Plus de 200 personnes sont actuellement retenues à Vincennes dans des conditions indignes. Vendredi, les sénateurs PCF lan Brossat et Pascal Savoldelli sont venus inspecter l'établissement du Val-de-Marne
Dans l’enfer d'un centre de rétention administrative
— framafad paca corse (@WaechterJp) October 24, 2024
Plus de 200 personnes sont actuellement retenues à Vincennes dans des conditions indignes. @lhumanité pic.twitter.com/LesPQVfICP
Freddy déambule hébété en évitant les déchets qui jonchent le sol : depuis deux jours, il est interné dans le centre de rétention administrative (CRA) du sud du bois de Vincennes (Val-de-Marne). «Je ne comprends pas pourquoi je suis ici. Je réside en France depuis onze ans, j'ai mes papiers et un emploi stable, en CDI, à l'hôpital Saint-Joseph, je cuisine et je livre les repas aux malades. Mon absence au travail embête tout le monde », s'indigne -t - il. Le monde s’effondre autour de lui depuis qu'il a reçu, voilà trois semaines, une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour retourner au Cameroun. « On m'a expliqué que j’étais une menace à l' ordre public. Mon passé me rattrape car y ai fait de la prison en 2015 pour escroquerie. Mais j'ai purgé ma peine, j'ai une nouvelle vie aujourd'hui », poursuit-il, encore hagard.
Comme lui, 214 personnes sont retenues dans ce CRA. Vendredi, les sénateurs PCF lan Brossat et Pascal Savoldelli sont venus inspecter les conditions de rétention, alors que le gouvernement prévoit une nouvelle réforme de la loi immigration en 2025. L’un des objectifs annoncés par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, est d’allonger la durée légale de rétention en CRA de 90 à 210 jours. Or « la précarité est terrible ici. Que ce soit pour les retenus ou pour les agents qui travaillent, il faut du changement », observe Pascal Savoldelli, qui appelle à une réhabilitation. Devant la crasse accumulée du sol au plafond, un pigeon à moitié mort dans l'enceinte des bâtiments, des meubles à peine nettoyés, il dénonce un traitement
inhumain et une grave dérive. « Sommes-nous dans le domaine de la rétention ou dans le domaine du pénal dans ce CRA ? Nous basculons vers une équation injustifiée entre immigré et insécurité. »
« DES ANNEXES DES PRISONS »
À l'origine, les CRA ont été bâtis pour des durées de rétention de quelques jours. Mais ces lieux ne correspondent plus du tout à leur vocation initiale. «Ces centres ne sont plus uniquement des lieux de passage, ils sont devenus des annexes des prisons où l’on peut rester parfois plusieurs mois », dénonce lan Brossat, qui dialogue avec Aboubakar, arrivé de Côte d'Ivoire il y a quatre ans. «Depuis que je suis ici, je ne peux plus travailler. je suis agent de sécurité et mon salaire est de 780 euros au maximum. J’ai besoin d'y retourner», raconte- t -il. Ses maigres revenus d'hébergement. Sans adresse stable, il notifier une OQTF. Cet engrenage infernal touche nombre de travailleurs immigrés. Des solutions existent pourtant : régulariser les travailleurs sans papiers et organiser un accueil digne. Mais le gouvernement préfère allouer des moyens supplémentaires à la répression : une rétention de 210 jours en CRA constituerait une déshumanisation aggravée, une surcharge pour les tribunaux, ainsi qu'une gabegie d'argent public.
« Le ministre de l'Intérieur
reprend la rhétorique
de l'extrême droite. »
PASCAL SAVOLDELLI,
SÉNATEUR PCF DU VAL-DE-MARNE
Les sénateurs s'entretiennent avec la responsable de l'association partenaire de ce CRA, qui souhaite rester anonyme. Elle rapporte que certains retenus, passés par la prison, en viennent parfois à regretter leur ancien environnement pénitentiaire tant les centres deviennent des zones de non-droit. Face à l'insécurité, ils acceptent par dépit de retourner dans leur pays d'origine.
La prolongation à 210 jours de la durée de rétention vise d'ailleurs à expulser davantage de monde, en pariant sur le pourrissement de la vie sur place.
« Nous avons besoin d'une politique d’immigration qui traite concrètement les problèmes au lieu de se servir des personnes migrantes comme des boucs émissaires permanents », fait valoir lan Brossat. «Le discours actuel sur l'immigration consiste à voir ces personnes uniquement comme des sources de problèmes et non d'enrichissement pour la société. Le ministre de l'Intérieur reprend la rhétorique de l’extrême droite. Nous ne pouvons pas laisser passer cela'', enchaîne Pascal Savoldelli.
Dans les couloirs glacés, certains s'échangent des sourires et tentent de s'occuper comme ils peuvent devant les chaînes d'information. Un jeune Algérien s'approche des sénateurs et les remercie de s'intéresser à leurs vies. «Je ne dors pratiquement pas la nuit à cause de mes douleurs dentaires», témoigne- t -il. Une souffrance très vite délégitimée par le médecin du CRA: «J'ai un dicton: ce sont tous des menteurs jusqu'à preuve du contraire. » Preuve que plus rien ne tourne rond dans cet endroit, qui sombre dans l'absurde et l’arbitraire."
MARGOT BONNÉRY
L’Humanité - le 22 octobre 2024