Paris, nuisances à la prison de la Santé

Le calvaire sécuritaire des voisins

Les riverains de la prison dénoncent un environnement anxiogène et se sentent abandonnés à leur sort.

ABANDON Depuis la réouverture de la prison, les rondes humaines ont été remplacées par des caméras.


« C'est une zone de non-droit en plein cœur de Paris», regrette Daniel*, qui habite juste en face de la prison de la Santé. Dans son atelier, entre toiles et sculptures, l’artiste se confie : « Quand j'ai emménagé en 2013, je savais qu’il y avait la prison, mais je me disais : on est en France, ça va aller. »


Depuis, le voilà condamné à accueillir dans son jardin, au seuil de sa porte, de jeunes dealers. « Depuis août, c'est tous les soirs, sans exception, qu'ils font leur trafic », renchérit sa voisine Régine. Relativement

calme en journée, la rue Jean-Dolent se transforme complètement la nuit. Des sacs sont lancés depuis l'extérieur de la prison, dans le but d'être réceptionnés par les détenus, sous les yeux médusés des riverains. Et les sacs vides se retrouvent dans les jardins de Régine et Daniel... Ils sont censés servir à envoyer des biscuits, de la viande, du parfum mais aussi et surtout de la drogue. « Quand on entend “ce soir, il y a de la bonne qui rentre” on se doute qu’il ne s'agit pas de petites friandises », ironise Philippe*, cinquantenaire lui aussi riverain de la prison.


L'inventivité des délinquants n’a pas de limites. Depuis quelques mois, ils ont trouvé un moyen encore plus efficace de lancer leurs paquets, Ils ne le font plus uniquement depuis le trottoir mais carrément depuis les toits ! Avec cette hauteur, l'arrivée du colis à son destinataire est quasiment garantie. « Ils escaladent les barrières pour atteindre le petit jardin des ateliers, raconte Daniel. Là, certains peuvent s'arrêter un temps pour fumer où discuter en squattant, puis ils accèdent au petit escalier en   de la cour de récréation. Par là, ils montent directement sur le toit. » Cour de récréation ? Au 1, rue Jean-Dolent, on trouve en effet une petite école primaire dont la cour est elle aussi occupée le soir. Régine*, voisine directe de l'école, s'alarme : « C'est ce qui est le plus inquiétant, parfois on retrouve leurs sacs de la veille dans la cour de récré. Vous imaginez le jour où ils   des stupéfiants dedans ?»


Face à cette situation, les demandes de l’association Riverains de la Santé sont claires : « Il faut des mesures concrètes pour stopper ce trafic dans les rues et faire régner l'ordre. » Depuis la réouverture de la prison en 2019, les rondes humaines qui étaient assurées 24 heures sur 24 ont été remplacées par des caméras de vidéosurveillance. Mais quand le chat n’est pas vraiment là, les souris dansent. « Il faut être honnête, depuis les différentes plaintes au ministère de l'Intérieur, les policiers passent plus. Deux fois par semaine à peu près. Mais jamais au bon moment... regrette Régine. Ils peuvent passer 10 minutes, ce qui nous assure 10 minutes de tranquillité. Mais aussitôt repartis, les jeunes reviennent. »


Les riverains dénoncent un «scandale d’État »


En cette nouvelle année 2024, la préfecture nous communique quelques chiffres : 141 interpellations depuis le1er janvier 2023. Encore trop peu, regrette l'association dont les membres se sentent abandonnés des forces de l’ordre. « Avant, nous avions le numéro du commissariat du XIVe arrondissement, ce qui permettait à la police d'arriver rapidement sur place quand nous l’appelions. Ils exigent désormais que nous passions par le 17... Avec le temps que ça prend, ils n'arrivent jamais à temps », rapporte Philippe*.


Au-delà des nuisances quotidiennes et inquiétantes, les riverains évoquent aussi la conséquence logique de ces trafics: une perte de valeur de l'immobilier. Propriétaire depuis 2013, le président de l'association, Ugo*, souhaite vendre et s'installer dans un environnement plus sain, pour y élever ses enfants :« J'ai perdu plus de 25 % de la valeur de mon bien, il n’y a plus d’acheteur, on est bloqués. » Jean-Pierre, un autre riverain, avocat de profession, s’insurge à son tour : « C’est la triple peine pour nous. La rue est devenue invivable, on n'est pas soutenu par la police et on ne peut pas partir.» Les nombreuses réunions qui se tiennent tous les six mois entre l'association, la prison, la préfecture et laville de Paris déçoivent les riverains.


« C’est un ping-pong de responsabilités, jamais aucune mesure concrète n’est prise », s'agace le président qui ne cesse de se demander pourquoi tout le monde laisse faire, avant d'esquisser une réponse: «Ils achètent la paix sociale sur notre dos.»


Car ces voisins savent aussi que la résolution de leurs problèmes en provoquerait de nouveaux, au sein de la prison cette fois-ci. Le syndicat Force ouvrière dénonce en effet un sous-effectif de gardiens sur son site officiel, mais n’a pas souhaité répondre à nos questions.


Grâce à la présence de représentants de la prison lors des réunions, l’association sait pourtant esquisser le problème : «La nuit, ils ne sont qu’une quinzaine pour1200 détenus ! » Comment intervenir dans de telles conditions ? « Pour avoir la paix à l’intérieur, nous subissons à l'extérieur. »


Voilà de quoi attiser la colère des riverains qui dénoncent un « scandale d’État », et attaquent en justice le garde des Sceaux, le préfet de Police et la maire de Paris. Mais tous savent qu’une course contre la montre est enclenchée, et Daniel* la résume :« Les décisions mettent un temps infini à être prises quand le trafic est d'une souplesse ahurissante. Pendant que les autorités réfléchissent, les délinquants s’installent. Et bientôt, il sera trop tard. » 


PHILIPPINE FARGES

  • Les prénoms ont été changés.

le JDD - le 7 janvier 2024

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