Il y a de l’honnêteté en enfer. » C’est le cas chez l’immense majorité des personnels de la Pénitentiaire. Mais progressivement, un tabou se lève ; celui de la corruption dans ce huis clos des détentions.
Entre appât du gain, chantage et amourettes, le grand fléau de la corruption en prison
— framafad paca corse (@WaechterJp) May 31, 2024
Il y a de l’honnêteté en enfer, chez le personnel de la Pénitentiaire. Mais progressivement, un tabou se lève ; celui de la corruption dans ce huis clos des détentions. @Le_Figaro pic.twitter.com/SmK8bZ7tKl
• Paule Gonzalès
Ici se côtoient, durant des années, détenus, surveillants et intervenants pénitentiaires. Ils viennent souvent des mêmes milieux sociaux, des mêmes banlieues et des mêmes barres d’immeubles, et nouent parfois des liens. Certes, ils sont séparés par leur rapport à la loi. Mais parfois, l’appât du gain peut les réunir, surtout dans un milieu professionnel où les salaires restent aussi bas. « Pour un provincial de la Pénitentiaire qui vient en région parisienne, le ticket d’entrée est très élevé, voire impossible », rappelle Philippe Lamotte, secrétaire général adjoint FO-direction pénitentiaire et directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge.
C’est ainsi que s’est défendu l’un des six prévenus interpellés, le 12 mars dernier, après dix mois d’enquête à la prison de Réau. Une information judiciaire avait été ouverte pour association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants - du cannabis -, remise illicite d’objets en détention, blanchiment et corruption. En perquisition, des milliers d’euros ont été retrouvés au domicile de certains. « Nous sommes sous-payés », avait à l’époque réagi, en marge de cette affaire, un responsable syndical de l’Ufap-Unsa, avant de rappeler que les gardiens tombaient parfois « dans un engrenage ».
« Tout le monde se connaît »
« Beaucoup de monde entre quotidiennement dans une prison. Ce ne sont pas seulement les surveillants, ce sont aussi des infirmiers, des travailleurs sociaux en charge des activités, et des prestataires privés », rappelle un directeur d’établissement, qui reconnaît que les trafics sont nombreux. « Il nous est arrivé de saisir des consoles de jeux dans des aspirateurs. Mais, nous retrouvons aussi des téléphones, des chargeurs, bien sûr des stupéfiants, de l’alcool ou de la viande. Pour autant, il est extrêmement difficile de trouver les coupables. Au mieux, j’ai une affaire par an qui sera judiciarisée, pour combien de faits indétectables ou improuvables ? »
« Nous constatons parfois que des détenus en quartier d’isolement, qui n’ont pas de visites ni de contacts avec le reste de la détention, ont quatre ou cinq téléphones dans leur cellule. Nous savons bien que cela vient du personnel, mais nous n’avons rien pour le prouver », souligne un juge d’instruction lillois.
« Le renseignement pénitentiaire opère très peu sur ces dossiers. Dans une prison, tout le monde se connaît, donc ces référents sont tous identifiés », soupire l’un de ses collègues du nord de la Loire. Ce dernier avoue avoir des soupçons sur « trois de ses agents ». « Mais nous avons toujours un problème de preuve : on surveille, ils ralentissent. Un ancien détenu m’a avoué que, pendant sa détention, il avait acheté pour 7 000 euros d’iPhone. À chaque fois qu’un téléphone était saisi, il s’en procurait un nouveau à 2 000 euros. Forcément, il bénéficiait de complicité. » On peut imaginer ce que Mohamed Amra, évadé du péage d’Incarville, a dépensé pour détenir jusqu’à 9 téléphones dans sa cellule.
Au passage, on comprend que l’argent n’est plus un problème en détention. « Quand nous fouillons une cellule, nous retrouvons plein de petits papiers avec des numéros inscrits de cartes de paiement prépayées et rechargeables qui permettent à leurs collègues de l’extérieur d’effectuer les paiements pour le compte des détenus. Même à la cabine téléphonique, nous avons des écoutes qui disent négligemment : “Tiens je te donne le code”. Mais nous ne pouvons rien faire, car cela ne veut rien dire. » Ce sont souvent ces sommes qui vont pourtant mettre la puce à l’oreille des enquêteurs « car il y a un changement de train de vie, de vêtements, de voiture sur le parking ».
« Pas de statistiques »
Les motivations financières ne sont pas les seules à l’origine de la corruption des personnels de la Pénitentiaire. Il y a un an, une jeune surveillante passait devant le tribunal pour avoir fait passer des colis dans la prison de Meaux. La mise en cause, qui a eu une relation intime avec un prisonnier, a fait valoir sa grande solitude au moment des faits. « Parfois, l’amour fait irruption. J’ai eu le cas avec une jeune femme de l’unité sanitaire, lors d’un de mes précédents postes à Lorient », se souvient Gaëlle Verschaeve, secrétaire générale adjointe pour FO-direction. Un autre chef d’établissement déplore, lui, la diffusion sur les réseaux sociaux de la photo d’une surveillante dans une position de soumission devant un détenu, dans un établissement de Loire-Atlantique.
Faire entrer des produits et substances illicites en détention n’est pas la seule forme de corruption. « Certains surveillants vont par exemple prévenir les détenus de la sonorisation de leur cellule. Nous le savons car, soudain, les écoutes ne donnent plus rien. Il faut alors explorer les plannings pour pouvoir compter sur la probité d’autres éléments de l’équipe », soulignent tout à la fois des juges d’instruction à Lille et en région parisienne. À Meaux, il y a deux ans, ce sont deux greffières pénitentiaires qui se sont rendues complices de falsification de fiches pénales et de mauvais adressage des demandes de mise en liberté pour favoriser les libérations intempestives de trois gros profils du trafic de stupéfiants.
Longtemps, la corruption n’a officiellement pas existé dans les prisons françaises. « Car on ne peut pas la quantifier, puisqu’il n’y a pas de statistiques », résume benoîtement un expert de la statistique judiciaire. Mais, en 2019, la saisie de 1 kg de cocaïne en pain compact à la maison d’arrêt de Fresnes a changé la donne, révélant l’ampleur du trafic en détention, de la corruption et des enjeux de sécurité qu’ils induisent. « Ce tabou est une gangrène qui nous met tous en danger, qu’il s’agisse des établissements comme des personnels. Les collusions sont marginales, mais elles sont en hausse, on ne peut pas le nier », affirme Gaëlle Verschaeve.
« Menaces physiques et psychologiques »
Car dès le premier acte, les personnels corrompus deviennent objets de chantage. « Les délinquants connaissent leur plaque d’immatriculation, l’adresse de leur domicile, l’école des enfants », rappelle-t-on au sein de la Pénitentiaire. « À ces menaces physiques, s’ajoutent celles psychologiques, notamment la délation. C’est souvent par les détenus que nous apprenons les faits dans le détail, soit par des repentis, soit pour se dédouaner et obtenir l’aménité des juges. Nous avons aussi nos indics. En échange de renseignement, nous favoriserons les changements d’établissement, nous permettons des avantages et un assouplissement de la détention », affirme-t-on dans l’encadrement pénitentiaire. « Nous sommes certains que le plus efficace serait l’infiltration », conclut-on au sein de l’instruction lilloise. P. G.
Le Figaro - le 29 mai 2024