Milieu carcéral romand –
La prison, une épreuve aussi pour les familles des détenus
Les difficultés psychologiques, sociétales et financières s’enchaînent souvent à l’abri des regards. Deux mères lèvent le voile et racontent leur histoire.
Prison en Suisse: une épreuve aussi pour les familles des détenus, une enquête de la Tribune de Genève https://t.co/6ds5vVjlBa
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 17, 2025
L'article "Prison en Suisse : une épreuve aussi pour les familles" explore les défis psychologiques, sociaux et financiers auxquels sont confrontées les familles des détenus en Suisse romande. À travers les témoignages de deux mères, l'article met en lumière les difficultés vécues par les proches des personnes incarcérées, souvent ignorées par la société.
La fondation REPR joue un rôle crucial en accompagnant ces familles. Elle propose des visites mensuelles avec des activités ludiques pour maintenir le lien entre les parents détenus et leurs enfants. Ces visites, organisées dans un cadre sécurisé, permettent de préserver le lien parental malgré l'incarcération.
Les familles doivent également faire face à des charges financières importantes, notamment pour subvenir aux besoins du détenu et maintenir le foyer familial. L'isolement social est un autre aspect difficile, car les proches cachent souvent leur situation par honte ou par peur du jugement.
L'article souligne enfin l'importance de soutenir ces familles pour atténuer les impacts négatifs de l'incarcération sur leur vie quotidienne et leur bien-être émotionnel. La fondation REPR, par ses actions, vise à offrir un soutien essentiel pour aider ces familles à traverser cette épreuve.
Cléa Mouraux
«Un matin, il est parti au travail comme d’habitude et il n’est jamais revenu. Jusqu’ici, nous avions une vie de famille parfaite avec nos deux jeunes filles.» Alice* n’aurait jamais pensé avoir affaire au milieu carcéral et pourtant, lorsque son mari a été arrêté en septembre dernier, elle a dû faire face à un terrible choc.
L’incarcération, quel qu’en soit le motif, s’accompagne de toutes sortes de difficultés. Et celles-ci ne concernent pas uniquement le détenu. L’entourage voit également son quotidien chamboulé. Des situations familiales complexes, souvent passées sous silence.
La fondation privée REPR, présente dans toute la Suisse romande, a pour mission d’accompagner les familles dont un membre est détenu. L’ensemble des professionnels, les intervenants socio-éducatifs et les bénévoles offrent un soutien émotionnel et psychologique, ainsi qu’une préparation aux visites en parloir et au nouveau quotidien qui s’impose à ces familles.
Ils fournissent également des informations pratiques pour permettre de mieux comprendre le fonctionnement des centres pénitentiaires et de la justice.
«La séparation est très dure à vivre»
En bref
- La fondation REPR accompagne des milliers d’enfants de détenus en Suisse romande.
- L’organisation propose des visites mensuelles avec jeux entre parents détenus et enfants.
- Les familles supportent des charges financières importantes pendant l’incarcération d’un proche.
- L’isolement social frappe durement les proches qui cachent souvent leur situation.
Alice a dû attendre plusieurs mois avant de pouvoir rendre visite à son mari à la prison de Champ-Dollon, à Genève. «On a beau se dire que les prisonniers sont bien traités, la séparation et le manque de communication sont très durs à vivre pour les familles. Comme l’enquête est en cours, les visites étaient interdites les trois premiers mois et les lettres très surveillées.»
La procureure avait néanmoins autorisé les deux enfants à aller voir leur père dans le cadre des visites organisées par REPR. Viviane Schekter, la directrice de cette fondation, explique qu’«une fois par mois, on pousse les tables des parloirs, on amène des jeux et on propose aux détenus d’avoir un moment seuls avec leurs enfants. Cela permet de maintenir au mieux le lien parental, s’il est dans l’intérêt de l’enfant.»
«Je suis très reconnaissante que mes filles aient eu cette opportunité, déclare Alice. C’était très important pour elles. REPR leur a expliqué ce qu’est la prison. Ils ont essayé de rendre le tout plus abordable. Par exemple, ils appellent le grand portail d’entrée la «bouche de baleine.»
La fondation REPR est très investie dans le travail avec les mineurs, qui est réalisé autour de la recommandation du Conseil de l’Europe de 2018, ratifiée par la Suisse. Objectif: montrer que les parents incarcérés gardent leur droit d’être parents, mais aussi que les enfants ne doivent pas subir la peine de ces derniers.
REPR propose également aux enfants de se rencontrer. «Cela leur apporte tout autre chose que nous en tant qu’adultes. Ils se sentent moins seuls et peuvent se soutenir entre eux», explique Viviane Schekter. En Suisse romande, en 2024, plusieurs milliers d’enfants vivaient avec un parent en prison, estime la fondation. REPR en a épaulé 550 de diverses manières cette année-là, dont un tiers qu’elle a accompagné en visite. Notons qu’il n’existe aucune statistique en Suisse sur le nombre de parents incarcérés.
«Un moment précieux»
Il a aussi fallu qu’Alice décide quelles informations révéler à ses enfants, dans le souci de les protéger au maximum: «Au début, on ne voulait pas trop leur dire pourquoi leur papa était en prison. Mais les enfants se posent énormément de questions. Je ne voulais pas leur mentir.» Finalement, les jeunes filles ont surtout été soulagées «qu’il n’ait violenté personne. Parce que dans l’imaginaire d’un enfant, on va en prison quand on tue quelqu’un.»
Alice s’est rendue pour la première fois à Champ-Dollon lors du parloir de Noël, organisé spécialement par REPR: «Se retrouver en famille a été très émouvant. Nous avons décoré des biscuits, un moment précieux.»
Dans cette prison genevoise, les détenus ont habituellement le droit à une visite d’une heure par semaine et dix minutes d’appel. Une deuxième rencontre est autorisée avec les enfants. «Une heure passe très vite et nous avons peu d’intimité, mais mes filles sont contentes de le voir. Ils dessinent et jouent ensemble. Il essaie de prendre son rôle de papa.»
«Je me sens dépassée»
Les filles d’Alice ne veulent surtout pas manquer de parloir, quitte à ne pas se rendre aux fêtes d’anniversaires de leurs copines. «Je me demande combien de temps elles vont devoir supporter cela. C’est très touchant pour une maman. On veut le meilleur pour nos enfants, mais on sait que ça va laisser un impact sur toute leur vie.»
La plus petite ne veut plus dormir seule, poursuit la maman: «Une fois, je suis allée manger au restaurant avec des collègues et elle a fait une crise d’angoisse, de peur que je ne rentre pas. Je me sens dépassée. J’ai peur qu’elles soient privées de leur père pendant leur adolescence. Je pense que c’est aussi dur pour nous que pour lui.»
Si la mère de famille en veut toujours à son mari, elle estime que tout le monde a droit à une deuxième chance: «Souvent, avant d’aller au parloir je suis en colère, mais une fois que je suis face à lui et que je le vois si meurtri, je ne peux pas l’accabler davantage. Il regrette énormément ce qu’il a fait.»
«De famille parfaite à famille honteuse»
Socialement, la peine est également lourde à assumer et le sujet très tabou. «Ma famille est en colère contre mon mari et, au début, ne me parlait plus que de ça», observe Alice. Dans la vie de tous les jours, elle préfère raconter que son mari travaille. Par honte.
Deux amies d’Alice sont au courant de la situation. «Une d’elles m’a dit qu’elle ne voulait plus avoir affaire à nous et a pris ses distances. Cela m’a blessée. La deuxième prend souvent de mes nouvelles et essaie de me proposer des sorties.» Elle indique que, seule avec ses filles, elles n’ont plus envie de faire quoi que ce soit: «Nous sommes passés de la famille parfaite à la famille honteuse. C’est dégradant.»
Alice n’a pas caché la situation à l’école de ses filles: «Au début, leurs maîtresses ont été choquées, mais elles se sont montrées compréhensives. Une de mes filles a eu des difficultés et a eu droit à de l’aide supplémentaire.»
«Heureusement que je travaille aussi»
La question financière est également souvent au cœur des soucis, d’autant plus si le garant du revenu principal de la famille se retrouve derrière les barreaux.

Français, Alice et son mari résident dans le canton de Vaud depuis douze ans. «Heureusement que je travaille aussi, je ne sais pas comment j’aurais fait autrement. J’arrive à m’en sortir et garder l’appartement, mais je dois faire très attention. En plus du loyer à payer seule, je dois aussi subvenir aux dépenses de mon mari. Je paie chaque mois son assurance maladie et je verse entre 400 et 500 francs à la prison pour qu’il puisse notamment téléphoner et s’acheter des choses au petit magasin.»
Pour Alice, le plus dur reste la séparation. «C’est long. J’ai l’impression que ma vie s’est arrêtée et qu’elle reprendra quand il sortira.» Les solutions alternatives à la pleine privation de liberté sont encore peu utilisées en Suisse, mais elle garde espoir: «J’espère de tout mon cœur qu’il aura un bracelet électronique. Il doit purger sa peine, mais il n’est pas dangereux pour la société. Cela lui permettrait de travailler et de voir ses filles. Je suis convaincue que maintenir le lien familial au maximum ne peut être que bénéfique, pour lui comme pour nous.»