Le ministre de la Justice a annoncé qu'il allait lancer en mai et en juin deux appels d'offres pour construire 3 000 places de prison dans des structures modulaires.
Surpopulation carcérale : sept questions sur les prisons en préfabriqué lancées par Gérald Darmanin https://t.co/pieJxwOTCj
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 15, 2025
Alors que la France fait partie des mauvais élèves en Europe en matière de surpopulation carcérale, Gérald Darmanin a annoncé la construction de prisons en préfabriqué pour lutter contre ce problème. En déplacement chez un potentiel constructeur dans l'Oise, le ministre de la Justice a précisé lundi 14 avril qu'il allait lancer avant l'été deux appels d'offres pour construire 3 000 places de prison dans ces structures modulaires, inspirées du Royaume-Uni et de l'Allemagne. Tour d'horizon des questions qui se posent sur ce nouveau projet du garde des Sceaux.
1 A quoi vont-elles ressembler ?
"Ce sont de vraies prisons, mais construites dans des usines comme l'ont fait nos amis anglais, comme l'ont fait nos amis allemands", a souligné Gérald Darmanin, depuis le site de production du constructeur Bouygues à Crépy-en-Valois. Ces dernières semaines, le ministre de la Justice s'est rendu au Royaume-Uni et en Allemagne pour y visiter des établissements de ce type, construits hors site puis assemblés sur place.
Comme le décrit Le Figaro, qui était du voyage lors d'un déplacement en Basse-Saxe, au sein du complexe pénitentiaire de Meppen, les modèles britanniques sont plus proches "de l'Algeco métallique, bruyant, mal isolé, et vite défraîchi" tandis que les "23 modules allemands en béton armé, insensibles à toute dégradation, restent flambant neufs quasiment quatre ans après leur mise en service". Lors d'un point-presse, Gérald Darmanin a expliqué que les structures françaises, en béton, seront à "taille humaine" et "dureront entre 50 et 60 ans".
2 Où seront-elles installées ?
Le premier site qui accueillera une telle structure, de 50 places, est le domaine pénitentiaire de Troyes-Lavau (Aube). Pour construire les 3 000 places prévues, 25 sites au total, dont la localisation n'a pas encore été précisée, seront retenus. Une quinzaine d'entre eux, qui abriteront 1 500 places, appartient déjà à l'administration pénitentiaire. "Donc il n'y aura pas de problème avec les élus pour le terrain ou l'acceptabilité" du projet, a affirmé Gérald Darmanin.
Les syndicats de surveillants ont toutefois obtenu que ces constructions se fassent en dehors des murs d'enceinte existants, "pour éviter que ne s'aggravent la porosité des établissements, les projections et l'introduction massives de produits illicites", comme l'a relevé Hervé Segaud, représentant de FO-surveillants, dans Le Figaro.
Un deuxième appel d'offres, pour 1 500 places également, va être lancé sur une dizaine d'autres sites. Leur emplacement est actuellement discuté avec les collectivités locales, a souligné le garde des Sceaux.
3 Quels détenus vont-elles accueillir ?
Moins coûteuses en termes de sécurité, ces structures pourront accueillir "les profils les moins dangereux", comme des détenus condamnés "pour délits routiers" et "pour violences conjugales", a fait savoir le ministre de la Justice. La moitié de ces 3 000 détenus seront en régime de semi-liberté. C'est-à-dire qu'ils passent la nuit en détention et qu'ils sortent la journée pour travailler, suivre une formation ou un enseignement. Les autres auront été condamnés à de courtes peines, dont la durée exacte n'a pas été définie.
4 Quand seront-elles prêtes ?
Gérald Darmanin a confirmé son calendrier lundi : "J'ai fait le choix de lancer deux appels d'offres, l'un pour la fin du mois de mai, l'autre pour le début du mois de juin." "Là où on met sept ans pour construire une prison, on va mettre moins de dix-huit mois", a-t-il lancé, relevant que les constructions dans l'usine échappent aux aléas tels que les intempéries : "Tout est standardisé, industrialisé."
Les premières prisons en kit devraient être inaugurées dans un an et demi. "Là, nous lançons cet appel d'offres fin mai, pour avoir à partir de septembre-octobre 2026 les premières places et terminer ça début 2027", a exposé Gérald Darmanin. Les structures issues du second appel d'offres devraient sortir de terre un peu plus tard. Le garde des Sceaux évoquait l'horizon "2028" dans Le Figaro, soit au-delà de l'échéance de la prochaine élection présidentielle.
5 Combien vont-elles coûter ?
Qui dit gain de temps, dit gain d'argent. Alors qu'une place de prison classique coûte "400 000 euros", une place dans une prison préfabriquée coûtera moitié moins : "200 000 euros", a calculé le garde des Sceaux. Ce qui représente un budget total de 600 millions d'euros, sur plusieurs exercices budgétaires.
Selon l'entourage du ministre auprès de franceinfo, ces constructions vont remplacer d'autres projets plus longs, à l'état d'étude ou de recherche de terrain. Le budget 2025 de la Justice prévoit 10,5 milliards, soit une augmentation de plus de 400 millions par rapport à 2024. Gérald Darmanin avait assuré en janvier que les moyens alloués à son portefeuille "continueront à augmenter".
6 Qu'en pensent les professionnels du secteur ?
Pour convaincre les syndicats de surveillants, Gérald Darmanin a emmené la CGT, le Syndicat pénitentiaire des surveillants, Force ouvrière et l'Ufap-Unsa lors de sa visite en Allemagne, relate Le Figaro. Si elles concèdent qu'il faut tenter des solutions de ce type face à la surpopulation carcérale, elles émettent "quelques réserves", "car il faudra bien trouver le personnel", souligne Emmanuel Chambaud, secrétaire général de l'Ufap, rappelant que "la pénitentiaire souffre d'un déficit de 7 000 agents".
Pour Joaquim Pueyo, maire divers gauche d'Alençon (Orne) et ancien directeur des prisons de Fresnes et de Fleury-Mérogis, il est urgent de "désengorger les prisons" mais "l'idée des préfabriqués ne peut être la seule réponse au problème de la surpopulation carcérale ».
"Il faudra peut-être penser aussi aux peines alternatives à la prison, la libération sous contrainte ou encore le bracelet électronique. Il y a tout un volet d'aménagements de peine qui peuvent être mises en place rapidement."
Joaquim Pueyo, ancien directeur de prisons
sur franceinfo
La Contrôleuse générale des lieux de privations de liberté préconise pour sa part, également sur franceinfo, de commencer par "vider les cellules". Les Allemands ont "20 millions d'habitants de plus que nous et 20 000 détenus de moins que nous", observe Dominique Simonnot, selon laquelle il faut faire ce qui a été fait pendant la pandémie de Covid-19, à savoir faire sortir certains détenus : "Il n'y a eu aucun drame", souligne-t-elle.
7 Quid de la promesse d'Emmanuel Macron ?
C'était un engagement d'Emmanuel Macron en 2017 face à la surpopulation carcérale : construire 15 000 nouvelles places de prison en dix ans. Fin 2024, le prédécesseur de Gérald Darmanin, Didier Migaud, avait reconnu sur France 2 que l'objectif ne serait pas atteint. "Je l'espère pour 2029 au mieux... Nous n'arriverons à en réaliser que 6 421 [en 2027], soit 42%", avait-il déclaré sur le plateau du 20 heures, évoquant déjà l'idée de recourir aux préfabriqués.
Selon Gérald Darmanin, ces prisons modulaires permettront d'accélérer la cadence. L'entourage du ministre chiffre auprès de franceinfo à un peu moins de 5 000 le nombre de places construites et à 5 000 le nombre de places lancées dans des établissements classiques. Avec les 3 000 places dans les préfabriqués, on atteint 13 000 places au total. Il en manquera encore 2 000 pour respecter la promesse du chef de l'Etat.
Le nombre de détenus, lui, ne cesse d'augmenter. Au 1er mars, 82 152 personnes étaient détenues dans les prisons françaises, pour un total de 62 539 places, et plus de 4 850 détenus dormaient sur un matelas à même le sol.