Vers une réforme des escortes pénitentiaires

Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux, a pris le temps nécessaire. Mercredi, au lendemain de l’attaque du fourgon qui a coûté la vie à deux agents pénitentiaires, il a longuement reçu l’intersyndicale des surveillants de prison qui a appelé à bloquer les prisons mardi matin. Le Figaro rend compte de l’avancée des discussions  entre le garde des sceaux et l’intersyndicale.

De son côté, France3 Régions rend compte de la situation quelques jours après l’assassinat de deux surveillants et l’évasion d’un détenu.


 • Paule Gonzalès

Pas moins de trois heures et demie d’échanges à bâtons rompus, et de « dialogue intense », selon la Chancellerie, qui promet que ce dernier « ne sera plus distendu, nous allons garder le lien sans discontinuer ». « Nous sommes tous mobilisés, soit deux conseillers et tout le cabinet », témoigne cette source du ministère de la Justice, tant l’émoi est vif après l’évasion sanglante d’un détenu, Mohamed Amra, au péage d’Incarville mardi après-midi.

Sur la table de négociation, la promesse « d’un relevé de conclusions » dès jeudi, qui devrait acter un certain nombre de demandes de l’intersyndicale. Mais aussi la promesse « d’un protocole de méthode d’ici à quinze jours » et d’un « protocole d’accord d’ici à fin juin ».

Durant cet échange, Éric Dupond-Moretti aurait joué cartes sur table, donnant son feu vert aux propositions concrètes, immédiatement réalisables, concernant notamment la question des escortes pénitentiaires.

Le ministre s’est ainsi engagé à revoir à la hausse le niveau des armements utilisés par les équipes d’extraction de détenus. Il valide également le Holster de poitrine. Il s’est aussi engagé à ce que, à l’avenir, elles disposent de plus de véhicules banalisés. Par ailleurs, les équipes panachées d’agents armés et non armés seront supprimées pour n’autoriser que des équipages armés. De même, toute escorte comporterait au moins trois agents et non pas deux, même pour les extractions les plus simples.

De plus, Éric Dupond-Moretti est d’accord pour revoir les critères des escortes pénitentiaires pour les niveaux 3 et 4, en charge des détenus les plus dangereux. Il n’est cependant pas encore acté que ces deux derniers niveaux de sécurité soient fusionnés pour assurer la protection maximale des convois pénitentiaires. En revanche, le ministre de la Justice est d’accord pour ouvrir la possibilité de visioconférence pour les détenus les plus dangereux et est favorable à ce que les magistrats se déplacent à leur tour en détention pour entendre ces derniers. Car, comme le fait remarquer Dominique Gombert, secrétaire général adjoint de FO pénitentiaire, et ancien Eris (équipes régionales d’intervention et de sécurité), « il arrive que des équipes d’extraction fassent 1 400 km dans la journée pour une audience de 10 minutes, ce n’est pas sérieux ».

Toutes ces propositions concrètes prennent de vitesse la commission des lois de l’Assemblée nationale qui a annoncé mettre sur pied une mission « flash », chargée de faire des propositions d’ici à un mois sur « le transfèrement et les extractions de l’administration pénitentiaire », après l’attaque mortelle d’Incarville, a annoncé son président, Sacha Houlié.

En revanche, le garde des Sceaux, jouant la carte de la sincérité, a refusé de s’engager sur les demandes indemnitaires présentées par les syndicats. Mais il s’est engagé à livrer le combat en interministériel avec les services de Bercy. De même a-t-il refusé de s’engager sur toute régulation carcérale, une revendication au long cours du Syndicat Ufap-UNSa Justice. Le secrétaire général, Emmanuel Chambaud, juste avant la rencontre avec le ministre, rappelait que « depuis que nous avons hérité de ces fonctions d’extraction, la surpopulation carcérale n’a cessé de s’aggraver. Nous avons 17 000 détenus en trop par rapport au nombre de places de prison. Cela veut dire que nous devons aussi assurer des sorties à répétition, avec un matériel et des normes dépassés comme nos véhicules sérigraphiés. Nous sommes des cibles ambulantes ». Des sorties de plus en plus importantes qui sont aussi dues à l’augmentation des droits des détenus, dont l’accès aux services publics s’aligne de plus en plus sur le citoyen moyen.

Pour autant, le garde des Sceaux a bien conscience que le contexte politique et social s’accommoderait mal d’une sortie en masse de détenus pour enrayer la surpopulation carcérale. « Nous travaillons actuellement sur la question des étrangers en prison ainsi que sur le problème des détenus psychiatriques, mais ce n’est pas en deux jours que l’on peut régler la question », fait-on savoir au sein du gouvernement, lequel sait pertinemment ne pas détenir de majorité pour faire voter l’idée d’une quelconque régulation carcérale.

Nombre de ces propositions mises sur la table mercredi après-midi répondent donc à plusieurs attentes de l’intersyndicale qui s’est constituée mardi en fin d’après midi. Son mot d’ordre : la reconduction du mouvement pour 24 heures supplémentaires, en attendant de juger sur pièce le « relevé de conclusion » promis par la Place Vendôme.

La pénitentiaire s’est levée mercredi comme un seul homme, après l’évasion sanglante de Mohamed Amra au péage d’Incarville. Outre les deux agents morts, deux autres ont été gravement blessés. « Il y a un avant et un après 14 mai », insistait mercredi matin Emmanuel Chambaud. « Jamais un agent de la pénitentiaire n’est mort sur la voie publique. Même en 1992, la dernière victime parmi nous avait été agressée entre nos murs ». Dominique Gombert, lui, redoute que le succès de cette évasion « ne donne des idées à d’autres et que cela fasse boule de neige chez les délinquants ». Il souligne le haut professionnalisme de l’opération : le sciage des barreaux pour se retrouver à l’isolement, endroit où l’on peut communiquer en toute discrétion avec l’extérieur, s’assurant ainsi une extraction vers le tribunal judiciaire, imagine le surveillant.

Mercredi, tous les établissements de France, de Toulouse-Seysses, aux 17 établissements des Hauts-de-France, sans oublier ceux de Montpellier, Nîmes, Villeneuve-sur-Lot, Meaux, Caen, Rouen, Strasbourg, Mulhouse-Lutterbach, Dijon, Roanne, Riom ainsi que tous les établissements de région parisienne n’ont assuré que le service minimum. À Fleury-Mérogis, première prison d’Europe avec 4 000 détenus, il a fallu attendre « 15 heures pour que les équipes de nuit puissent être relevées par les équipes de jour pour un service minimum, sans parloir, sans cour de promenade, sans activité et sans extraction », souligne Didier Kandassamy, représentant de FO-pénitentiaire. « Même les conseillers d’insertion et de probation et les fonctionnaires se sont mobilisés », souligne-t-il, en évoquant la présence des Eris à l’intérieur. « Car, comme le service est très minimum, il ne faudrait pas que cela s’embrase à l’intérieur. »

«C’était aujourd’hui une journée de recueillement et de pensées aux victimes et à leur famille, un moment important pour nous tous, souligne Laurent Marino, représentant de toute la région Paca. Même les plus petits établissements de la région ont répondu » à cette journée « prison morte ». P. G.

Le Figaro le 16 mai 2024

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"Le climat est très, très tendu" : pas de parloir, pas de promenade... Situation explosive dans les prisons bloquées

A la suite de l'attaque mortelle du fourgon pénitentiaire dans l'Eure, le blocage des prisons a modifié le quotidien des détenus. Au point de soulever la question de leurs droits.


Pas de nourriture, pas de médicaments, pas de promenades… Dans les témoignages qui sont parvenus à France 3 Provence-Alpes, des détenus d'une prison de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur dénoncent des "droits bafoués" et des conditions de vie devenues "insupportables". Des conditions engendrées par le blocage massif de l'institution pénitentiaire après l'attaque du fourgon dans l'Eure qui a causé la mort de deux agents. L'intersyndicale a appelé les surveillants de prison à maintenir les blocages ce vendredi 17 mai.

"Aujourd'hui, comme depuis trois jours, pas de parloir, pas de promenades, pas de livraison de cantine, pas de livraison de médicaments. On est au courant de rien, ni nous, ni nos familles", témoigne un détenu.

En 20 ans de prison, je n'ai jamais vu ça.  Si quelqu'un ouvre sa bouche, il se fait plier par les surveillants.

Un détenu en Pacanormal

France 3 Provence-Alpes


Des témoignages comme celui-ci, l'Observatoire international des prisons (OIP) en a reçu "énormément" depuis le début des blocages. "Le climat est très, très tendu. Des détenus qui se retrouvent enfermés à trois dans une cellule de 9 m², toutes les activités suspendues, les cours, les parloirs avec les familles et les avocats. La situation est critique, notamment lorsqu'il y a un risque suicidaire notifié pour certains détenus", explique Odile Macchi, responsable du pôle enquête de l'OIP, qui souligne que le taux de suicides en prison est déjà huit fois plus élevés qu'à l'extérieur.

Des détenus privés de leurs traitements, y compris vitaux

A Nice, selon les données de l'OIP, les médecins et infirmières n'ont pas pu rentrer. Aux Baumettes, "plusieurs personnes diabétiques n'ont pu prendre leur insuline en injection", rapporte Odile Macchi. "Hier, nous avons reçu le coup de fil d'un détendu resté deux jours sans traitement pour le cœur. 'J'ai peur de mourir', nous a-t-il confié". 

"Des gens n'ont pas eu de repas", poursuit Odile Macchi. Et de lister les situations relevées dans la région : "A Luynes à Aix-en-Provence, pas de parloir, famille ou avocat, pas de personnel médical, pas de promenade, pas de greffe… Et dans beaucoup d'endroits, y compris à Luynes, les poubelles n'ont pas été ramassées dans les cellules"

La tension commence à monter. Pouvoir sortir de la cellule, c'est pourtant fondamental. 

Odile Macchi, responsable du pôle enquête de l'OIPnormal

France 3 Provence-Alpes

À Salon-de-Provence, une extraction médicale pour un examen important, un diagnostic de cancer, a été annulée. "Quand on sait les délais pour obtenir un rendez-vous à l'hôpital. Cela crée une situation qui présente des risques sanitaires importants".

Du côté des services pénitentiaires PACA Corse, la Direction interrégionale assure que "le service minimum est assuré dans l'ensemble des établissements". Ce "service minimum" comprend officiellement "les repas, la délivrance de médicaments et la cantine pour le tabac", confirme la direction à France 3 Côte d'Azur.

Vers une violation de la convention européenne des droits de l'Homme ?

"J'avais une audition la 15 mai, je n'ai pas été extrait au tribunal, j'ai n'ai pas eu de visio, peut-on lire dans le témoignage reçu à France 3 Provence-Alpes. Après, je comprends que les surveillants fassent grève, c'est normal. Mais une heure de promenade, c'est un droit."

Un droit inscrit dans le code pénitentiaire, article R-321-5, mais aussi R235-4, entrés en vigueur le 1ᵉʳ mai 2022. France 3 Provence-Alpes s'en est assuré auprès d'un avocat au barreau de Marseille, Me Cyril Ammar. L'un de ses détenus se trouve actuellement à la maison d'arrêt de Luynes, il ne peut pas le visiter. "Tous les détenus ont le droit à au moins une heure de promenade à l'air libre par jour, c'est un droit relatif à l'hygiène des détenus. Aujourd'hui, c'est un véritable préjudice". 

"Si on annule les promenades, alors qu'il existe une surpopulation carcérale, qu'on note des conditions d'hygiènes déplorables comme les conditions de détention, on va tout droit vers une violation de la convention européenne des droits de l'Homme", souligne l'avocat.

Ce mouvement est justifié dans son principe, mais il cause un préjudice immense envers tous les détenus.

Me Cyril Ammarnormal

France 3 Provence-Alpes

Cyril Ammar rappelle que la France a été condamnée, en janvier 2020, pour violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Une condamnation "en raison des traitements inhumains et dégradants imposés à trois personnes détenues", à la maison d'arrêt de Fresnes.

"On peut évidemment comprendre la mobilisation des agents pénitentiaires après ce drame, précise l'avocat marseillais. Toute la justice souffre d’un manque de moyens considérable, on le montre encore une fois".

Crainte d'un renforcement du réflexe sécuritaire

"Ce qu'il s'est passé dans l'Eure est un problème lié à un certain type de criminalité, réagit Odile Macchi de l'OIP. Je comprends le ras-le-bol du personnel, le manque de personnel. Ce qui est embêtant, c'est que ça risque de donner lieu à un renforcement du réflexe sécuritaire. Augmenter les menottes, le niveau d'escorte… Ça ne se justifie absolument pas pour l'immense majorité des détenus". 

Pour l'OIP, ce blocage va entraîner des mesures prises "dans la précipitation". Mercredi 15 mai, la députée Renaissance Caroline Abadie a en effet annoncé à l'Assemblée nationale, le lancement d’une "mission flash" relative aux transfèrements et extractions pénitentiaires. "Faire cela dans l'urgence, c'est un problème. Cela a des conséquences terribles sur des détenus", soutient Odile Macchi.

Un sentiment partagé par Me Ammar : "L'extension de la visioconférence, qui est en question, est problématique. On se retrouve avec un détenu qui ne voit pas son juge. On va peut-être réduire encore un peu plus les droits des détenus. La véritable problématique, c'est le manque de moyens".

 

Un rapport accablant sur la situation des prisons en France

Hasard du calendrier, jeudi 16 mai, a paru le rapport annuel de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot. Un rapport qu'a pu se procurer l'AFP qui dresse un tableau accablant de la situation dans les prisons en France : "Aggravation dramatique de la surpopulation carcérale", "profonde crise démographique de la psychiatrie", "carcéralisation croissante de la rétention administrative des étrangers", "atteintes aux droits persistantes en garde à vue" et "structures toujours précaires" des centres éducatifs fermés… Le rapport est sans appel.

"Avec 77 450 détenus pour 61 570 places au 1ᵉʳ avril et un taux d'occupation moyen des maisons d'arrêt à 150,4% (avec des pics à 250%), la France atteint chaque mois de nouveaux records d'incarcérations", note le rapport.

La CGLPL préconise "la mise en place, dans la loi, d'une régulation carcérale".

"Pas plus de prisonniers que de places. Est-ce anormal ? Pourquoi l'Allemagne a-t-elle réussi là où la France rate tout?", s'interroge la contrôleure.

Outre la situation pour les détenus, le rapport dépeint les conditions de travail dégradées du personnel pénitentiaire. "Dans la plupart des prisons contrôlées" par la CGLPL, "les effectifs sont en nombre cruellement insuffisant. Plusieurs établissements s'accoutument à un fonctionnement très détérioré qui finit par devenir la norme. Les professionnels sont épuisés, marqués par leur impuissance professionnelle".

"Les problèmes sont multiples, de résumer Me Ammar. La prison, c'est une cocotte-minute. Entre les conditions de détention, le manque de moyens, la vétusté… Dès qu'il y a une étincelle, tout explose. L'étincelle aujourd'hui, c'est l'attaque du fourgon. Et derrière, tout vole en éclat".  

FRANCE »REGIONS - le 17 mai 2024

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