Suppression des activités ludiques en prison : "Gérald Darmanin a vraiment un problème avec le yoga"

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La fin des activités ludiques en prison, une volonté publiquement affichée par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. À la Maison d'arrêt de Nancy-Maxéville en Meurthe-et-Moselle, cela entraîne la suppression du yoga. Explications.


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Le yoga, une activité très prisée, mode et tendance à en croire les qualificatifs utilisés par de nombreux sites et magazines. Sa pratique explose d'ailleurs dans l'hexagone selon les chiffres avancés par le SNPY (Syndicat National des Professeus de Yoga) : 1 français adulte sur 5 aurait déjà participé à ce type d'activité au cours des dernières années.

En prison aussi, le yoga a trouvé refuge, même s'il reste très difficile d'obtenir des statistiques précises de cette pratique auprès du ministère de la Justice. Seule certitude, derrière les barreaux, l'exercice va bien au-delà du simple loisir. "Le yoga, bien plus qu’une simple activité physique, offre des bénéfices concrets et mesurables en milieu carcéral" explique Babeth Boivin, professeure de yoga, "il favorise une meilleure gestion du stress, de l’anxiété, de l'angoisse et de la violence. Il améliore les capacités respiratoires et sensorielles, et contribue à réduire les tensions, tant individuelles que collectives".

Il y a six ans, Babeth met en place un programme d'ateliers pour intervenir avec une de ses collègues au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville auprès d'un public "souvent marqués par la précarité, les violences ou des troubles psychologiques". Au menu : "des séances mixtes en détention classique". La méthode est notamment basée sur des exercices respiratoires qu'elle développe également en Belgique à la prison de Lantin, près de Liège, "tant pour les hommes que pour les femmes", ainsi qu'en établissement de défense sociale, accueillant des "personnes jugées irresponsables de leurs actes en raison de leur pathologie ».

Le bénéfice du yoga en prison est vraiment flagrant. Les retours d’expérience montrent que les détenus qui le pratiquent régulièrement développent une plus grande capacité de contrôle émotionnel

Babeth Boivin, professeure de yoga

"Il ne s’agit ni de minimiser la gravité des actes ayant conduit à l’incarcération ni de remettre en question la nécessité de la peine" précise la professionnelle, "cette approche s’inscrit dans la lignée des principes défendus par diverses institutions et personnalités engagées dans l’amélioration des conditions de détention, comme Simone Veil ou Robert Badinter. En fait, j'ai toujours su qu'il y avait un intérêt, que ce soit pour le détenu, sa relation avec les autres détenus, les surveillants et aussi avec sa famille. Le bénéfice du yoga en prison est vraiment flagrant. Les retours d’expérience montrent que les détenus qui le pratiquent régulièrement développent une plus grande capacité de contrôle émotionnel, ce qui facilite la cohabitation avec leurs codétenus et améliore leurs interactions avec le personnel pénitentiaire". L'avenir ? Rideau.

Suite à une polémique sur des soins du visage prodigués à des détenus de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, le ministre de la Justice ordonne mi-février que les activités de toutes les prisons soient absolument limitées "au soutien scolaire et à la langue française, à l’activité autour du travail et à l’activité sportive". Game over pour le yoga, qualifié comme une activité "ludique" et "non essentielle". "On m'a appelé tout de suite" se souvient Babeth Boivin, "on m'a annoncé que les activités étaient immédiatement suspendues. Je me suis dit mais quel est le problème ? Tout a été confondu, transformé, amalgamé entre massage, maquillage... L'État a besoin de faire des économies ? Alors on s'en prend de façon brutale aux publics les plus vulnérables comme dans le social, la culture ou le médical. Je sais que certaines activités ont pu reprendre petit à petit mais le yoga, c'est toujours non. Je crois que Gérald Darmanin a vraiment un problème avec le yoga. En fait, j'ai l'impression qu'on repart 50 ans en arrière."

Un débat tranché

"J'ai même vu une prison où on a arrêté les échecs" rapporte Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, "la déclaration du garde des Sceaux est très déplacée, choquante et démago. Le yoga, le foot, c'est ludique ou pas ? Le yoga, ça calme. Gérald Darmanin ne reviendra jamais sur ce qu'il a dit mais je suis certain que ce n'est pas ce dont il est le plus fier. Il ne peut que regretter d'avoir réagi aussi vite. Les massages, c'était une rumeur. Je rappelle que ces activités sont prévues par la loi pour réapprendre aux gens à revivre normalement en vue de leur libération ».

Le yoga, ce n'est pas primordial dans le processus de réinsertion

Franck Rassel, secrétaire interrégional FO Justice

"C'est une activité marginale" tempère Franck Rassel, secrétaire interrégional FO Justice à Direction interrégionale des services pénitentiaires du Grand Est, "sincèrement, je n'en vois pas l'intérêt. Faire venir une personne pour faire du yoga ne va pas résorber les problèmes des détenus. Moi, je préférerais emmener les détenus sur des sorties sports ou qu'ils aillent plus à l'école et qu'ils aient cours tous les jours. Le yoga, je ne vois pas l'intérêt, même constat que la câlinothérapie. Nous, on aimerait que les cours et le travail soient obligatoires quand il y en a. Le yoga, ce n'est pas primordial dans le processus de réinsertion".

Le Conseil d'État saisi

La Ligue des droits de l'Homme (LDH) et le Syndicat de la magistrature (SM) ont annoncé avoir saisi le Conseil d'État pour suspendre la décision du garde des Sceaux d'interdire les "activités ludiques" en prison. Cette interdiction "contribue à entraver le droit de toute personne détenue à la réinsertion", ont affirmé les sept organisations requérantes dans un communiqué. Une quarantaine d'organisations, dont déjà l'OIP, la LDH et le SM mais aussi le Secours catholique et Médecins du monde, avait dénoncé dans un communiqué commun l'"approche exclusivement punitive de la prison" et demandé à Gérald Darmanin "d'engager une réflexion sérieuse sur le sens de la peine et l'amélioration des conditions de détention". Selon un décompte "provisoire et non exhaustif" réalisé par les organisations qui ont déposé un recours devant le Conseil d'État, 122 activités, programmées ou en cours de programmation, ont été suspendues ou annulées en quelques semaines dans au moins 65 établissements pénitentiaires en application de l'instruction du ministre de la Justice.

france3_regions le 6 avril 2025

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