"Une contre-réaction évidente aux annonces sur la loi narcotrafic"

Avocat général près la cour d’appel de Versailles, spécialiste des mafias, David Sénat analyse l’évolution d’un narcobanditisme qui cible le système carcéral.

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David Sénat, avocat général à la cour d’appel de Versailles et spécialiste des mafias, analyse les récentes attaques contre les prisons françaises comme une réaction coordonnée à la nouvelle loi sur le narcotrafic. Il souligne que ces attaques, bien que surprenantes par leur coordination, ne sont pas inédites en termes de criminalité organisée.

Sénat critique l'idée d'associer ces actions à l'ultragauche, estimant qu'il s'agit clairement de criminalité organisée. Il met en garde contre les agressions ciblant les domiciles et les véhicules des agents pénitentiaires, qui révèlent une stratégie d'intimidation et de corruption.

Il approuve les propositions de Gérald Darmanin et Bruno Retailleau pour centraliser les poursuites et créer des prisons dédiées, mais appelle à une politique pénale nationale plus cohérente. Il suggère la création de cours d’assises spécialisées sans jurés pour juger le crime organisé, avec des peines plus dissuasives, afin de contrer l'influence des réseaux de narcotrafic.

• Propos recueillis par F.T.

Avocat général à la cour d’appel de Versailles, David Sénat a travaillé aux ministères de la Justice et de l’Intérieur et est l’auteur d’ouvrages sur la mafia.

Quel regard portez-vous sur les attaques inédites contre les prisons ?

Le phénomène est étonnant, mais pas tant que ça. On ne découvre pas la criminalité organisée en prison et à l’extérieur. Ce qui est surprenant et inédit, c’est le caractère coordonné des attaques. Elles sont une contre réaction assez évidente aux annonces sur la loi narcotrafic. Ce qui est amusant, c’est de voir qu’on convoque l’ultra gauche pour provoquer la saisine du parquet antiterroriste et donner une coloration dramatique et politique. Alors que c’est de la criminalité organisée. Mais le plus grave n’est paradoxalement pas les attaques de prison, car ces établissements savent y faire face. Ce sont les agressions sur les lieux d’habitation et les voitures des agents pénitentiaires. La criminalité organisée va contourner l’obstacle en jouant sur la fragilité des ressources humaines. Elle va les intimider, certains seront corrompus, certains le sont déjà. On démantèle actuellement un réseau à Pontoise.

Changeons-nous de dimension, comme en Italie ou en Amérique du Sud ?

Au Mexique ou au Brésil, les prisons sont tenues par les mafias. On n’en est pas du tout là en France, mais le bas du spectre est touché, car on n’arrive pas à recruter ces agents pour un métier dévalorisé et des rémunérations modestes. Globalement, le modèle français est bon. Les propositions de Darmanin et Retailleau de centraliser les poursuites et les jugements, de créer des prisons dédiées, sont plutôt bonnes. Après avoir vécu dans un déni de réalité pour des raisons politiques et techniques, on accepte une nouvelle grille de lecture plus exigeante et fine.

La méthode est-elle efficace ?

On comprend l’affichage politique, car les ministres ont un calendrier politique restreint et envoient des signaux lisibles à l’opinion. Mais le plus dur va commencer. Créer un parquet dédié à la criminalité organisée renvoie à une forme d’efficacité, comme en matière de terrorisme. Mais c’est insuffisant en soi. Ce qui manque, c’est une politique pénale nationale qui définisse clairement des critères de saisine de la future juridiction spécialisée. Il faut aussi revoir l’efficacité des services de police judiciaire en adaptant les services territoriaux au nouvel état-major. Je crois aussi à la nécessité de poursuivre le crime organisé devant des cours d’assises spécialisées sans jurés, avec des peines suffisamment dissuasives, comme aux États-Unis. Aujourd’hui, les peines sont gérables par l’écosystème du narcotrafic qui continue à fonctionner et soutient les détenus et les familles.

La Provence - le 17 avril 2025

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