En rétablissant l’emprisonnement de courte durée pour des personnes reconnues coupables de délits mineurs, les députés ne font qu’accroître un peu plus une surpopulation pénale jamais atteinte. Un débat public s’impose par l’ouverture des états généraux de la justice.
Loi sur les courtes peines : l’intolérable trou de mémoire
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 11, 2025
Par ce projet de loi, les députés ne font qu’accroître un peu plus une surpopulation pénale jamais atteinte. Un débat public s’impose par l’ouverture des états généraux de la justice. @libe pic.twitter.com/EREsetXNxR
Alors que nous allons commémorer l’adoption, il y a cent quarante ans, de la terrible loi du 27 mai 1885, dite loi sur la relégation des récidivistes, les députés viennent d’adopter une loi rétablissant l’emprisonnement à de courtes peines des individus reconnus coupables de délits mineurs. En 1885, la loi de la relégation visait à entraîner «l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises» des délinquants et criminels multirécidivistes, de «débarrasser» le sol de la France hexagonale des petits délinquants et vagabonds établissant une «présomption irréfragable d’incorrigibilité».
La loi votée le 3 avril par l’Assemblée nationale, à l’initiative du député du Cher Loïc Kervran du groupe Horizons, renoue avec une idéologie répressive et vise cette fois à promouvoir une «justice plus dissuasive» et à développer une politique pénale qui aurait trop souffert ces dernières années d’une «idéologie anti-prison».
La fabrique du délinquant
Avec 82 152 personnes détenues au 1er mars, selon des chiffres communiqués mardi 1er avril par le ministère de la Justice, soit le nombre d’individus incarcérés le plus élevé depuis la naissance de la prison pénale au lendemain de la Révolution française, la France fait partie des démocraties qui recourent le plus massivement à l’emprisonnement et l’un des seuls pays de l’Union européenne dont la population carcérale continue d’augmenter, et ce, malgré un recul de la criminalité depuis plusieurs décennies.
Historien·ne·s, sociologues, juristes, médecins et responsables associatifs, nous nous inquiétons de cette politique qui ne va que accroître un peu plus une surpopulation pénale jamais atteinte que la Contrôleuse des lieux de privation des libertés (1) ne cesse de dénoncer en pointant son caractère intolérable, inhumain et contraire non seulement à nos valeurs, mais à la loi, notamment celle de 1875 concernant l’encellulement individuel alors qu’aujourd’hui la plupart des maisons d’arrêt imposent la présence de deux ou trois personnes détenues par cellule, faut-il rappeler que la France est condamnée très régulièrement par la Cour européenne des Droits de l’homme.
En 1975, il y a tout juste cinquante ans, paraissait Surveiller et Punir, livre devenu un classique, aujourd’hui enseigné y compris à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) et à l’Ecole de la magistrature. Michel Foucault y montrait comment la prison avait fabriqué une figure nouvelle, celle du délinquant. La thèse de Foucault et l’ensemble des recherches, qui depuis ont été menées sur les conséquences individuelles et sociales de l’emprisonnement, notamment chez les plus jeunes, dont une grande partie financée par le ministère de la Justice, nous amènent une fois encore à reprendre la parole pour nous opposer à cette politique du «tout-prison».
Une telle loi est d’autant plus contre-productive, voire plus dangereuse pour les personnes condamnées que les personnels pénitentiaires, très largement en sous-effectifs, ne peuvent assurer leurs fonctions qui ne sont pas seulement celle de surveillance, mais aussi de conformer la détention au droit des détenus (droit à la défense, à la santé, au travail, aux visites, etc.). Cette surpopulation place ces personnels dans une situation intenable. Ces violations permanentes des droits des détenus, dénoncées chaque année par l’Observatoire international des prisons, la Ligue des Droits de l’homme, mais aussi par la Défenseuse des droits, ne vont que s’accroître avec cette nouvelle loi.
Dans le chaos du monde…
Alors que le problème de l’emprisonnement a disparu de l’agenda démocratique lors des dernières élections nationales, il nous semble nécessaire de le porter à nouveau dans le débat public pour une meilleure justice.
De même que la loi sur la relégation de mai 1885 fut un échec qui coûta la vie à des milliers d’hommes et de femmes, cette loi des «courtes peines» d’avril aura un effet délétère sur nombre de celles et ceux qui en seront affectés en raison des conséquences familiales et professionnelles, et même des risques de récidive, documentés dans de nombreuses enquêtes nationales et internationales.
Dans le chaos qui est celui de notre monde contemporain, la répression n’est pas la bonne réponse. Aussi appelons-nous à l’ouverture au plus vite de vastes états généraux de la justice. Ne laissons pas aux politiques la question de la prison : la prison est, comme Robert Badinter, le rappelait, «républicaine», elle est notre affaire à toutes et à tous.
Libération, le 10 avril 2025