Je crains l’été. » Trois mots que se partagent aujourd’hui tous les professionnels de la justice, qu’ils soient magistrats ou personnels pénitentiaires. Sébastien Nicolas, secrétaire général de FO-direction, révèle qu’il y a « plus de 77 200 détenus » pour 61 359 places opérationnelles en France, et qu’à l’été, « la barre des 80 000 détenus a de bonnes chances d’être dépassée. C’est une situation dramatique et d’une inconscience totale ». Alors que le plan de construction de 15 000 places de prison est loin d’être atteint, il est déjà obsolète.
Avec la surpopulation carcérale, le système pénitentiaire au bord de l’implosion
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 5, 2024
Je crains l’été. » Trois mots que se partagent aujourd’hui tous les professionnels de la justice, qu’ils soient magistrats ou personnels pénitentiaires. @Le_Figaro pic.twitter.com/9X3DIOzEST
2 min • Paule Gonzalès
La situation sera encore plus critique dans les semaines et les mois qui viennent. Car, note Yoan Karar, secrétaire général adjoint de FO-surveillants, « à l’approche des Jeux olympiques, les incarcérations s’emballent partout en France. À cela s’ajoutent les opérations XXL : tous ces gens interpellés, il faudra bien les mettre quelque part ! »
« Pour l’interrégion de Paris, c’est tristement normal. Mais désormais, cette surpopulation est aussi stratosphérique à Toulouse, Bordeaux ou Carcassonne. Cela explique les mouvements de mécontentement dans ces établissements », analyse Yoan Karar. Une colère qui passe encore sous les radars, mais dont beaucoup redoutent un scénario similaire à celui de 2017, avec un embrasement pour une raison impromptue. « La seule interrégion épargnée est Strasbourg, mais les chiffres sont faussés car la maison d’arrêt, elle, explose. » Fait totalement inhabituel, les centres de détention et les maisons centrales font le plein. « Jusque-là, l’administration s’arrangeait pour laisser en centre de détention 10 % de cellules libres, et environ 20 % en maison centrale, afin de pouvoir faire tourner régulièrement les détenus les plus dangereux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et on ne peut plus bouger personne », poursuit Yoan Karar. Selon les chiffres de la Chancellerie, la densité carcérale des quartiers de semi-liberté frôle les 90 %. « Ce qui signifie que certains servent de déversoir aux maisons d’arrêt et sont blindés », rappelle-t-on à l’Ufap.
« La moitié des détenus sont des condamnés pour violence, mais nous avons étonnement moins d’incidents violents dans les prisons que dans les années 1980 et 1990, où les détenus condamnés pour vol étaient les plus nombreux », souligne-t-on dans les rangs de la pénitentiaire. « Pour l’instant, c’est à peu près calme car c’est le ramadan », précisent tous les professionnels. « Avec l’été caniculaire, la promiscuité, la baisse des activités et du nombre de personnels, ce sera explosif », estime Sébastien Nicolas.
Manque de personnels
Laurent Marino, délégué syndical FO pour la région de Marseille, remarque, lui, « une intensification de la violence entre détenus et contre les surveillants. Dès l’ouverture de cellule, ce sont des coups de poing. Nous avons eu cinq incidents graves depuis janvier ». Pour pacifier les prisons, de nombreux chefs d’établissement ont fini par lever le pied sur les poursuites disciplinaires. L’élargissement progressif des droits tout au long des dernières décennies a longtemps joué ce rôle : l’assouplissement des parloirs, le droit d’avoir la télévision en cellule, puis de pouvoir y cuisiner, de cantiner (faire des achats, NDLR), de disposer d’un téléphone, de pratiquer des activités…
Cette surpopulation carcérale s’aggrave sur fond de manque chronique de personnels. Les syndicats estiment ce manque « à 5 000 agents sur les 9 interrégions, avec des pics dans le Grand Est et les Hauts-de-France ». Sébastien Nicolas note « un taux de couverture des établissements en personnels compris entre 80 % et 85 % seulement ». À Troyes-Lavaux, établissement flambant neuf de 800 places inauguré récemment par Éric Dupond-Moretti lui-même, des bâtiments n’ont pas pu être ouverts faute de personnel en nombre suffisant. En conséquence, mal endémique de la pénitentiaire, les heures supplémentaires augmentent. Certains affichent des reliquats allant jusqu’à un an de travail. « Ainsi, les congés maladie s’empilent et nous avons des surveillants stagiaires qui ne viennent pas et ne préviennent même pas », assure Laurent Marino; « Du fait de la surpopulation carcérale, on ne manque pas seulement de surveillants, mais aussi de conseillers d’insertion et de probation, de greffiers, et de fonctionnaires gérant les comptes nominatifs des détenus », tient-il à rappeler. P. G.
LE FIGARO - le 4 avril 2024