Une jeune surveillante de la prison de Grasse (Alpes-Maritimes) a été suspendue avant même d’être titularisée. Elle est soupçonnée d’y avoir fait entrer un téléphone destiné au Boucher de Marseille.
« Lucile, on veut des iPhone »
— framafad paca corse (@WaechterJp) March 13, 2025
Une jeune surveillante de la prison de Grasse (Alpes-Maritimes) a été suspendue avant même d’être titularisée. Elle est soupçonnée d’y avoir fait entrer un téléphone destiné au Boucher de Marseille. @le_Parisien pic.twitter.com/GTkwzGv4bD
• Nicolas Jacquard
Fin 2023, Sébastien Cauwel avait posé le débat. Alors directeur de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Énap), il avait vertement rappelé à l’ordre les 800 élèves de la 216 e promotion. Pêle-mêle, il leur était reproché des bagarres sur fond d’alcool, un concours de fellation à la laverie ou des vols, faits marquants d’une longue liste de dérives et incivilités. Le directeur avait alors espéré que « le passage en stage fasse évoluer certains » élèves.
Pour au moins l’une d’elles, c’est raté. Selon nos informations, il a été demandé l’exclusion de l’administration de Lucile Z., 24 ans. À titre préventif, elle a déjà été suspendue quatre mois en novembre pour des soupçons de corruption, qui font par ailleurs l’objet d’une enquête judiciaire, comme nous l’a confirmé le parquet de Grasse (Alpes-Maritimes).
Lucile Z. avait été affectée à la maison d’arrêt de cette même ville il y a tout juste un an. Et d’emblée, l’erreur de casting avait paru manifeste. Chaque stagiaire est évalué à trois, six et neuf mois. Un premier rapport, auquel « le Parisien » - « Aujourd’hui en France » a eu accès, note, dès le mois de juin, « de nombreux retards » mais aussi des « manquements », parmi lesquels des ouvertures de plusieurs portes de cellule à la fois, ainsi qu’un « manque d’ascendant sur la population pénale ». « Doit se ressaisir ! », note son supérieur.
Elle appelle les prisonniers par leurs surnoms
Ça ne sera pas le cas. Quelques mois plus tard, la directrice de la maison d’arrêt estimera en effet que Lucile Z. « passe son temps dans le bureau en compagnie des détenus au lieu de faire le travail demandé ». Elle est même « tellement proche de certains qu’elle se permet de les appeler par leurs surnoms ». Au-delà de la familiarité, la suite va révéler des agissements dont certains pénalement répréhensibles. Le 11 mai, Lucile Z. et une collègue passent près de vingt minutes dans les cellules de deux détenus « sensibles ». Une semaine plus tard, le 18 mai, alors que la même Lucile Z. travaille cette fois la nuit, on découvre via la vidéosurveillance qu’elle a passé sept minutes dissimulée derrière la porte d’un autre détenu, pendant lesquelles elle prenait des notes.
Le 15 octobre, elle est la dernière à occuper un mirador dont l’écran de contrôle est, après coup, retrouvé cassé. Pour se dédouaner, Lucile Z. imite la signature d’un collègue afin de faire croire que l’écran était hors service à sa prise de poste. Elle dira pour sa défense avoir paniqué. Une autre fois, elle est surprise en train de glisser un DVD sous une porte, donné par un détenu à un autre, classé « particulièrement surveillé ».
Le 20 octobre, une rumeur tenace se met à circuler au sein de l’établissement. Elle dit que Lucile Z. aurait fait entrer un iPhone en détention. Et le bruit enfle. En promenade, un surveillant est confronté à des détenus qui demandent à voir Lucile. « Elle est sympa, elle fait entrer les téléphones au bâtiment A, justifient-ils. On veut la même chose pour le B. » « Lucile ! Nous aussi, on veut des iPhone ! », scande un autre groupe, toujours en promenade.
Début novembre, un téléphone est justement retrouvé dans un sachet plastique caché dans une casserole de pâtes. Loin d’être anodine, cette saisine fait clignoter toutes les alarmes. Car, selon le renseignement pénitentiaire, le destinataire final du téléphone était un détenu au profil particulièrement inquiétant : Malik B. Surnommé le Boucher de Marseille, en détention provisoire à Grasse pour meurtre et trafic de stupéfiants, ce dernier était alors à l’isolement. Le 10 juillet, toujours selon nos informations, ce même Boucher avait en effet prétexté vouloir se rendre à la douche. Au surveillant qui lui ouvrait, il avait demandé de pouvoir apporter de l’eau chaude à son voisin de cellule, Ouissem H., lui-même en détention provisoire pour assassinat.
Le surveillant n’avait pas mesuré le risque. Il avait laissé entrer le Boucher dans la cellule de Ouissem H., alors en train de dormir. Malik B. lui avait jeté le contenu de la casserole, le blessant très grièvement à la tête, au torse et au coude. Ouissem H. avait dû être transféré au service des grands brûlés de l’hôpital de la Conception, à Marseille (Bouches-du-Rhône).
Lucile Z. est à nouveau convoquée. Elle ne se démonte pas. Si elle éclate en sanglots, c’est « de façon forcée », selon la direction, puis la stagiaire s’emporte : « Pourquoi moi ? », explose-t-elle, en plaidant que beaucoup de ses collègues font aussi entrer des téléphones en détention. « Elle est dangereuse. C’est une manipulatrice, dit d’elle sa supérieure. Elle parle bien et pleure sur commande. »
Déjà impliquée dans une affaire de stupéfiants
Décision est prise de s’en séparer. Mais alors que l’enquête administrative est lancée, il apparaît que la jeune femme, avant même d’intégrer l’Énap, présentait des antécédents judiciaires autrement sérieux que ses états de service. En 2021, elle conduisait sans assurance. En 2022, elle était mise en cause dans une affaire se déroulant à la prison de Béthune (Pas-de-Calais). Avec cinq autres personnes, Lucile Z. avait été impliquée dans des projections de stupéfiants par-dessus les murs de la prison. En 2023, elle était contrôlée cette fois à bord d’un véhicule faussement immatriculé.
Enfin, l’été dernier encore, alors qu’elle se trouvait dans le Nord, Lucile Z. avait été interpellée en état d’ivresse au volant. Un contrôle tout sauf fortuit. Les policiers avaient en effet été appelés pour des violences sur conjoint dont elle était l’autrice, et qui valent, là encore, à la tempétueuse stagiaire d’être poursuivie.
Contactée, l’administration pénitentiaire tient à préciser qu’« au moment de son recrutement, aucune condamnation ne figurait au bulletin n° 2 de son casier judiciaire ». Les recherches du service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas) avaient alors logiquement conclu à un avis favorable pour son recrutement.
L’administration rappelle en outre que, « dès qu’elle en a eu connaissance », soit le 25 octobre 2024, « la direction de l’établissement a signalé les manquements de cet agent auprès du procureur au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale ».
Aujourd’hui en France, le 10 mars 2025