RISQUE À un mois de l’ouverture des Jeux olympiques, l’heure est à la surveillance accrue des islamistes identifiés
TERRORISME ISLAMISTE
— framafad paca corse (@WaechterJp) June 17, 2024
La récidive des ex-détenus quasi inéluctable ?
RISQUE À un mois de l’ouverture des Jeux olympiques, l’heure est à la surveillance accrue des islamistes identifiés @leJDD pic.twitter.com/sTSKAHta9o
• WILLIAM MOLINIÉ
Terroriste un jour, terroriste toujours ? À un mois des JO, les visites domiciliaires se multiplient chez les islamistes fichés par le renseignement, avec une large mise à contribution de la police judiciaire. À Paris, les enquêteurs de la BRI, de la BRB et de la Crim’ se relaient chaque matin depuis trois semaines pour ouvrir des portes à la recherche du moindre indice laissant présager l’imminence d’un passage à l’acte. Un SMS, un courriel, une boucle Telegram ou encore la consultation d’une vidéo de propagande djihadiste… Systématiquement, des enquêteurs de la DGSI accompagnent ces opérations qui doivent être menées en toute discrétion, avant la cérémonie d’ouverture, au domicile de quelque 250 radicalisés franciliens. En premier lieu, les sortants de prison, « point de vigilance principal », selon une source de la DGSI. Tous sont considérés, par défaut, comme des grenades prêtes à dégoupiller.
Il faut dire qu’une douloureuse piqûre de rappel avait mis les autorités en alerte en fin d’année dernière. Le 2 décembre, le terroriste islamiste Armand Rajabpour-Miyandoab semait la mort sur le pont Bir-Hakeim, à Paris, avec un couteau et un marteau. Il a été mis en examen pour assassinat en état de récidive légale : en effet, cet islamiste radical, né de parents iraniens, était déjà connu des services antiterroristes pour avoir planifié un attentat dans le quartier de La Défense (Hautsde-Seine), en 2016. Condamné à cinq ans de prison en 2018, il était sorti en mars 2020, après quatre ans de détention. Ce cas est considéré comme « marginal », selon une source du renseignement, « tant les récidives légales d’actes de terrorisme sont quantitativement infinitésimales ». Car pour retenir la « récidive », il faut que la seconde infraction soit de même nature que la première, dont la condamnation doit être définitive et toujours existante. Un cadre très restreint qui cache une réalité, celle de la « réitération » d’actes terroristes, qui s’apprécie, elle, sur le long terme.
« Loin d’être résiduelles, ces situations de réitérations trouvent au contraire une certaine récurrence dans les dossiers terroristes », complète une source du renseignement. « Certains islamistes radicaux incarcérés, outre les actions de prosélytisme qu’ils mènent auprès de leur entourage carcéral, s’engagent parfois dans des stratégies de recrutement, en vue de reconstituer, à l’aune de leur libération, des cellules opérationnelles », poursuit cette source.
Maintien d’un réseau djihadiste, action dans la djihadosphère ou départ sur une terre de djihad jusqu’à la réalisation d’un projet mortifère… La DGSI ne découvre pas les trajectoires des djihadistes « multiréitérants ». Safé Bourada, logisticien des attentats qui avaient frappé la France à l’automne 1995, a rallié d’autres jeunes radicaux à sa sortie de prison pour créer Ansar al-Fath, groupuscule qui sera démantelé juste avant de passer à l’action en 2005. Autre cas emblématique chez les vétérans du djihad, celui de Djamel Beghal, interpellé pour la première fois en 1994 par la sous-direction antiterroriste (SDAT), exilé au Royaume-Uni, formé par Al-Qaïda en Afghanistan puis à nouveau repris en 2001 en France… avant de devenir – derrière les barreaux de Fleury-Mérogis – le mentor de Chérif Kouachi et d’Amedy Coulibaly, deux des trois terroristes des attentats de janvier 2015. À sa sortie de prison en 2006, assigné à résidence, il fomente un projet pour faire évader Smaïn Aït Ali Belkacem, poseur de bombes lors de la campagne d’attentats de 1995. Condamné à dix ans de prison en 2010, il sera finalement déchu de la nationalité française et expulsé vers son Algérie natale en 2018.
À l’image de leurs aînés, la nouvelle génération de djihadistes, elle aussi, a bien souvent connu la case prison avant de passer à l’acte. Adel Kermiche par exemple, auteur de l’attentat dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016. Il avait déjà été mis en examen à deux reprises pour avoir voulu se rendre sur zone irako-syrienne, avant d’assassiner le père Hamel. Ou Bilal Taghi, condamné pour son projet avorté de départ en Syrie, qui a tenté de tuer deux surveillants de la prison d’Osny (Val-d’Oise) en 2016, avec un couteau artisanal, attaque tristement répertoriée comme le premier attentat djihadiste commis à l’intérieur d’une prison française. Même trajectoire pour Inès Madani et Sarah Hervouët, deux des protagonistes de l’attentat raté aux bonbonnes de gaz au pied de la cathédrale Notre-Dame : elles s’étaient engagées bien avant dans des projets de départ en Syrie. L’auteur de l’attentat de Magnanville (Yvelines), Larossi Abballa, avait lui aussi connu la détention et la condamnation judiciaire cinq ans avant pour son implication dans une filière de départs pour la zone pakistano-afghane.
« Le risque de récidive doit s’apprécier sur un temps long », souligne une source judiciaire spécialisée dans la prévention de la radicalisation. Elle estime que ce risque survient « dans des cycles de sept à dix ans ». Précision inquiétante devant le double phénomène qui existe actuellement. D’abord, l’augmentation de personnes écrouées pour terrorisme islamiste à partir du début des années 2010, en raison des départs entravés puis des attentats ; ensuite le nombre, depuis 2021, de détenus libérés, devenu supérieur au nombre de détenus écroués pour des faits de terrorisme. 95 sorties en 2021, 97 en 2022, 89 en 2023, une centaine d’ici à 2027. Au procès fleuve des attentats de Paris et de Saint-Denis, les magistrats du parquet national antiterroriste avaient, au cours de leurs réquisitions, convoqué Voltaire : « Lorsqu’une fois le fanatisme a gangréné un cerveau, la maladie est presque incurable. »
281 détenus libérés depuis 2021, une centaine d’ici à 2027
Le JDD - le 16 juin 2024