Loin de son poste de chroniqueuse chez TPMP, la journaliste Valérie Benaïm signe une enquête surprenante et fouillée sur ces femmes éprises de tueurs. Décryptage d’un véritable phénomène.
Qui sont les femmes amoureuses de criminels ?
— framafad paca corse (@WaechterJp) April 23, 2024
La journaliste Valérie Benaïm signe une enquête surprenante et fouillée sur ces femmes éprises de tueurs. Décryptage d’un véritable phénomène. @OuestFrance pic.twitter.com/2Q3S3BXFQU
• Propos recueillis par Camille DA SILVA.
Entretien
On vous connaît comme la chroniqueuse de l’émission TPMP, animée par Cyril Hanouna. On ne vous attendait pas dans le registre de l’enquête, loin du sensationnalisme reproché à ce programme…
D’abord, je suis une journaliste. Donc tout ce que je ne comprends pas, j’ai envie de le creuser pour pouvoir le transmettre. C’est mon boulot. Dans Touche pas à mon poste, je suis une sorte d’éditorialiste, ce qui ne m’empêche pas de mettre ma subjectivité à distance, sans la nier, lorsqu’il s’agit d’enquêter.
Pourquoi ce livre, Il n’est pas celui que vous croyez ?
Tout part d’un cas concret : un après-midi, la télé est allumée en bruit de fond et j’entends qu’on évoque l’affaire de Nordahl Lelandais (un criminel condamné pour deux meurtres, dont celui de la jeune Maëlys). Ce qui attire mon attention, c’est l’irruption d’une femme en marge du dossier, qui se révélera être sa compagne, ayant fait passer de la drogue et de l’alcool en prison. Immédiatement, une série de questions m’assaille : comment peut-elle faire ça ? Qui est-elle ? Quelles sont ses raisons ? Je commence à fouiller, je me rends compte que cette amoureuse de détenu n’est pas un cas isolé, qu’il s’agit d’un phénomène.
Quels sont les exemples, les cas concrets ?
Je pense à Anders Behring Breivik, ce Norvégien qui a causé la mort de soixante-dix-sept personnes lors d’une tuerie de masse. Aujourd’hui, il reçoit quelque 800 lettres par mois. Au Canada, Luka Rocco Magnotta, le « dépeceur de Montréal », est l’objet de nombreux blogs de fans. Guy Georges, le « tueur de l’Est parisien » comme le meurtrier Patrice Alègre sont carrément destinataires de demandes en mariage. C’est extrêmement troublant. La femme que je suis, la mère que je suis, l’amoureuse que je suis, se demande forcément : pourquoi ? Avec cette idée très première, très caricaturale : ce sont des dingues. Mais ce n’est pas aussi simple.
Nordahl Lelandais développe et entretient des relations amoureuses depuis la prison. Il y est même devenu père. Comment est-ce possible ?
En France, les relations avec un détenu commencent souvent par un échange épistolaire, surveillé par l’administration pénitentiaire. On peut ensuite rencontrer le prisonnier lors de parloirs. Il existe, enfin, des UVF (Unités de vie familiale) qui permettent de passer quelques journées dans une sorte de studio surveillé. Sur le papier, les relations sexuelles sont interdites lors des parloirs. En réalité, les surveillants ne sont pas assez nombreux. Et, parfois, ils décident de fermer les yeux car c’est un moyen de réguler la tension dans la prison.
Au fil des chapitres, vous rencontrez des criminologues, des psychiatres, des surveillants, des avocats, plusieurs « amoureuses ». Et vous constatez que ce phénomène porte un nom…
L’hybristophilie, aussi appelé le syndrome Bonnie and Clyde. Il désigne une personne sexuellement et érotiquement attirée par quelqu’un ayant commis des outrages ou des crimes odieux. Et ce phénomène concerne presque uniquement les femmes : elles écrivent dix fois plus que les hommes à des criminels.
Comment peut-on aimer malgré l’horreur du crime ?
Même si ce n’est pas le moteur principal, il ne faut pas le nier, il existe en nous une fascination pour le mal. C’est d’ailleurs une idée véhiculée par la pop culture, qui joue sur le mythe du bad boy, du criminel sexy, du serial killer extrêmement intelligent… Après, il faut distinguer les femmes qui ont envie du goût du frisson, qui « s’amusent à se faire peur », de celles qui s’engagent vraiment dans une relation. Pour l’immense majorité de celles que j’ai rencontrées, elles sont d’abord animées par un sentiment d’empathie, de charité chrétienne, de rédemption. Et la plupart, au départ, ne cherchent absolument pas une relation amoureuse.
Alors pourquoi succombent-elles ?
Il y a ce que l’on appelle la combinatoire et le singulier. La combinatoire, c’est ce qui nous traverse collectivement, c’est-à-dire le syndrome de la main tendue, de l’infirmière, de l’avocate, peut-être même le goût du frisson. Il y a aussi l’influence du désir féminin. On va me reprocher d’essentialiser les femmes mais, malgré tout, les experts creusent cette piste : nous sommes toutes, à des degrés différents, animées par un désir tellement puissant que nous sommes persuadées de pouvoir transformer le plomb en or, de pouvoir changer l’autre. D’où cette phrase qui revient dans les témoignages : « Il n’est pas celui que vous croyez. » Et, après, il y a le singulier. C’est-à-dire notre histoire personnelle, notre vécu, qui conduit certains leviers à se fermer ou à s’ouvrir.
Donc on ne peut pas résumer ça à une simple pathologie ?
En fait, on ne peut pas faire de portrait type. Vous savez, je suis arrivée avec des a priori. J’imaginais des femmes avec des traumas, un accès à l’éducation compliqué, une vie personnelle chaotique. Et j’ai finalement rencontré des personnes totalement insérées, avec un cercle familial et amical, un métier, parfois des enfants. Pour certaines, c’est juste un prétexte pour tout quitter. C’est une façon de basculer dans une histoire hors-norme. Pour d’autres, c’est un moyen de reprendre le pouvoir. Et pour celles qui sont convaincues de l’innocence de leur amant, ça leur donne un but.
Dans les faits, rares sont les happy ends. La majorité de ces histoires se révèlent tragiques, compliquées…
Beaucoup de femmes ont perdu la totalité de leur noyau amical. La famille peut se diviser, vos propres enfants peuvent vous en vouloir. Et puis ça grève la vie, désormais rythmée par les parloirs, les procès… Le prix à payer est colossal, aussi bien socialement que psychologiquement. Certaines se disent, après coup, victimes de manipulation, estiment avoir agi sous emprise. Elles se sentent coupables et en gardent de lourdes séquelles.
Doit-on juger, blâmer ou soutenir ces femmes ?
Il n’est aucunement question de demander aux gens de les aimer ou de les détester. Mon métier, c’est de comprendre, d’analyser. Ces femmes nous tendent un miroir, questionnent notre rapport à l’amour, à la mort, à la violence, à la peur… Elles nous amènent à réfléchir sur la vie derrière les murs de nos prisons, sur ces « méchants » qu’on met à distance mais qui continuent d’exister. Ces amoureuses disent beaucoup de notre société.
OUEST-FRANCE - le 21 avril 2024