Des drones pour surveiller le centre de rétention

Le préfet de police des Bouches-du-Rhône a pris un arrêté le 23 octobre autorisant le survol du centre de rétention administrative dans le quartier du Canet (14e). De quoi interroger association de soutien aux réfugiés ou élus.

 • Mireille Roubaud

Durant un mois, les services de police vont pouvoir utiliser des « caméras installées sur des aéronefs » pour regarder de plus près ce qui se passe autour du centre de rétention administrative (CRA) du Canet, à Marseille (14e). Avec un périmètre qui couvre notamment l’autoroute, ils espèrent endiguer les «jets de ballotins par-dessus les murs d’enceinte » qui peuvent «contenir de la drogue» et « autres objets pouvant servir d’armes par destination », mais aussi mettre un terme « au rassemblement de personnes cherchant à entrer en relation avec les personnes retenues et le stationnement gênant des véhicules de ces derniers », sources de « troubles à l’ordre public ». Et d’ajouter que le centre de rétention a déjà « connu plusieurs évasions et tentatives (...) depuis le début de l’année ».

Contactée, la préfecture de police précise les contours juridiques de sa décision. Le délai d’autorisation demandé initialement était de 3 mois, « mais le préfet a souhaité la limiter à un », détaille-t-elle. Sur l’usage de ces appareils, « ce n’est pas la première fois que la préfecture l’autorise », rappelle-t-elle, et qu’elle est notamment justifiée en matière de « prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation ». Enfin, ce genre de dispositif « peut être mis en œuvre autant de fois que nécessaire, à chaque fois que les conditions sont réunies pour délivrer une telle autorisation », conclut-elle.

Une « dérive sécuritaire »

Reste que pour Marie Lindemann, déléguée nationale en région de la Cimade, association de soutien aux réfugiés, l’utilisation de ces engins « est par principe symptomatique d’une dérive sécuritaire. Quand en plus, on est au-dessus d’un lieu privatif de liberté qui est déjà sous surveillance policière, avec d’autres dispositifs de surveillance de sécurité, on se demande si ce n’est pas complètement disproportionné», s’interroge-t-elle. Cet arrêté s’inscrit selon elle « dans la droite ligne de ce qui s’annonce dans les derniers discours du ministre de l’Intérieur sur l’ouverture de nouvelles places en CRA ou l’augmentation encore une fois de la durée de la rétention».

Début juillet 2023, un rapport du bâtonnier avait souligné de « graves dysfonctionnements » dans le centre du Canet. Une requête de fermeture temporaire avait été lancée en référé, mais le tribunal administratif avait finalement débouté le barreau de Marseille et les avocats de 17 retenus du CRA. Neuf mois plus tard, le sénateur EELV Guy Benarroche y avait effectué une visite.

Réagissant à la publication de l’arrêté, il se dit « surpris » ne l’estimant pas « approprié ». Si autour des maisons d’arrêts, « cela peut se justifier », au CRA les « gens sont là pour une période limitée, ce n’est pas un lieu de détention », rappelle-t-il. Même si, nuance le sénateur, «des directeurs de centres m’ont confié qu’il y avait aussi des personnes sous OQTF [Obligation de quitter le territoire français, Ndlr.] au profil dangereux, mais il y a là un flou juridique».

Mireille Roubaud

Une surveillance aérienne de plus en plus large

 • Yves Souben avec M.R.

Depuis mai 2023, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône a multiplié l’usage des drones dans le cadre de ses missions. Y compris pour des manifestations.

Lorsque pour la première fois la préfecture de police des Bouches-du-Rhône déployait un drone sur une opération de lutte contre les rodéos urbains à Plan-de-Campagne, ce 12 mai 2023, le directeur de cabinet Rémi Bourdu annonçait avec clairvoyance : « C’est une modalité d’action qui a vocation à prendre de l’ampleur.» La suite lui a donné raison. Depuis la publication d’un décret, le 19 avril 2023, qui autorise leur usage par les forces de police, quelque 93 arrêtés ont été pris par la préfecture de police pour déployer ces drones, selon notre décompte. Une utilisation qui a connu des sommets en mars dernier lors des opérations « place nette XXL » contre les trafics de drogue, mais aussi à l’occasion des Jeux olympiques. Et qui vient de passer un cap, avec l’autorisation de surveiller pour un mois le centre de rétention administrative du Canet (lire par ailleurs). Ces drones, explique la préfecture de police dans une réponse écrite, doivent être utilisés « aux fins d’assurer la sécurité des personnes et des biens, de prévenir les troubles à l’ordre public dans le cadre des opérations de rétablissement de l’ordre public, de surveiller les frontières et de prévenir les mouvements transfrontaliers de marchandises prohibées».

Dans les faits, plus d’un tiers des autorisations ont été délivrées pour assister les opérations de lutte contre le narcotrafic. Mais après un premier test lors de la Coupe du monde de Rugby, un autre tiers des autorisations est accordé pour surveiller les supporters lors des rencontres de l’OM aux abords du stade Vélodrome. Au-delà des visites présidentielles ou papale, le recours s’est aussi multiplié pour faire face aux émeutes du début de l’été, mais aussi pour surveiller une manifestation, le 3 mars, contre le RN, ainsi que pour prévenir des intrusions de militants écologistes lors des portes ouvertes en septembre de la base aérienne d’Istres.

Yves Souben avec M.R.

LA MARSEILLAISE (Bouches du Rhône) - le 25 octobre 2024

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