Attaques de prisons : la peur et la colère gagnent les agents pénitentiaires

Craignant pour leur intégrité physique et celle de leurs proches, les surveillants réclament des mesures de protection.

Depuis les attaques coordonnées contre les prisons françaises, les agents pénitentiaires expriment leur inquiétude pour leur sécurité et celle de leurs proches. Ils réclament des mesures de protection renforcées, notamment après les menaces et les vidéos publiées sur Telegram par le groupe "DDPF".

Les syndicats dénoncent un manque de protection historique et appellent à un renforcement de la discipline et de la sécurité dans les prisons. Ils craignent que la situation ne dégénère, avec des risques de grèves et de tensions accrues avec les détenus. Les agents demandent une réponse rapide et ferme de la justice, ainsi que des patrouilles renforcées autour des établissements pénitentiaires.

Malgré la mobilisation du ministre de la Justice, Gérald Darmanin, et des forces de l'ordre, les surveillants restent préoccupés par la coordination et l'ampleur des attaques, qui visent à intimider et déstabiliser le système pénitentiaire.

• Paule Gonzalès

Depuis dimanche et la vague d’attaques contre les prisons de France, ils sont aussi inquiets pour leur famille que remontés contre le « système ». Une colère qui n’est pas près de retomber même si, mercredi après-midi, Emmanuel Macron a promis que les personnes qui « cherchent à intimider » les agents pénitentiaires et « s’attaquent avec une violence inadmissible » aux prisons seraient « retrouvées, jugées et punies ».

« Bien sûr, l’inquiétude s’installe, car beaucoup de surveillants ont lu la boucle Telegram où ont été publiées des vidéos et des menaces. Aucun d’entre nous n’a envie que sa famille subisse ce que nous subissons au quotidien », affirme Samuel Gauthier, secrétaire général de la CGT-pénitentiaire. Mercredi, « nous nous sommes réveillés en nous demandant ce qui avait cramé dans la nuit. Nous craignions une recrudescence », témoigne Hervé Segaud, secrétaire national de FO-pénitentiaire.

Une nouvelle fois, un véhicule a brûlé au centre de détention de Tarascon, et une surveillante de l’établissement de Meaux-Chauconin a été suivie jusqu’à son domicile avant une tentative d’incendie dans son hall d’immeuble. Une voiture appartenant à un surveillant de la prison d’Aix-Luynes a également été incendiée devant chez lui. « Nous sommes en colère, car nous n’avons jamais été protégés, au point qu’aujourd’hui, nos familles peuvent être menacées, explique Hervé Segaud. Si les nouvelles mesures contre les narcotrafiquants font autant réagir, c’est bien parce qu’au fil des ans, nous avons perdu du terrain en détention. Si nous n’avions pas glissé du côté du laxisme toutes ces années, la réaction ne serait pas si violente. »

« Cela fait des années que nous réclamons plus de discipline, de rigueur et de fermeté. Et ce retour en arrière, ce virage sécuritaire va être difficile. Mais nous sommes prêts à garder le cap, nous sommes solidaires et nous n’allons pas lâcher », martèle le syndicaliste. « Nous sommes révoltés mais en rangs serrés », renchérit Emmanuel Chambaud, secrétaire général d’Ufap-Unsa-justice. « Il est hors de question de faire machine arrière quant aux narcotrafiquants. Nous les voyons agir depuis longtemps. Il y a eu Incarville l’an dernier, aujourd’hui ils viennent aux abords des établissements et menacent nos domiciles. Il y avait déjà eu des précédents, même à Tarascon. Là, la différence, c’est que c’est une action coordonnée. »

« Il ne faut pas avoir la faiblesse de penser que l’on ne serait pas exposé si les nouveaux textes sur le narcotrafic n’avaient pas existé », souligne Sébastien Nicolas, à la tête de FO-pénitentiaire-direction. « Avant même la nouvelle loi, nous nous étions aperçus de l’ampleur du phénomène, qui touche tout le monde en France. Il y avait déjà des menaces sérieuses. Cela a été le cas aux Baumettes à Marseille pour la directrice et des membres de la direction, mais aussi il y a quelques mois à Saint-Quentin-Fallavier. Cela touche tout corps et tout grade. Nous avons la conviction qu’il faut renforcer les mesures pour un public difficilement gérable. »

Pour le personnel pénitentiaire, l’urgence est de neutraliser ceux qui ont frappé ces derniers jours. « Les enquêteurs doivent travailler vite et rafler les auteurs de ces actes. Car, si cela se poursuit, les surveillants seront à cran, et cela peut avoir une incidence sur la manière dont se comportent les détenus », prévient Wilfried Fonck, de l’Ufap-Unsa-justice. « Il faudra aussi des décisions de justice à la hauteur de l’enjeu », insiste Emmanuel Chambaud, conscient que la justice antiterroriste est plus sévère que celle de droit commun.

« Il ne faudrait pas qu’après des bagnoles, ce soit des palettes qui brûlent devant les prisons », soufflent plusieurs surveillants, évoquant la possibilité de grèves. « Nous sentons quelque chose qui monte chez les agents dans plusieurs régions. Pour l’instant, les détenus sont calmes. Ils sont plus individualistes que par le passé. Mais il ne faudrait pas que des collectifs de détenus se forment », insiste Christy Nicolas, secrétaire nationale du syndicat SPS, le seul syndicat uniquement dévolu aux surveillants pénitentiaires. À Tarascon, la voiture incendiée dans la nuit de mardi à mercredi était celle du délégué local SPS. Il y a quelques mois, dans ce même établissement, un individu s’en est pris à des familles de détenus venues pour les parloirs. Menaçant, il leur a promis des représailles liées à un règlement de comptes entre trafiquants de stupéfiants.

S’appuyant sur la saisine du Parquet national antiterroriste, le syndicat SPS demande que « ce soit désormais les forces Sentinelle qui patrouillent autour de nos établissements. Quant aux domiciles, beaucoup de nos agents surveillent désormais leurs fenêtres. »

« Pour l’instant, le sang-froid et le professionnalisme dominent dans ce corps extrêmement solidaire, qui s’est toujours serré les coudes dans les moments difficiles, souligne un haut gradé de l’administration pénitentiaire. Sans doute parce que les personnels constatent la mobilisation du ministre de la Justice, immédiatement descendu à Toulon. Gérald Darmanin a aussi demandé au ministre de l’Intérieur de se mobiliser. Les préfets ont pris contact avec les établissements qui font l’objet de patrouilles de la police. »

« Mais jusqu’à quand ?, interroge Benjamin Marrou, délégué Ufap-Unsa-justice à Tarascon. Nous savons que, comme nous, les effectifs de la police sont à l’os, on connaît l’état des commissariats et de la police judiciaire… » Comme beaucoup de ses collègues, le représentant syndical insiste sur l’importance de suivre les consignes dispensées par l’administration ­pénitentiaire ces derniers jours. Tous rappellent que les surveillants de nuit ont la possibilité de garer leur véhicule à l’intérieur des prisons, qu’ils doivent s’abstenir de sortir des établissements en uniforme, de publier des photos sur les réseaux sociaux et de donner trop d’informations sur eux-mêmes en détention. Emmanuel Chambaud réclame, lui, un ajustement législatif. Il milite pour « une anonymisation totale des personnels, qu’ils travaillent ou non pour les quartiers de haute sécurité, et un renforcement général de la sécurité des établissements pénitentiaires ». P. G.

Le Figaro, le 17 avril 2025

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