Les caïds de la drogue défient l’État

Véhicules incendiés, surveillants menacés jusqu’à leur domicile, porte de prison rafalée, les narcotrafiquants semblent avoir franchi un nouveau cap dans la violence.


Les récentes attaques contre des prisons et des agents pénitentiaires, revendiquées par le groupe "DDPF" (Défense des droits des prisonniers français), semblent être orchestrées par des narcotrafiquants. Les enquêteurs pensent que ce groupe est un leurre, cachant des actions punitives commanditées par des caïds de la drogue.

Les attaques incluent des incendies de véhicules, des menaces directes aux domiciles des agents, et des tirs à l'arme lourde sur des prisons. Ces actions visent à intimider et à défier l'État, en réponse au durcissement des conditions de détention pour les narcotrafiquants.

Des exemples récents montrent que les narcotrafiquants n'hésitent pas à passer des contrats sur des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, comme le directeur des Baumettes. Les autorités renforcent la sécurité autour des prisons et des résidences des agents, tout en anticipant de possibles nouvelles attaques.

• Damien Delseny

« DDPF » :quatre initiales pour un leurre. Derrière ce mystérieux groupuscule « Défense des droits des prisonniers français », qui a revendiqué les attaques sur plusieurs prisons et voitures d’agents péniten-tiaires se cachent sans doute des narcotrafiquants français. C’est en tout cas la conviction des enquêteurs. Né sur une chaîne de l’application Telegram, ce « DDPF » au discours sommairement politique n’a, semble-t-il, pas résisté aux premiers éléments d’investigation : d’après plusieurs sources, des « petites mains » seraient bien téléguidées par des caïds pour aller mener ces actions punitives et que la justice qualifie désormais de terroristes. Le mot terreur n’est d’ailleurs pas exagéré puisque ce ne sont pas seulement des voitures de surveillants qui sont visées mais bien les surveillants eux-mêmes, jusqu’à leur propre domicile.


Un contrat sur la tête du directeur des Baumettes

En Seine-et-Marne, l’immeuble abritant une jeune agente pénitentiaire a été dégradé et un engin incendiaire retrouvé dans le hall. Dans les Bouches-du-Rhône, le véhicule d’un fonctionnaire en poste à la prison de Luynes a été incendié devant chez lui et une vidéo a circulé sur les réseaux montrant son visage et sa boîte aux lettres.

« L’usage d’une application cryptée, les modes opératoires avec l’utilisation d’un fusil d’assaut pour rafaler la porte de la prison de Toulon (Var), la densité importante de faits dans la région Paca et le fait de filmer les actions et de les diffuser, sont quelques signes évocateurs des méthodes du narcobanditisme », affirme une source judiciaire. Le commando qui a mitraillé en pleine nuit la porte de la prison de Toulon a utilisé une voiture volée à Vitrolles, dans le département limitrophe des Bouches-du-Rhône, et retrouvée après les faits à Marseille…

Surtout, ce n’est pas la première fois que des menaces très précises et très graves, voire des projets criminels, sont fomentées par des « narcos » contre le personnel de l’administration pénitentiaire. En décembre dernier, deux jeunes de 17 et 21 ans sont interpellés à Marseille après avoir été repérés, cagoulés dans leur voiture stationnée tout près du domicile personnel du directeur de la détention des Baumettes. Poursuivis par la police, ils balancent par la fenêtre un sac contenant des armes avant d’être arrêtés à un rond-point. L’un d’eux a reconnu avoir répondu à une sorte « d’appel d’offres » sur les réseaux : la puissante DZ Mafia promettait 120 000 € à celui qui s’en prendrait à cet homme responsable, selon eux, du placement au « mitard » d’un des chefs de l’organisation criminelle. Un véritable contrat donc passé sur la tête de ce fonctionnaire.

Toujours en décembre dernier, les policiers chargés de l’enquête sur l’évasion sanglante de Mohamed Amra interceptent une série de messages échangés par Jean-Charles P., présenté comme un des chefs de la Black Manjak Family et soupçonné d’être un proche et un associé de l’évadé, avec d’autres correspondants. Bien que détenu à l’époque, Jean-Charles P. dispose d’un boitier téléphonique et gère ses différents « business ». Mais pas seulement : quelques jours avant Noël, il sollicite plusieurs lieutenants pour obtenir les adresses personnelles de la directrice de la maison d’arrêt de Rouen (Seine-Maritime) et de son adjointe. Et pas pour leur adresser ses vœux. Jean-Charles P. écrit « pour lui donner un avertissement et pour le calme d’autrui ». Mécontent de son régime de détention, il précise ensuite sa « commande » : aller incendier les véhicules de la directrice « que ceux-ci soient stationnés dans la cour ou devant son pavillon ».

« Que les narcos s’allient entre eux est logique »

Les actions menées depuis ce week-end surviennent aussi dans un contexte particulier : depuis l’affaire Amra, et d’autres, qui ont démontré à quel point les caïds utilisaient leurs cellules comme de véritables bureaux, téléphones portables en main, le régime carcéral de certains s’est durci avec des fouilles plus régulières et des placements à l’isolement total.

Et dès cet été ouvrira la première prison dédiée aux narcotrafiquants à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) où le quotidien des détenus sera drastique, entre isolement et étanchéité totale avec l’extérieur. « Cela peut paraître surprenant, mais que les narcos s’allient entre eux dans des actions de représailles violentes ou agissent par mimétisme est dans la logique des choses, lâche une source judiciaire. Ils veulent démontrer une fois de plus leur toute-puissance. Le défi à l’autorité est leur pain quotidien. Et ils ne reculent devant rien. Souvenons-nous que le 14 mai 2024, ils ont tué froidement deux surveillants pour libérer Mohamed Amra qui était l’un des leurs. »

La mutinerie, « un risque permanent »

Il faut aussi garder en mémoire la « conférence de presse » tenue par la DZ Mafia en octobre 2024 où une troupe cagoulée se déclarait étrangère à deux assassinats commis quelques jours plus tôt à Marseille, tout en rappelant : « Nous avons assez d’hommes, de véhicules, de moyens pour agir si nous en étions obligés. »

Alors que les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire exploitent actuellement tous les éléments de police technique et scientifique, une première garde à vue a été déclenchée ce mercredi matin avant d’être levée dans l’après-midi. Il s’agissait d’un homme, détenu en semi-liberté dans l’Essonne, dont le contrôle de son téléphone avait amené à la découverte de messages en lien avec la chaîne Telegram du « DDPF ».

« Une étape a été franchie », a constaté Sébastien Cauwel, le directeur de l’administration pénitentiaire, ce mercredi soir sur BFMTV, après cette série d’actions. « La République est attaquée, mais elle ne reculera pas », a-t-il prévenu tout en rappelant que « la mutinerie est un risque permanent ». La sécurité a en tout cas été renforcée près de nombreux centres pénitentiaires ainsi qu’autour des lieux de vie du personnel. Les autorités n’excluent pas de nouvelles répliques.

Le Parisien - le 17 avril 2025

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