Avec les magistrats spécialisés, elle détermine progressivement les critères pour regrouper ces 200 détenus dans deux prisons de haute sécurité.
Comment la pénitentiaire va choisir les narcotrafiquants les plus dangereux
— framafad paca corse (@WaechterJp) March 17, 2025
Avec les magistrats spécialisés, elle détermine progressivement les critères pour regrouper ces 200 détenus dans deux prisons de haute sécurité. @Le_Figaro pic.twitter.com/aS4RCLxIMY
• Paule Gonzalès
Le choix final appartiendra à Gérald Darmanin. Et chacune de ses décisions sera pesée au trébuchet pour enfermer, d’ici octobre 2025, les 200 narcotrafiquants les plus dangereux de France dans les quartiers de haute sécurité de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe. Pour l’instant, les magistrats des huit juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire réfléchissent ensemble aux critères permettant d’évaluer les personnalités les plus dangereuses.
Parmi les premiers critères retenus : « la capacité à constituer des alliances et des nouveaux réseaux parallèles facilitant l’importation de conflits extérieurs en détention ». Le fait - ou la capacité - de « poursuivre des actions criminelles depuis la détention », qu’il s’agisse « d’assassinat » ou « d’enlèvement », serait également pris en considération. De plus, les experts sont forcément attentifs « aux risques corruptifs, d’évasion et de représailles par rapport aux agents de l’administration pénitentiaires et des magistrats ». Auxquels il faudrait ajouter le détournement des moyens de téléphonie légale ou de matériel informatique et l’intrusion d’armes.
Incidemment, plusieurs Jirs insistent sur les détenus qui bénéficient des plus grosses surfaces financières. « C’est-à-dire, souligne un haut magistrat, ceux qui sont riches à millions au point de diriger depuis leur détention des trafics internationaux. »
En concertation avec le renseignement pénitentiaire local, les magistrats spécialisés lillois auraient l’intention de présenter au garde des Sceaux six candidats potentiels. Ils attendent par ailleurs l’extradition, obtenue par Gérald Darmanin après son déplacement sur place, d’un gros bonnet du trafic de cocaïne longtemps réfugié à Dubaï et bientôt de retour en France.
À Bordeaux, entre 7 et 8 grands noms de la criminalité organisée et du trafic de stupéfiants ont été retenus, selon des critères équivalents « de comportement inquiétant en détention et bien entendu de position dans les organisations criminelles », souligne l’un des hauts magistrats de cette Jirs qui couvre non seulement le ressort de Bordeaux mais aussi ceux de Toulouse, de Bayonne, et de Pau. « Tous ont une porosité avec la frontière espagnole », note-t-il.
La Jirs de Lyon, qui couvre le ressort de Grenoble, ville promue depuis quelques années déjà étoile montante de la criminalité organisée, pourrait doubler la mise pour approcher une quinzaine d’individus de grande envergure. Une première épure qui n’a pas encore fait l’objet de discussions fines avec l’administration pénitentiaire cependant.
À Marseille, en revanche, la commission formée l’été dernier entre magistrats et administration pénitentiaire pour renforcer la sécurité lors des extractions judiciaires a accéléré la réflexion sur les narcotrafiquants, en y associant la police judiciaire.
Un dispositif de détention inspiré des prisons italiennes
À ce jour, la Jirs de Marseille rêverait de présenter une cinquantaine de noms, tant le nombre de narcotrafiquants incarcérés sur le ressort est important. Si le statut de détenu particulièrement surveillé (DPS) est un indice de dangerosité pertinent, il ne suffit pas à définir si, oui ou non, il a vocation à rejoindre ce type de détention. « Ainsi, le très jeune tueur à gage Matteo, âgé de 18 ans et dont l’ultra violence ne fait aucun doute, n’a pas forcément vocation à intégrer cette détention, dans la mesure où il ne dispose d’aucun soutien à l’extérieur », souligne un magistrat de la Cité phocéenne. « En revanche, les têtes de pont de la grande criminalité marseillaise sont en première ligne, ceux de la DZ Mafia comme du gang Yoda », dont l’un des chefs, Felix Bengui dit « le Chat », vient d’être extradé du Maroc. Au sein de la pénitentiaire, on évoque aussi les frères Bengler ou encore « le clan des Black », un réseau comorien de grande envergure.
La région parisienne fera-t-elle jeu égal avec Marseille ? Entre la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et la Jirs, elle compte 488 profils sensibles, comme ce gros calibre entré dans le grand banditisme et le trafic de stupéfiants depuis 2000, « à la tête d’un réseau majeur » depuis 2008, incontournable dans la région et condamné à plusieurs reprises pour des infractions qui y sont liées et pour plusieurs évasions violentes. « Quant aux 24 interpellés dans l’affaire d’Incarville, si Mohamed Amra peut faire partie de cette cohorte, il y a peu de chance que ce soit le cas de ses seconds couteaux », souligne un haut magistrat parisien. Le choix est d’autant plus drastique qu’il faut aussi compter avec les détenus terroristes, dont beaucoup sont déjà incarcérés à Vendin-le-Vieil et ont vocation à y rester. Parmi eux, certains ayant déjà commis des actions violentes en détention contre des surveillants.
Encore faut-il que le législateur valide le dispositif de détention en quartier de haute sécurité, inspiré du modèle italien et de ses prisons antimafia. Déjà, une mise en demeure a été adressée à la Chancellerie et un premier recours a été déposé devant le juge administratif pour un détenu de Villepinte redoutant de figurer parmi les noms retenus. P. G.
Le Figaro, le 13 mars 2025