Pour la magistrate, il faut en finir avec l’aménagement systématique des peines, qui ne prévient aucunement la récidive. Et accepter d’incarcérer les délinquants y compris pour des courtes durées.
De l’urgence de rétablir les courtes peines de prison
— framafad paca corse (@WaechterJp) November 7, 2024
Pour la magistrate Béatrice Brugere, il faut en finir avec l’aménagement systématique des peines et accepter d’incarcérer les délinquants y compris pour des courtes durées. @LeFigaro_France pic.twitter.com/HFAieEEXC1
• Béatrice Brugere
Fusillades, assassinats, règlements de comptes, agressions ultra-violentes s’enchaînent à une vitesse vertigineuse sur tout le territoire français et nous obligent à interroger l’efficacité de notre politique sécuritaire et pénale, y compris pour des mineurs de plus en plus jeunes. Certains parlent de mexicanisation, de narco-État quand d’autres continuent à se bander les yeux et rester sourds au bruit des balles. La sécurité devient un enjeu majeur pour la démocratie face à cette déstabilisation violente qui nous met dans l’incapacité de faire face et de répondre de manière adaptée. Alors que les prisons débordent, la justice est accusée de laxisme tandis que le garde des Sceaux assure que tout est sous contrôle.
Pourtant, à y regarder de près, sommes-nous vraiment à la hauteur des enjeux ? Il devient urgent de changer notre grille de lecture et notre modèle pénal daté des années 1980, qui ne répond plus non seulement à la délinquance et à la surpopulation carcérale mais semble au contraire les entretenir. Notre refus de juger de manière rapide et proportionnée à la gravité des faits, en prononçant des ultra-courtes peines de prison réellement exécutées, nous entraîne assurément dans un échec sécuritaire et pénal tout en faisant augmenter la surpopulation carcérale. Car plus on tarde à sanctionner plus on entretient l’ancrage dans la délinquance, sans réelle possibilité de réinsertion, et plus les peines prononcées in fine sont longues.
Il faut réapprendre à sanctionner de manière pertinente et efficace en créant des ultra-courtes peines de 7 à 14 jours pour le premier fait grave, y compris pour les mineurs, au lieu de prononcer des alternatives à l’incarcération et attendre une multitude de délits avant de sanctionner. Abandonnons l’idéologie des années 1980 et le prêt-à-penser conformiste qui consiste à vouloir réinsérer en premier et sanctionner le plus tardivement possible, car après il est vraiment trop tard. Cette politique pénale issue de la pensée du philosophe Michel Foucault, critique du système carcéral, repose sur le postulat que la délinquance trouverait son origine dans une cause quasi unique d’ordre socio-économique déresponsabilisant le délinquant, lui-même victime de la société. De là, la prison serait l’école du crime qu’il faut à tout prix éviter pour privilégier toutes les alternatives aux peines et les aménagements (bracelet électronique, semi-liberté, TIG, sursis avec un objectif de réinsertion socio-économique). Ainsi, en France, la prison est devenue l’exception de la réponse pénale et le nombre d’aménagements de peine n’a cessé de progresser pour passer de 63 381 en 1983 à 171 146 au 30 décembre 2023.
Cette augmentation des aménagements de peine, dont on n’a d’ailleurs jamais prouvé l’efficacité sur le plan de la réinsertion et de la prévention de la récidive, n’a pas empêché la croissance du taux de surpopulation carcérale. C’est donc un échec sévère qui ne peut être seulement dû au manque de places de prison par rapport à nos voisins européens, mieux équipés, mais aussi une erreur de diagnostic.
D’autres pays plus pragmatiques et moins idéologues que nous, comme l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, les Pays-Bas, la Scandinavie et le Luxembourg, ont fait le choix, avec succès, de sanctions immédiates, plus courtes, plus rapides et exécutées en prison, et semblent avoir résolu ainsi le problème de la surpopulation carcérale et maîtrisé l’explosion de la violence. Sommes-nous alors si aveugles à la réalité criminelle et aux solutions qui pourraient la contenir ?
À l’inverse de nos préjugés, nos prisons ne débordent pas parce que nous incarcérons trop, mais parce que nous incarcérons trop tard, trop longtemps et très peu (76,2 % alternatives à l’emprisonnement en 2023) dont 40 % sont immédiatement aménagées.
En effet, il n’y a pas plus de détenus dans nos prisons en 2024 qu’en 1984 ! Les statistiques sont implacables, le nombre d’entrants en détention est le même. Par contre les détenus restent quasiment deux fois plus longtemps, la durée moyenne d’incarcération passant de 5 mois à 11 mois. En conséquence, pour le même nombre d’entrants, il est nécessaire d’avoir deux fois plus de places.
Quelques autres indicateurs doivent nous interpeller sur notre modèle français. Comment expliquer le très faible taux de renvois devant une juridiction (à peine 14 % des affaires) alors que la moyenne européenne s’élève à 32 % ? comment justifier le taux de 75 % de classement pour auteur non identifié alors qu’il est de 38 % au niveau européen ?
Pourquoi le taux d’élucidation des vols simples s’effondre à 7 %, ce qui souligne l’abandon de la lutte contre ces délits et d’une certaine manière une dépénalisation qui ne dit pas son nom. Quant à la violence, elle est le résultat d’un ancrage dans la délinquance qui n’a pas été traité à temps, provoquant un sentiment d’impunité et de toute puissance.
C’est sur le primo-délinquant qu’il faut se concentrer en priorité pour faire baisser la récidive et la criminalité, la prison étant un levier statistique avéré de la rupture du parcours de la délinquance si elle intervient suffisamment tôt. En revanche, les aménagements de peine qui ont été considérés comme le moyen de prévenir la récidive sont un échec. Tous les pays les ayant développés massivement, comme la Grande Bretagne, les États-Unis, l’Espagne et l’Italie ou le Canada, ont vu leur taux d’incarcération s’envoler.
Il faut donc un renversement idéologique de notre politique d’exécution des peines et un retour aux principes humanistes du philosophe Cesare Beccaria, qui à son époque était lui-même à contresens de la pensée dominante en préconisant des peines proportionnées à la gravité des délits, rapidement exécutées et certaines. Ainsi, notre proposition de créer à titre principal des ultra-courtes peines (7 à 14 jours) et de rétablir les courtes peines permettrait d’éviter une incarcération désocialisante et de longue durée, de prévenir la récidive par le « choc carcéral » et d’assurer la certitude de son prononcé rapidement. Cette incarcération réservée aux faits graves d’atteinte aux personnes devrait intervenir le plus tôt possible dans un parcours de délinquance, surtout chez les mineurs, avant qu’il ne soit trop tard.
Pour inverser la spirale dans laquelle nous nous enfonçons sans solution, il faudra imaginer des établissements ou quartiers adaptés pour ne plus mélanger les profils de délinquants selon leur dangerosité.
Pour ceux qui pensent que c’est impossible par manque de place, il suffirait sur une année de disposer de seulement 400 places pour incarcérer 20 000 condamnés pour une peine d’une durée de 7 jours ! Tout est question de volonté politique et de lucidité et nous pouvons nous réjouir du discours de politique générale du gouvernement Barnier, qui semble vouloir s’inscrire dans cette direction.
Le Figaro - le 6 novembre 2024