Par-delà les effets d’annonce, la politique pénale et carcérale mérite mieux que la stigmatisation délétère et permanente des personnes étrangères
Le ministre de la Justice a publié une (nouvelle) circulaire publiée ce dimanche 23 mars, laquelle cible une fois de plus les personnes étrangères confrontées à un parcours pénal. Un texte au poids juridique a priori restreint, pourtant révélateur d’un glissement politique dangereux : celui visant à inclure la question migratoire au ministère de la Justice.
Par-delà les effets d’annonce, la politique pénale et carcérale mérite mieux que la stigmatisation délétère et permanente des personnes étrangères, estime la Cimade https://t.co/ouUtzOSjPg
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 2, 2025
Au fond, ce texte ne dit pas grand-chose de neuf, et rappelle l’existence d’outils déjà existants :
- Il faudrait repérer les personnes étrangères en situation irrégulière dès la garde à vue ; ceci est rappelé par différentes circulaires depuis au moins 2017 ;
- Il faudrait que le greffe pénitentiaire informe les consulats de l’incarcération de leurs ressortissant∙e∙s ; ceci est rappelé par différentes circulaires depuis au moins 2007 ;
- Il faudrait mobiliser les libérations conditionnelles dites expulsion ; ceci est rappelé par différentes circulaires depuis au moins 2004 ;
- Il faudrait mettre en œuvre des protocoles entre les préfectures et les prisons dans le but de favoriser l’expulsion ; ceci est rappelé par différentes circulaires depuis au moins 1999.
Sur la forme, le procédé non plus n’est pas nouveau : par voie de presse, des solutions prétendument inédites sont annoncées, et dévoilées au moment jugé politiquement le plus important : cette fois-ci, au lendemain de la marche contre le racisme et les extrêmes- droites.
Reste que le tournant proposé aux agent∙e∙s d’insertion et de probation interpelle. Il est ainsi rappelé qu’ils et elles « peu[vent] également prendre l’initiative de contacter la préfecture à ces mêmes fins », celles visant à vérifier les conditions dans lesquelles l’éloignement pourra être mis en œuvre. Dès lors, les jeux sont faits : l’impératif de réinsertion peut s’effacer derrière celui de l’expulsion. Cette position est, pour toutes et tous dans les établissements pénitentiaires, inquiétante.
Plus critiquable, ce texte existe par la volonté de lutter contre la surpopulation carcérale, le ministre affirmant que « le calcul est simple : si ces étrangers, ou même une partie d’entre eux, purgeaient leur peine dans leur pays, nous n’aurions plus de problème de surpopulation ». Cette justification est troublante : un syllogisme simpliste, presque un slogan qui pourrait venir une nouvelle fois banaliser les idées véhiculées par les extrêmes-droites.
La focalisation sur la délinquance des personnes étrangères vient d’une réalité statistique invariable : leur surreprésentation, parmi les auteur∙e∙s d’infractions et les personnes détenues[1]. Pourtant, cette seule lecture est simpliste : la délinquance des personnes étrangères a de multiples causes sociologiques, économiques, juridiques, statistiques ou encore liées au fonctionnement des institutions.
Cette solution miracle pour vider les prisons est illusoire. D’autres solutions existent, et ce sur l’ensemble de la chaîne pénale : fin des sur interpellations, mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale, suppression des infractions réservées aux seules personnes étrangères, rétablissement des catégories protégées contre la double peine, développement de mécanismes permettant une réinsertion effective comme internet en prison, inscription dans la loi de l’absence de condition de régularité du séjour pour bénéficier d’un aménagement de peine…
C’est à ce prix que l’on arrivera à l’égalité des droits pour toutes les personnes présentes sur le territoire, bien plus susceptible de réduire la surpopulation carcérale. La situation des personnes étrangères détenues mérite mieux que des coups de menton stigmatisants.
[1] À titre d’exemple en 2021, les personnes étrangères constituaient 15,5% des personnes condamnées et 24,5% des personnes détenues, soit respectivement le double et le triple de leur part dans la population totale, équivalente à 7,7%.