FRAMAFAD PACA & CORSE

Fédération Régionale des Associations de Familles et Amis de Détenus PACA CORSE

Éric Delbecque : « Avec un tel déploiement de violence, nous entrons dans une nouvelle  ère »

Expert en sécurité intérieure, Éric Delbecque est l’ancien directeur sûreté de Charlie Hebdo après l’attentat de 2015, auteur des Irresponsables. Dix ans après Charlie Hebdo (Plon).

• Constantin Gaschignard

LE FIGARO. - Dans la nuit de lundi à mardi, des attaques ont visé une dizaine de prisons à travers la France, que le ministre de la Justice associe au narcotrafic. Le Parquet national antiterroriste s’est saisi de l’enquête dont on ne connaît pas encore les qualifications. La piste anarchiste n’est pas écartée. Quoi qu’il en soit, a-t-on déjà vu, en France, une opération d’intimidation coordonnée d’une telle ampleur ?

ÉRIC DELBECQUE. - À ce niveau, c’est assez inédit. Jusqu’ici, un tel déploiement de violence appartenait à l’univers du djihadisme. On pense bien évidemment aux attaques coordonnées du 13 novembre 2015. Qu’il s’agisse cette fois d’une offensive des narcotrafiquants ou d’une démonstration de force de l’ultragauche, nous entrons en tout état de cause dans une nouvelle ère. Cette dernière voit la République faire face à des contestations idéologiques évacuant toute limite à leur action. À l’origine de ces opérations, on peut trouver des mouvances criminelles (dont la DZ Mafia nous fournit l’idéal-type, mais elle n’est pas la seule) qui se pensent assez puissantes pour adopter un comportement factieux débouchant sur des opérations de guérilla et de harcèlement des symboles et des forces de l’État. Ces actions impliquent par ailleurs des personnes présentant des caractéristiques sociopathiques sévères et une désinhibition totale.

Ces actions ont été manifestement coordonnées : que faut-il en déduire quant aux moyens de communication des organisations criminelles, en France, en 2025 ?

Ce que nous savions déjà depuis un moment. À savoir que leurs effectifs, leur structure organisationnelle, leurs équipements et leurs connaissances des moyens de surveillance de l’État leur permettent de préparer des opérations ambitieuses et parfaitement coordonnées. Nous avions déjà dressé ce constat après l’évasion sanglante de Mohamed Amra, en mai 2024.

Si le lien avec le narcotrafic se précise, les événements de la nuit accréditent-ils l’idée d’une « mexicanisation » de la France, comme l’avait affirmé Bruno Retailleau ?

En tout état de cause, nous sommes sur cette voie. Rappelons-nous, à propos de l’évasion d’Amra, que les investigations ont mis en lumière des liens complexes entre l’intéressé et des criminels d’origines diverses. Parmi les suspects figurent des membres de la Black Mafia Family (BMF), un groupe de narcotrafiquants. Plusieurs proches de Mohamed Amra ont été impliqués dans l’évasion, et certains ont perdu la vie dans un accident de voiture en novembre 2024 près du péage d’Heudebouville (Eure). Trois jeunes hommes, dont deux venaient du quartier de la Madeleine, à Évreux, sont morts dans cet accident, ce qui a suscité des interrogations sur leur rôle dans l’évasion. Cet accident a semblé être une coïncidence, bien que les enquêteurs aient relevé des liens potentiels avec l’évasion. Bref, on comprend bien l’orientation du chemin que nous prenons. Le degré de violence dont témoigne la criminalité contemporaine ne laisse pas planer de doute sur le fait que cette « mexicanisation » se déploie, à défaut d’être achevée.

L’administration pénitentiaire a été abondamment visée, un an après le drame d’Incarville que vous avez évoqué. Devrait-elle disposer de moyens accrus, d’attributions réservées actuellement à la police judiciaire, comme par exemple la possibilité de mettre sur écoute certaines cellules ?

Aujourd’hui, cela paraît évident. Et l’on comprend désormais l’intérêt des mesures dévoilées par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, lorsqu’il a annoncé la création de nouvelles prisons de haute sécurité pour accueillir les 200 narcotrafiquants les plus dangereux - dont la première est promise pour la fin juillet 2025. Il avait indiqué que ces établissements, situés à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et à Condé-sur-Sarthe (Orne), visaient à renforcer la fermeté de l’État après l’évasion violente de Mohamed Amra. Les prisonniers en question sont principalement des narcotrafiquants, mais aussi des terroristes islamistes. Le régime d’isolement prévu dans ces établissements sera extrêmement strict et inclura des mesures comme des fouilles intégrales après chaque contact avec l’extérieur, des parloirs sécurisés avec hygiaphones et une communication téléphonique strictement contrôlée. Ce régime pourra être appliqué à ces détenus pour une durée initiale de quatre ans, renouvelable. Et en effet, on comprend l’utilité de sonoriser certaines cellules en regard du niveau de dangerosité atteint par l’univers carcéral. Car c’est une atteinte grave à la crédibilité de l’État qui est en train de se cristalliser sous nos yeux. Il faut bien prendre conscience du fait que « le dehors » pose autant de problèmes que « le dedans ». De véritables écosystèmes criminels prospèrent dans certains quartiers sensibles (à Marseille, Grenoble, Valence, pour ne citer que ces villes), au point d’inciter des services publics à déménager avec armes et bagages… Les individus incarcérés aujourd’hui peuvent inciter ou « commander » des actes d’agression depuis leur prison. Néanmoins, ils peuvent obtenir un résultat parce que ces zones de la loi du plus fort existent à l’extérieur.

Des slogans anarchistes auraient été retrouvés sur certains véhicules incendiés : où en sont les mouvances d’ultragauche ? Disposent-elles de moyens de guerre ?

Elles n’ont pas fondamentalement évolué ces deux dernières années. Elles constituent une tendance lourde au sein des radicalités, et la tendance poussant à une plus grande brutalité n’a pas cédé du terrain. Les épisodes de violence autour de Sainte-Soline et de la question des mégabassines l’avaient rappelé. La question n’est vraiment pas celle de l’accès à des armes « de guerre ». Hélas, il n’est pas vraiment compliqué de nos jours de se procurer des kalachnikovs avec les bons intermédiaires. Le sujet consiste davantage à savoir si quelques militants d’ultragauche vont résolument basculer dans la violence armée et s’ils prendront le risque de pertes humaines, en particulier sur un thème, les prisons, qui s’inscrit dans leur doctrine, mais qui n’en forme pas à l’heure actuelle la pointe de diamant. C.G.

Le Figaro - le 16 avril 2025

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