Plaidoyer pour les courtes peines

Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité-Magistrats FO, et Loïc Kervran, député Horizons, préconisent l’introduction d’ultra-courtes peines de prison


• PROPOS RECUEILLIS PAR CHARLOTTE D’ORNELLAS

Comment vous êtes-vous intéressés au sujet des courtes peines ? 

Loïc Kervran :L’idée est d’abord née de la visite d’un établissement pénitentiaire, et de la réaction oppressée des gens avec qui j’étais. Le passage par la prison peut avoir un caractère dissuasif. Dans ma circonscription rurale du Cher, on demande aussi de retrouver le sens de la sanction. Et puis j’ai lu l’ouvrage de Béatrice Brugère.

Béatrice Brugère : C’est une réflexion que notre syndicat porte et qui découle de notre intérêt particulier pour l’application des peines. La période du Covid a été déterminante : par une circulaire de 2020, Nicole Belloubet a voulu mettre en place une régulation carcérale en ordonnant de libérer le maximum de détenus. Cette circulaire a été jugée illégale. Il nous a alors semblé urgent de réinvestir le champ intellectuel et juridique du sens de la sanction, notamment en proposant un modèle de peines très courtes.

Faut-il mettre plus de gens en prison alors que certains l’accusent d’être criminogène ? 

L. K. : J’ai constaté le contraire dans ma circonscription. Beaucoup de multicondamnés n’ont jamais mis un pied en prison… et leurs méfaits s’intensifient. Le sentiment de l’élu, c’est que nous avons raté quelque chose.

B. B. : Nous opposons à tort, et souvent par idéologie, la prison et la réinsertion. Or, la peine de prison, par le choc carcéral, peut être un point de départ d’une volonté de réinsertion, à condition qu’elle ne soit pas trop longue.

Que répondez-vous à ceux qui craignent que la multiplication de ces courtes peines soit désocialisante, et donc génératrice de récidive ?

L. K. : Plusieurs études prouvent le contraire. J’ai échangé avec la criminologue Martine Herzog-Evans qui a des éléments très probants en faveur des ultra-courtes peines de sept ou quinze jours qui ne désocialisent pas, justement. Quand elles sont exécutées tôt dans le parcours délinquant, elles ont un effet positif dans la lutte contre la récidive. Et donc, contre la surpopulation carcérale ! Cela peut paraître contre-intuitif mais plusieurs pays nous le prouvent : moins on incarcère, plus on a de surpopulation carcérale. L’inverse est également vrai car un séjour court mais tôt dans le parcours délinquant agit comme un vaccin.

B. B. :La justice pâtit de deux dogmes : la réinsertion l’emporte sur la sanction, parce que le criminel serait lui-même victime de la société ; les courtes peines seraient inefficaces voire criminogènes. Or, aucune étude ne le prouve. Ces préjugés nous ont menés à une impasse : les prisons débordent, la criminalité augmente, alors que l’on punit de moins en moins. Le syndicat majoritaire des directeurs de prison et des syndicats policiers y sont également favorables.

Comment décrivez-vous cette impasse ? 

B. B. : Les magistrats sont dépendants d’un corpus juridique qui les empêche de prononcer des très courtes peines au motif de la sous-capacité carcérale. Résultat, nous incarcérons de moins en moins, de plus en plus tard dans le parcours de délinquance, et pour des durées plus longues. La courte peine, c’est la volonté de redonner du sens à la sanction sans tomber dans une répression excessive. Le paradoxe est que nous avons un arsenal de plus en plus répressif et une exécution qui l’est de moins en moins, ce qui alimente incompréhension et colère de nos concitoyens.

Cela pourrait-il concerner les mineurs ? 

L. K. : Absolument. Nos mineurs ont beaucoup changé en soixante-dix ans, et voilà un outil nouveau qui me paraît particulièrement adapté pour stopper certains parcours de délinquance.

B. B. : Évidemment, cette mesure est d’autant plus adaptée aux mineurs qui sont dans l’immédiateté et très réceptifs à la pédagogie de la sanction.

En quoi l’étranger peut-il servir de modèle ? 

B. B. : D’autres pays, comme les pays scandinaves, avaient la même politique pénale que nous et en sont revenus. Ils se sont aperçus qu’il fallait au contraire punir plus vite, de manière certaine, pour que la sanction ait un sens et que le sentiment d’impunité ne se développe pas. Et notons que ces pays nordiques sont des social-démocraties !

L. K. : Nous sommes des exceptions dans le paysage européen. Et même si je ne crois pas à la reproductibi-lité totale, les politiques pénales efficaces doivent nous permettre d’interroger la nôtre. L’exemple des Pays-Bas est emblématique : ils ont mis en place ces peines courtes, et la population carcérale a drastiquement diminué. Ils ont même fermé des prisons !

« Nous opposons à tort la prison et la réinsertion »Béatrice Brugère

Les Pays-Bas sont aussi une sorte de narco-État… B. B. : Justement ! Les Pays-Bas avaient eux aussi une politique de déni de la réalité criminelle qui les a menés dans le mur et les a obligés à changer. Ils reviennent de loin, mais les résultats sont intéressants. Comme ils incarcèrent très peu de temps, sept à quinze jours, ils peuvent incarcérer dix fois plus sur un an. Pour 10 000 condamnations, il n’y a besoin que de 400 places pour des ultra-courtes peines de sept jours ! À l’inverse, notre moyenne de durée d’incarcération, qui ne cesse d’augmenter, est de onze mois. Donc nous avons besoin d’énormément de places de prison pour peu de personnes incarcérées.

L. K. : Et précisons que cette idée ne concerne évidemment pas les narcotrafiquants, ou les grands criminels… Mais c’est intéressant : beaucoup d’études montrent que la prison est essentiellement efficace aux deux extrémités. Sur les très courtes et les très longues peines, pour des raisons différentes.

B. B. : Absolument, et c’est justement aux marges que nous sommes faibles. Le ministre Darmanin parle aujourd’hui de créer des établissements de haute sécurité pour dissuader les profils de haut niveau, proposition que nous portions également. Il reste ensuite à stopper les débuts de la délinquance avant qu’il ne soit trop tard.

Mais que fait-on avec les peines intermédiaires ? 

L. K. : Le garde des Sceaux a fait des annonces fortes sur les très longues peines. Je propose un texte sur les très courtes peines qui ont aussi pour but de faire décroître la population des peines intermédiaires. Cela nous permettra de mieux travailler à la sanction et la réinsertion de ces derniers, moins nombreux.

B. B. : L’enjeu est de rendre efficaces et dissuasives les peines au début du parcours délinquant, et de punir sévèrement les criminels endurcis. Cela permettrait de réduire la délinquance « moyenne » qui engorge nos prisons et qui nécessiterait un accompagnement différencié, notamment pour traiter les addictions et les troubles psychiques. Proposer les ultra-courtes peines, c’est réinterroger tout notre système de sanction.

Vous parliez de peine sûre. Mais quel regard posez-vous sur notre politique d’aménagement des peines ?

B. B. : Le juge d’application des peines (JAP) est une singularité française en Europe, qui crée de facto un autre jugement par le droit à l’aménagement. C’est chronophage, complexe, et très peu lisible en matière de sanction et d’efficacité. Or les ultra-courtes peines ne sont pas aménageables :

Il n’y a pas de saisine du JAP. Aujourd’hui, 40 % des peines de prison prononcées sont directement aménagées par le tribunal parce que la loi le lui demande. Et là, c’est aux députés que je m’adresse : cette loi qui oblige les magistrats à examiner l’aménagement d’une peine de moins d’un an doit être abrogée.

Votre proposition de loi envisage aussi de permettre l’aménagement des peines jusqu’à deux ans de prison. C’est un point de désaccord entre vous ?

L. K. : Aujourd’hui, les magistrats ne peuvent pas mettre de courtes peines, ils sont quasiment obligés d’aménager jusqu’à un an, et interdits de le faire après un an. Mon texte envisage de leur rendre ces libertés afin d’individualiser réellement les peines jusqu’à deux ans. Au-delà, c’est un autre débat.

B. B. : En effet, j’y suis opposée. Les peines de prison de moins de deux ans représentent 90 % des peines ! Cet aménagement quasi-systématique contredit l’esprit même des ultra-courtes peines. Il faut rappeler une évidence, le magistrat a déjà toute une palette de peines autres que la prison : sursis, sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général… Quand il met de la prison, c’est qu’il le choisit. L’aménagement revient à dire, encore, que la prison doit être évitée. L’aménagement peut être intéressant à la marge, mais strictement contrôlé, comme dans les pays du Nord, sinon il risque d’être criminogène et inefficace. En France, aucune étude ne démontre l’efficacité de notre politique d’aménagement de peine.

L. K. : Dans ma proposition, nous encadrons toutefois les possibilités d’aménagement pour ne pas ouvrir les vannes, justement.

le JDD le 26 janvier 2025

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