Une "prison de haute sécurité" censée marquer un "changement profond et radical", tel est le projet présenté le 23 janvier dernier par Gérald Darmanin dans son discours devant la dernière promotion de l’Enap, l’école nationale de l’administration pénitentiaire.
L'isolement n'est pas une solution
— framafad paca corse (@WaechterJp) February 10, 2025
A propos des "prisons de haute sécurité" censées marquer un "changement profond et radical", envisagées par Gérald Darmanin, chronique de Matthieu QUINQUIS, Président de l'Observatoire international des prisons, section française. @laprovence pic.twitter.com/LTFeZI9inj
Par Matthieu QUINQUIS, Président de l'Observatoire international des prisons, section française.
Promettant, "pour la première fois depuis la Libération", l’ouverture d’un "lieu de détention inviolable". Il prévoit d’y affecter les "cent plus gros narco-bandits de France" qui y seront placés à "l’isolement total".
L’isolement carcéral n’a toutefois rien d’une nouveauté. Déjà au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’administration pénitentiaire avait institué des quartiers destinés à regrouper les prisonniers jugés comme étant les plus dangereux. Formalisé en mai 1975 sous l’appellation de QHS (quartiers de haute sécurité), ce projet a été révoqué en 1982 par Robert Badinter à l’aune des conclusions d’une commission indépendante. Cette dernière jugeait en effet qu’il était "bien plus à craindre que les séjours [en QHS] n’aggravent, au lieu de tempérer, la dangerosité de ceux qui y sont affectés, ce d’autant plus que ce séjour est prolongé ". En lieu et place, le garde des Sceaux d’alors instituait les quartiers d’isolement que nous connaissons aujourd’hui et dans lesquels plus de 800 personnes sont enfermées.
En dépit des recommandations internationales à ne pas recourir à l’isolement prolongé, et ainsi à plafonner à 15 jours sa durée maximale, le droit français ne connaît, lui, aucune limite. Près de 150 personnes sont actuellement isolées depuis plus de deux ans et quelques dizaines depuis plus de cinq ans. À rebours des prescriptions européennes qui exigent la mise en œuvre d’un "programme individualisé, axé sur la manière de traiter les motifs de l’isolement" et la réintégration d’un "régime normal", la France a pris le pas d’un raidissement sécuritaire et d’une absence quasi-totale d’activités. Alors que le gouvernement annonce que ce régime sera durci et érigé en modèle de gestion de certains profils pénitentiaires, soyons conscients de ses effets destructeurs. En 2000, l’Assemblée nationale critiquait les "conséquences désocialisantes et psychiquement déstructurantes d’une décision de mise à l’isolement". Le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe pointait pour sa part en 2011 les "effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et le bien-être social", et soulignait le nombre "considérablement plus élevé de suicides" parmi les personnes détenues placées à l’isolement que dans le reste de la détention.
Forts de leur pratique quotidienne, des personnels de santé pointent les conséquences tragiques de la "raréfaction des sensations, des perceptions et des stimulations", assurant que "l’isolement prolongé rend complètement fou". L’ampleur des atteintes causées par ce régime de détention est telle que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) rappelle que l’isolement est régulièrement qualifié de "torture blanche".
Voilà le projet du nouveau ministre de la Justice : une prison sans contenu et sans issue. C’est une idée vaine et dangereuse qui, à l’évidence, ouvre la porte à de nouveaux traitements inhumains et dégradants. Il est urgent qu’il entende que non, au pays de la déclaration des droits de l’Homme, l’isolement carcéral n’est pas une solution acceptable.
L'isolement est régulièrement qualifié de "torture blanche." ,,
La Provence - le dimanche 9 février 2025