PÉNITENTIAIRE Après les attaques contre des établissements et des agents menacés, la justice étudie plusieurs pistes, du crime organisé à l’ultragauche. Des voix dénoncent la surenchère sécuritaire
Après les attaques contre des établissements et des agents menacés, la justice étudie plusieurs pistes, du crime organisé à l’ultragauche. Des voix dénoncent la surenchère sécuritaire. @lhumanitemidcp2 pic.twitter.com/W7mDBIbYfU
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 18, 2025
Une série d'attaques coordonnées a visé plusieurs établissements pénitentiaires et des agents, notamment à Tarascon, Aix-Luynes, et Villenoy. Des véhicules ont été incendiés et des inscriptions "DDPF" (Défense des prisonniers français) ont été retrouvées sur les lieux. Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a pris en charge l'enquête, évoquant une action concertée visant à intimider et troubler l'ordre public.
Le syndicaliste Ahmed El Hoummass critique les annonces médiatiques sur le durcissement des conditions de détention, les jugeant électoralistes et dangereuses pour les gardiens. Il souligne la surpopulation carcérale et le besoin de solutions autres que sécuritaires. Le groupe DDPF, revendiquant les attaques, dénonce les conditions de détention et les fouilles humiliantes, tout en menaçant de nouvelles actions.
Le ministre Bruno Retailleau a déclaré que les auteurs des attaques devraient être incarcérés et surveillés par les mêmes agents qu'ils visent, ce qui, selon El Hoummass, ne fait qu'aggraver la situation.
Trois véhicules ont été incendiés, dans la nuit du 15 au 16 avril vers 5 h 20, sur le parking de la prison de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, a indiqué le procureur de la République de la ville, Laurent Gumbau. Un des véhicules appartenait à un agent de la prison, un autre à une entreprise sous-traitante du centre de détention. Le troisième, totalement détruit, n'avait pas encore été identifié au moment où le procureur s'est exprimé. Un autre véhicule, appartenant à un surveillant de la prison d'Aix-Luynes, a été incendié, cette même nuit, devant son domicile et des inscriptions « DDPF » (pour « Défense des prisonniers français » - NDLR), semblables à celles retrouvées dans des établissements pénitentiaires, ont été découvertes dans le hall d'un immeuble où habite une surveillante pénitentiaire à Villenoy (Seine -et-Marne), où un début d'incendie a aussi été constaté.
Ces actions interviennent après que, la veille, à Nîmes, Nanterre, Valence et ailleurs, plusieurs établissements de détention ont été visés par des incendies de véhicules, et qu'à Toulon six impacts de kalachnikov ont été relevés sur la porte d'entrée de la prison, tout comme sur le portail d'entrée de la maison d'arrêt d'Aix -Luynes, à Aix -en - Provence.
«La nature de ces faits, les cibles choisies et le caractère concerté d'une action commise sur de multiples points du territoire, ainsi que l'objectif (...) de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation tel que revendiqué sur les réseaux sociaux par un groupe baptisé "DDPF" conduit, à ce stade, le Parquet national antiterroriste (Pnat) à s’en saisir», a fait savoir le Pnat dans un communiqué du 16 avril. À la sortie du Conseil des ministres, le même jour, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a toutefois soutenu l'idée qu'il reste «plusieurs lectures possibles de ces attaques qui semblent coordonnées », dont notamment celle d'actes liés au crime organisé.
Pour Ahmed El HOUMMASS, représentant de la CGT pénitentiaire à la prison de Perpignan, où deux voitures ont été incendiées, sur le parking du personnel, il y a quelques mois, ces attaques étaient prévisibles et sont directement liées à la multiplication des annonces médiatiques sur le durcissement des conditions de vie en prison. « Ces déclarations exposent, en premier lieu, les gardiens et sont faites dans un but purement électoraliste par un ministre de la Justice qui, dans une sorte de course à l’échalote avec le ministre de l'Intérieur, cherche à exister médiatiquement à coups de commentaires sur des faits divers », dénonce le syndicaliste. Il rappelle, en outre, que le rôle des agents pénitentiaires n'est pas de rendre plus difficile la vie des prisonniers. « Notre mission principale, c'est la garde et la réinsertion, insiste - t - il.
« Le problème des prisons françaises, c'est qu'on compte 83000 personnes incarcérées pour 65 000 places.»
AHMED EL HOUMMASS, GARDIEN CGT
On n'est pas là pour priver de droits les détenus. Les conditions de détention que souhaite Instaurer Gérald Darmanin ont de grandes chances d'être contestées par la Cour européenne des droits de l'homme. » Pour lui, priver, par exemple, certains détenus de tout contact avec leur famille ne peut qu'engendrer « automatiquement des représailles ».
DE L'HUILE SUR LE FEU
Les déclarations inquiétantes du groupe DDPF, qui revendique ces attaques via la messagerie cryptée Telegram, vont dans le même sens. «Nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes là pour défendre les droits de l’homme à l'intérieur des prisons » , peut-on y lire parmi des messages visant les gardiens de prison, tout en dénonçant, notamment, des fouilles « humiliantes » .
Pour Ahmed El Hoummass, la réponse sécuritaire n'est pas la bonne. « Le problème des prisons françaises, c'est qu'on compte 83 000 personnes incarcérées pour 65000 places, assène- t -il. Près de 25 % des détenus relèvent de la psychiatrie. Mais on le sait bien : un lit en psychiatrie coûte plus cher qu'un lit en détention. » La question de la surpopulation relève donc bien, aussi, d’orientations gouvernementales. Et le gardien de prison d'ajouter : « On n'a pas à payer les pots cassés de choix politiques qui, de plus, pourraient changer, dans quelques mois, après une éventuelle dissolution de l'Assemblée nationale. »
Bruno Retailleau, quant à lui, s'évertue à jeter de l'huile sur le feu en déclarant : « Ceux qui s’en prennent aux prisons et aux agents ont vocation à être enfermés dans ces prisons et surveillés par ces agents. » Rien de mieux pour exposer encore un peu plus les gardiens de prison et attiser la violence. «Les démonstrations de force de ces derniers jours ne sont rien», menacent, d'ailleurs, les membres du groupe DDPF.
ÉMILIEN URBACH
L’Humanité - le 16 avril 2025