10/15 €. lestheatres.net
Un théâtre en construction aux Baumettes
Un théâtre est en construction dans le nouveau centre pénitentiaire des Baumettes. "Il y aura pour la première fois un vrai théâtre dans une prison en France, avec un vrai plateau, un équipement technique, explique Joël Pommerat, qui mène depuis de nombreuses années des ateliers en prison et qui est artiste associé du projet. Cela sera un lieu de formation aux métiers du spectacle. Il servira aussi à la création et aux représentations." Les travaux du théâtre seront achevés en 2025, et le théâtre sera opérationnel mi-2026.
La Provence, le 7 janvier 2025