Alors que le premier ministre rendait hommage ce mercredi aux deux agents tués dans l’attaque du fourgon, les enquêteurs avancent lentement sur le profil des tueurs.
Pénitentiaire : Gabriel Attal se pose en défenseur de la profession
— framafad paca corse (@WaechterJp) May 24, 2024
Alors que le premier ministre rendait hommage ce mercredi aux deux agents tués dans l’attaque du fourgon, les enquêteurs avancent lentement sur le profil des tueurs. @Le_Figaro pic.twitter.com/uRXIqi4wgD
• Paule Gonzalès
Sur la pelouse synthétique de la cour de promenade de l’ancienne maison d’arrêt de Caen, aux murs lépreux et aux volets bleus désarticulés, l’émoi de la République tout entière - ou presque - a accueilli les dépouilles d’Arnaud Garcia et Fabrice Moello, morts au péage d’Incarville sous les balles de « malfrats », comme l’a souligné le premier ministre lors de son hommage aux deux agents, mercredi. De la modestie des lieux, de la retenue de la cérémonie, des visages dignes et tristes s’est dégagée une gravité sincère que Gabriel Attal - en lieu et place du président de la République parti pour Nouméa - a su accompagner, consolant un peu le dépit des professionnels de la pénitentiaire d’avoir été une fois de plus sacrifiés à une actualité plus pressante. Car l’absence du chef de l’État à l’hommage est « un nouveau coup de massue pour les personnels pénitentiaires » et « une cruelle désillusion », réagissait l’intersyndicale des surveillants pénitentiaires dans un communiqué, avant la cérémonie.
Emmanuel Macron s’est contenté d’un post sur X quelques minutes avant que ne commence l’hommage : « Partout sur notre territoire, des femmes et des hommes s’engagent pour nous protéger. Le surveillant brigadier Arnaud Garcia renouvelait ce choix chaque jour depuis 15 ans. Le capitaine pénitentiaire Fabrice Moello depuis 29 ans. »
Mercredi, Gabriel Attal a martelé que les deux agents « partageaient la conviction que la fermeté et l’autorité sont la garantie de la sécurité. Ils avaient accepté d’incarner l’autorité de la nation. (…) Il n’y a pas de justice si l’autorité n’est pas respectée, pas de justice si les peines ne sont pas appliquées. Alors, la justice, c’est Fabrice Moello et Arnaud Garcia ».
Retraçant, depuis l’aube, la journée fatale dont « chaque heure qui passait les rapprochait du drame et de la mort », le premier ministre a insisté : « Trois minutes, c’est le temps qu’aura duré cette attaque. Trois minutes et pourtant une éternité, Nicolas est le premier à se relever, à héler les secours. »« Pour Damien et Arnaud, la vie ne tient qu’à un fil, plus durement touchés par la mitraille. (…) Nous ne les oublierons pas, ne les abandonnerons pas. » Et de poursuivre : « Le 14 mai, l’effroi a touché la France. Le cœur de chaque Français s’est serré. (…) Je veux redire ma solidarité, mon soutien à la communauté pénitentiaire et judiciaire (…). Leur mort ne restera pas impunie, l’enquête avance, et elle se poursuivra autant qu’il le faudra et aboutira. »
Enfin, a-t-il promis face aux deux cercueils : « Aux criminels lâches, odieux, qui ont accompli ce crime barbare je veux le dire à nouveau, ne dormez pas tranquilles, nous vous traquerons, nous vous trouverons et nous vous punirons, le glaive de la justice ne tremblera pas. Nous vous le devons. »
Il faudra être patient. Rien ne fuite, ou si peu, de l’enquête en cours. Laure Beccuau, procureur de la République pour la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) a affirmé, mardi, sur les chaînes d’info en continu, « disposer de pistes sérieuses ». « Rien n’est exclu, tout est observé, tout est examiné », a-t-elle ajouté. Les huit magistrats de la section criminalité organisée classique de la Junalco sont à temps plein sur l’affaire, mobilisables 24 heures sur 24.
« Les moins puissants sont souvent les plus violents »
Les juridictions de Marseille et de Rouen passent au crible deux autres procédures criminelles pour enlèvement et séquestration auxquelles aurait participé Mohamed Amra et qui lui ont valu deux mises en examen. « Le but est de mettre au service de l’enquête la connaissance fine que ces magistrats ont des organisations criminelles locales », souligne un proche de l’enquête. L’Office central de lutte contre le crime organisé pilote cette dernière.
La famille, le voisinage et l’entourage connu de Mohamed Amra ont déjà été auditionnés. D’emblée, la thèse de son avocat selon laquelle son client aurait pu être enlevé par une bande rivale n’est pas privilégiée par les enquêteurs. « Cela relève du roman », souligne-t-on au sein du parquet de Paris. Au contraire, on estime a priori que « risquer une peine de perpétuité pour libérer le voyou milite pour une opération menée pour et par des hommes qui se connaissent bien. Après tout, Mohamed Amra n’était-il pas lui-même en train de se forger une spécialité en matière d’enlèvement et séquestration ? », souligne-t-on.
En revanche, les magistrats prennent avec des pincettes l’idée du petit voyou devenu grand caïd et bénéficiant d’une équipe de grands professionnels : « Les moins puissants sont souvent les plus violents. Ceux qui s’autorisent une évasion aussi mortelle ne sont pas forcément le haut du panier du grand banditisme. D’une certaine manière, il faut presque être plus fort pour ne pas tirer et maîtriser une situation au point d’exfiltrer quelqu’un sans faire de victimes », analyse cette source judiciaire.
À ce stade de l’enquête, les enquêteurs doutent que Mohamed Amra et ses complices soient passés à l’étranger : « Ce n’est pas la piste privilégiée. » Même si, pour parer à cette éventualité, une notice rouge d’Interpol a été diffusée dès le lendemain de l’attaque. « L’issue de cette enquête, ce dont je ne doute pas un instant, sera l’interpellation des auteurs et l’ouverture d’une information afin qu’ils répondent de leurs actes devant la cour d’assises », a conclu Laure Beccuau sur les ondes.
Pour l’équipée mortelle, le temps devient le pire ennemi. Chaque jour qui passe rend les complicités plus rares, et la logistique plus compliquée. « Il faut beaucoup d’argent pour être en cavale car tout devient beaucoup plus cher très vite », rappelle-t-on parmi les équipes pénitentiaires qui avaient eu à traiter l’affaire Rédoine Faïd resté, lui, 93 jours en cavale. P. G.
Le Figaro - le 23 mai 2024