Les intimidations qui ont visé des prisons et des logements de surveillants ces derniers jours viennent s’ajouter aux conditions de travail déjà difficiles d’une profession en manque de moyens et de reconnaissance.
Les intimidations qui ont visé des prisons et des logements de surveillants ces derniers jours viennent s’ajouter aux conditions de travail déjà difficiles d’une profession en manque de moyens et de reconnaissance. @libe pic.twitter.com/Gv079Ni8op
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 18, 2025
• Ludovic Séré
Les récentes intimidations visant des prisons et des logements de surveillants pénitentiaires ont exacerbé les conditions de travail déjà difficiles des agents. Depuis dimanche, des incendies de voitures et des tirs de kalachnikov ont ciblé plusieurs établissements, semant l'inquiétude parmi les surveillants. Ces derniers ont reçu des consignes pour se protéger, comme éviter de porter leur uniforme en dehors du travail.
Les surveillants pénitentiaires font face à des conditions de travail marquées par la surpopulation carcérale, le manque de moyens et le délabrement des infrastructures. Ils se sentent peu considérés et exposés à des dangers croissants, notamment après la mort de deux agents lors de l'évasion de Mohamed Amra.
Le métier de surveillant, souvent perçu négativement, peine à attirer des candidats. Les campagnes de recrutement mettent en avant des missions passionnantes, mais la réalité est souvent différente. Les prisons françaises souffrent d'une surpopulation chronique, avec près de 82 000 détenus pour 62 000 places, et environ 4 000 postes de surveillants non pourvus.
Face à ces défis, les syndicats espèrent que les auteurs des récentes attaques seront sévèrement punis. Emmanuel Macron a promis que ceux qui cherchent à intimider les agents pénitentiaires seront retrouvés et jugés.
La blague, d’un goût douteux, circule entre surveillants pénitentiaires : «Moi aussi j’ai pris perpète, j’en ai pris pour trente-cinq ans.» Sans aller jusqu’à comparer les conditions de travail des fonctionnaires aux conditions de vie des détenus en France, force est de constater que le destin de ces deux populations est intrinsèquement lié. Les maux qui touchent les établissements - surpopulation, manque de moyens, délabrement des locaux - les concernent toutes les deux.
Depuis dimanche et les premiers feux de voiture sur les parkings de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) à Agen et du centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne), l’inquiétude monte dans les rangs des surveillants. Dans la nuit de lundi à mardi, le parking d’un immeuble marseillais connu pour loger des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire a été pris pour cible. Puis, dans la nuit de mardi à mercredi, un début d’incendie s’est déclaré dans le hall de l’immeuble d’une surveillante de Seine-et-Marne, avec, pour signature, le mystérieux sigle «DDPF» (pour «droits des prisonniers français») sur lequel le Parquet national antiterroriste enquête désormais.
Conséquence : les surveillants ont reçu la consigne du ministère de la Justice de ne plus se changer avant d’arriver sur leur lieu de travail, afin de ne pas être identifiables dans la rue. «On ne peut que prendre des mesures pour se protéger au mieux et protéger sa famille», regrette Vanessa Lefaivre, surveillante à Fleury-Mérogis et représentante syndicale Ufap Unsa justice.
«Menaces». «Nous savons que nous faisons un métier qui comporte des dangers», appuie le secrétaire général adjoint du même syndicat, David Mantion. Ce surveillant dans l’établissement de Toulon-La Farlède (Var) relate avoir déjà vécu «des soucis en dehors de la prison». Il s’agissait toutefois d’une personne bien identifiée, «un détenu qui venait de sortir», avec lequel il avait eu «un différend à l’intérieur». Mais mardi au petit matin, il a découvert les portes de la prison où il exerce trouées par des tirs de kalachnikov. «Avec ces nouvelles menaces, on se dit que ça peut tomber sur n’importe qui.»
La récente mort de deux agents pénitentiaires lors de l’évasion de Mohamed Amra a aussi laissé des traces. «Je pense que je ne pourrais pas surveiller ce mec, lui donner à manger… Je ne sais pas comment font les collègues», souffle David Mantion.
Privés du prestige dont jouissent certains maillons de l’institution judiciaire, les surveillants sont dans une position «spéciale» : «Enormément exposés à la violence mais très peu considérés, analyse Olivier Cahn, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre. Tout ce qui touche à la prison est un peu honteux, on le cache. Ils ne seront jamais des héros.»
Peu d’enfants rêvent d’être «matons». Alors, des campagnes de recrutement fleurissent à la télévision, sur les réseaux sociaux ou dans la rue. Le ministère de la Justice écrit sur son site : «Rejoignez une équipe soudée pour réaliser des missions passionnantes où aucune journée ne se ressemble !» Et précise qu’un surveillant démarrera à un salaire de 2 040 euros net mensuels. Mais dans les faits, sur le plan professionnel, on arrive en prison un peu par hasard. «J’ai passé un concours pour être fonctionnaire, c’est la pénitentiaire qui m’a répondu en premier», explique Vanessa Lefaivre. Après quelques mois de formations à l’Enap d’Agen, un ou deux stages, les jeunes surveillants intègrent un corps de 30 000 agents.
«Intimider». Mais personne n’est formé à la surpopulation carcérale, pointée par la Cour européenne des droits de l’homme. D’après les dernières statistiques publiées le 1er mars par la chancellerie, les prisons françaises comptaient 81 599 détenus pour seulement 62 363 places opérationnelles. En face, «nous avons 4 000 postes non pourvus», estime David Mantion. Surtout des départs à la retraite non remplacés.
Interrogée sur les revendications de ces derniers jours, Vanessa Lefaivre condamne la méthode. Mais elle concède que «l’administration pénitentiaire ne propose pas aujourd’hui de conditions adéquates pour les détenus», avant de reprendre sa casquette syndicale : «Nous espérons que les auteurs de ces faits seront interpellés et que les peines seront à la hauteur.»
Emmanuel Macron a promismercredi à ceux qui «cherchent à intimider» les agents pénitentiaires et «s’attaquent avec une violence inadmissible» aux prisons qu’ils seraient «retrouvés, jugés et punis».
Libération - le 17 avril 2025