À Mayotte, l’unique prison de l’île au bord de l’explosion

 Le GIGN a été déployé pour mettre fin à une mutinerie dans cet établissement surpeuplé. À bout, les surveillants ont exercé leur droit de retrait.

• Jeromine Doux

Dans le long couloir du centre de rétention pour hommes de la prison de Majicavo, la luminosité ne s’infiltre qu’à travers le toit du bâtiment. Derrière les portes des cellules éloignées seulement de quelques pas, des pièces d’à peine 9 m² chacune. À l’intérieur, un lit superposé, installé derrière une petite pièce d’eau, meuble les trois quarts de l’espace. Des matelas en mousse et des chaises en plastique complètent le mobilier, au milieu des vêtements et de quelques affaires personnelles, posés à même le sol. Les cellules, conçues pour deux personnes, accueillent en moyenne 4 à 5 détenus, « parfois même 6 », souligne le syndicat FO-justice dans un communiqué.

L’unique centre pénitentiaire de Mayotte est surchargé à 245 %, selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, datant du 1er août. En janvier, jusqu’à 678 détenus y étaient incarcérés pour 278 places. « Un record », souligne Marie Deyts, adjointe au chef du centre pénitentiaire de Majicavo. À titre de comparaison, au niveau national, les prisons sont en moyenne surchargées à 119 %.

Un surpeuplement « qui a fait péter les plombs aux détenus », ce samedi 28 septembre, estime Saïd Gamba, représentant syndical CGT-pénitentiaire. Vers 15 heures, alors que cinquante à cent détenus étaient dans la cour de promenade, une poignée d’entre eux a retenu à l’extérieur le surveillant qui leur demandait de rentrer dans leurs cellules. Avant que d’autres ne s’en prennent à un gradé, à l’intérieur du bâtiment, en « lui volant ses clés et en l’agressant », assure le représentant syndical. « Avec les clés, ils ont ouvert toutes les cellules. Ils ont mis le feu aux matelas et ont tout saccagé, poursuit Saïd Gamba. Des ordinateurs ont été totalement détruits, les caméras de surveillance également, et les systèmes de fermeture et d’ouverture des portes ne fonctionnent plus. » Deux autres surveillants se sont réfugiés dans un bureau, pour se protéger. Des hommes du GIGN sont intervenus sur place et ont libéré les agents pénitentiaires vers 18 heures, « sans faire de blessés », indique la préfecture de Mayotte.

Après cet « événement choquant », la majorité des surveillants a décidé d’exercer son droit de retrait dimanche. Ce lundi 30 septembre, « tous les surveillants de jour, soit 60 personnes environ, ont refusé d’aller travailler », assure Saïd Gamba. Selon lui, « il n’est plus possible d’exercer dans ces conditions. »« Quand on libère 10 détenus le matin, on en accueille 20 le soir. La criminalité explose à Mayotte, poursuit-il. On demande aux policiers d’arrêter les délinquants, à la justice de les juger, mais on ne sait pas où placer les condamnés. »

Pour les 118 surveillants que compte l’établissement, l’urgence est donc de désengorger le centre pénitentiaire « surchargé depuis sa création en 2015 », indique le syndicaliste. En mars 2022, à l’occasion d’une visite sur le territoire, le ministre de la Justice de l’époque, Éric Dupond-Moretti, avait promis la construction d’une deuxième prison. Un projet « toujours d’actualité » selon Nicolas Jauniaux, le directeur du centre pénitentiaire de Majicavo. Reste qu’aucun terrain n’a été choisi pour le moment. « Il y a toujours un problème : soit le terrain est trop petit, soit il est inondable », s’agace le représentant de la CGT-pénitentiaire. À court terme, aucune solution ne semble donc se dessiner. « Nos collègues de La Réunion refusent qu’on leur envoie des détenus et les transferts vers la métropole ne sont pas possibles puisque nous sommes trop loin », poursuit Saïd Gamba, qui proteste également contre le manque de personnel. Car les effectifs de la prison sont définis en fonction du nombre de places et donc adaptés à 278 détenus.

D’autant que le territoire est déjà très exposé aux faits de violence. Selon l’Insee, les habitants de Mayotte sont dix fois plus victimes de vols avec violences que ceux de l’Hexagone. Et les chiffres augmentent chaque année. Entre 2022 et 2023, le nombre de personnes condamnées à des peines de prison a par ailleurs été multiplié par deux. « Plusieurs peines sont en attente d’exécution pour soulager la prison. Et en termes d’aménagement de peines, on ne peut pas faire mieux », assure Nicolas Jauniaux, le directeur de la prison.

À cause de cette surpopulation, le centre pénitentiaire se dégrade beaucoup plus vite que prévu. « Tout le matériel est surexploité, souligne Saïd Gamba. Les détenus payent pour la télévision mais la plupart des appareils ne marchent plus. Alors ils ne font rien de leurs journées et au moindre regard de travers, ils se tapent dessus, poursuit Saïd Gamba. On n’arrive même plus à les nourrir correctement parce qu’ils sont trop nombreux. Évidemment, ça finit par dégénérer, ça fait des mois qu’on alerte nos supérieurs. » Dans ce contexte, le représentant syndical assure qu’il « ne reprendra pas le travail avant qu’une solution ne soit trouvée. »

Le Figaro : le 1er octobre 2024

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