Avec les forces d'élite des prisons

Des équipes régionales d'intervention et de sécurité ont été créées en France en 2003 pour enrayer les mutineries dans les établissements pénitentiaires ou superviser les transferts de détenus particulièrement dangereux. Dans le Grand Est, nous avons pu suivre en pleine action ces surveillants ultra-entraînés.


Les trois agents débloquent sans prévenir la porte, l'ouvrent en grand. Entièrement vêtus de noir, ils portent gilets pare-balles et casques avec visière, le visage dissimulé par une cagoule. L'un d'eux brandit un large bouclier anti-émeute. « Lève-toi et avance-toi doucement », lance un fonctionnaire au jeune qui se trouve à l’intérieur de la cellule. En jogging et claquettes, les yeux fatigués par le cannabis - l'odeur flotte dans l'air -, il regardait la télévision. Il se retrouve menotté, palpé rapidement, avant d'être conduit à l'écart, dans un réduit. Il patientera là pendant qu'on inspecte la pièce. En cette soirée de mars, la douzaine d'hommes de l'Eris de Strasbourg - « Eris », pour « équipe régionale d'intervention et de sécurité » - va ainsi vider douze cellules de leurs occupants au centre de détention de Saint-Mihiel, dans la Meuse, permettant à leurs collègues de l'établissement de tout passer au peigne fin, aidés par un chien renifleur de stupéfiants. « On visite régulièrement les cellules. Mais, là, on vise les caïds potentiels et ceux qui pourraient trafiquer, résume Kamel Hamadache, le directeur du lieu. Le renfort des Eris nous donne le temps de fouiller dans les règles de l'art. Comme les détenus sont isolés, ils ne savent pas quel agent a trouvé quoi. Cela évite les représailles. »


Éviter «tout mouvement de violence »


Ce jour-là, un pochon d'herbe est saisi, caché dans un pack de bouteilles d'eau, ainsi qu'un téléphone dans une brique de jus de pomme, et deux autres glissés dans la porte d'un frigo, vidée de son isolant. Au total, les fonctionnaires mettent la main sur six smartphones et 500 grammes de cannabis, probablement livrés directement à la fenêtre des détenus grâce à des drones pénétrant de nuit dans l'enceinte de la prison. Les Eris raccompagnent chaque homme dans ses pénates. Aucun ne bronche quand on lui annonce ce qui y a été découvert. « Notre présence dissuade tout mouvement de violence », constate le « capitaine Adrien », 33 ans, à la tête de l'unité qui intervient ce soir-là. Pour préserver leur anonymat, les agents ne donnent que leur prénom. Pendant longtemps, les policiers du Raid et les gendarmes du GIGN étaient appelés lors des opérations de grande ampleur derrière des barreaux. Mais, en 2003, une série de mutineries à Moulins (Allier) et à Clairvaux (Aube) pousse l'administration pénitentiaire à se doter de son propre corps d'intervention. Elle décide de former des surveillants au maintien de l'ordre dans les lieux fermés. Depuis, neuf équipes ont été constituées en France. Si elles ne se cachent pas - celle de Strasbourg a même un compte Instagram, @eris.grandest -, ces unités d'élite restent peu connues du grand public, et ont rarement la faveur des médias ou de la télévision. Une exception récente, toutefois. La scène d'ouverture de la série française Pax Massilia, sur Netflix depuis décembre dernier, montre des Eris escortant un condamné à des funérailles. Des inconnus armés surgissent pour le libérer. « On est représenté accompagné d'un policier, ce qui n'est pas le cas, normalement, et ils n'interviennent pas avec le bon armement. En plus, dans l'épisode, tous les Eris se font tuer ! tempête le commandant Sylvain Kergal, 51 ans. Mais c'est déjà bien. Oui, cette séquence ressemble à nos missions. » Barbe, lunettes et stature impressionnante - il pèse 102 kilos pour 1,87 mètre -, ce personnage haut en couleur, fan de jiu-jitsu brésilien et de bande dessinée, a longtemps officié à l'Eris de Lyon. Depuis 2021, il dirige celle de Strasbourg. Son territoire? La vingtaine d'établissements du nord-est de l'Hexagone, une large englobant la capitale alsacienne jusqu'à Villenauxe-la-Grande, dans l'Aube, à 400 kilomètres de là. L'Eris de Strasbourg compte 35 personnes postées dans des logements de fonction reconvertis tant bien que mal en base. À l'étage, les bureaux. Celui de Sylvain Kergal est décoré de 650 écussons. En bonne place, ceux de l'Eris de Strasbourg, qui s'est choisi une panthère pour emblème. Polices nationale et municipales, gendarmerie, unités étrangères, armée et toutes les composantes de l'administration pénitentiaire sont également représentées sur ces blasons ronds alignés sur les murs. Au rez-de-chaussée, la salle commune sert pour les réunions. Les vestiaires sont installés dans un préfabriqué monté dans la petite cour, tout comme l'armurerie. À l'intérieur de celle-ci, mis sous clé, des pistolets Glock 17, des fusils à pompe, des armes d'assaut à canon court HK G36, des Tasers... D'ici à la fin de l'année, l'Eris devrait intégrer de nouveaux locaux, en cours de construction, et passer à 45 agents.

Police d’élite


Un commandant a vécu sept mutineries


L'équipe est prête à partir en intervention 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. « Quand les surveillants ouvrent une porte et qu'un détenu leur saute dessus, ils ne vont pas attendre les Eris: 99 % des incidents sont réglés en interne, reprend le commandant Sylvain. Mais, en cas de besoin, j'ai des gars disponibles immédiatement. » Leur première mission: intervenir en cas d'urgence. En seize ans d'Eris, le commandant Sylvain a ainsi vécu sept mutineries. Comme celles de 2016, à Valence (Drôme). Alors ouvert depuis un an, l'établissement était propre et moderne, mais rien n'était prévu pour occuper ses pensionnaires, qui tournaient en rond comme des fauves en cage. Deux émeutes éclatent à deux mois d'intervalle. « Nous utilisons des techniques adaptées de celles de la gendarmerie. Nous coinçons les prisonniers dans un coin, pour ensuite les sortir un par un. »

Depuis 2015, les Eris sont aussi formées à la négociation en cas de prise d'otages. « À Roanne, en juillet 2020, un détenu s'est saisi de sa compagne au parloir, se souvient encore le commandant Sylvain. Au bout d'une heure, l'Eris était sur place et, au bout de deux, l'individu avait libéré sa femme et s'était rendu. Il voulait juste un transfert. » Ces forces d'élite savent aussi aller chercher un récalcitrant manu militari. D'abord, elles lui coupent l'eau et l'électricité pour éviter d'être accueillies avec de l'eau bouillante. Avant l'assaut, elles peuvent aussi envoyer un drone ou un robot au sol équipé de caméras pour analyser au mieux la situation. Un agent se souvient d'un prisonnier qui avait démonté son lavabo et l'avait jeté sur l'équipe, alors que celle-ci débarquait dans sa cellule : « Heureusement qu'on avait des casques. » « Certains détenus s'huilent le corps, pour qu'on ait du mal à les saisir », explique Jérémy, 34 ans. Lors d'un exercice, celui-ci se saisit d'un balai et le casse d'un coup de pied, obtenant ainsi deux morceaux bien pointus. La preuve que tout, dans une prison, peut se transformer en arme. « Nous intervenons face à des personnes déterminées, mais nous sommes préparés et équipés, poursuit Jérémy. Le plus dur est pour les collègues, le personnel local, qui devra gérer après. »


Seuls les surveillants pénitentiaires peuvent entrer dans ce corps d’élite


Les Eris sont aussi habilitées à aller chercher un détenu qui aurait atteint un toit. Tous savent utiliser des cordes. Et ils s'y préparent régulièrement comme, ce matin-là, dans l'ex-maison d'arrêt du centre de Mulhouse (Haut- Rhin). L'humidité et le froid ont envahi ces hauts bâtiments du XIXe siècle depuis le transfert des détenus dans un nouvel établissement, en 2021. Cette ancienne prison est bâtie en nef : depuis le rez-de-chaussée, on a une vue sur les coursives desservant, sur 20 mètres de haut, les quatre étages. Une corde pend du dernier. Un par un, les hommes en noir descendent en rappel. En attendant qu'il soit réhabilité, l'endroit est devenu leur terrain de jeu. Après cet exercice, place au tir. Un fonctionnaire parcourt les couloirs en visant des cibles en papier. Coincé dans une cellule minuscule, un autre doit repousser de son bouclier les assauts d'un forcené - en réalité, un collègue armé d'un bâton. Boum. Boum. Les coups pleuvent et résonnent dans l'espace clos. L'entraînement, stressant et épuisant, fait écho à ceux qui sont pratiqués lors de la formation des futures Eris.

Seuls les surveillants pénitentiaires peuvent entrer dans ce corps d'élite, sans distinction de sexe, même si, aujourd'hui, il n'y a pas de femmes dans les équipes. Pour être intégrés, les candidats doivent réussir un concours, puis passer une session de trois mois de sélection réputés difficiles. Elle démarre, dès le premier jour, par l'épreuve redoutée de la piscine : les postulants sont jetés à l'eau, yeux bandés, pieds et poings liés. À eux de sortir seuls du bassin. Ils s'exercent aussi au maniement du tonfa (une matraque dotée d’une poignée) et du bâton télescopique, se testent sur des parcours du combattant, expérimentent le manque de sommeil... Tenir le choc demande à être solide physiquement, et mentalement. « On nous met en difficulté, mais jamais en échec », tempère un agent.


«NOUS INTERVENONS FACE À DES PERSONNES DÉTERMINÉES, MAIS NOUS SOMMES PRÉPARÉS

ET ÉQUIPÉS »

Jérémy, 34 ans


Une escorte réservée aux personnes dangereuses, comme les terroristes


Pourtant, nombre de stagiaires abandonnent. Les autres découvrent une nouvelle famille, où l'on se serre les coudes. « On est plus souvent avec les collègues qu'à la maison, l'esprit de groupe est très fort », décrit Jérémy. « C'est l'action, mais aussi l'esprit de cohésion qui m'a attiré », estime de son côté Pitou, 33 ans, ancien marin-pompier de Marseille. Lui est un petit gabarit (1,70 mètre pour 73 kilos), preuve qu'il n'y a pas que des colosses dans les rangs. « Je suis un chat maigre, dit-il en souriant, avec un bon rapport poids-puissance. » Pas de prime de risque, les membres des Eris sont payés comme les autres surveillants, mais les heures supplémentaires et les astreintes, nombreuses, arrondissent les fins de mois - ils touchent entre 2 600 et 3 000 euros net mensuels en milieu de carrière.


Les fonctionnaires sont maintenant regroupés dans la cour de l’ancienne maison d’arrêt pour un exercice avec des voitures. Une poignée d’opérateurs jouent les agresseurs. Ils surgissent de derrière un mur, et tirent avec des munitions d'entraînement, semblables à des billes de peinture. « Ça pique sévère quand ça touche », assure un officier. Attaqué, l'autre groupe doit extirper d'un véhicule le faux détenu qu'il protégeait, et le conduire à l'abri d'un bâtiment. C'est là une autre de leurs missions : les Eris assurent régulièrement le transport de prisonniers. La raison peut être médicale - quand il faut amener un détenu à l'hôpital pour une chirurgie - ou judiciaire, dans le cadre d'un procès, d'une reconstitution ou d'une convocation par un juge d'instruction. À moins qu'il s'agisse d'un transfert d'un établissement à un autre. Cette escorte spéciale est réservée aux personnes réputées dangereuses, comme les terroristes radicalisés, ou aux membres du crime organisé qui pourraient tenter une évasion grâce à des soutiens extérieurs. Ils voyagent entravés, encadrés par deux costauds sur la banquette arrière d'une berline banalisée. « Certains restent muets, d'autres discutent facilement, assure Pitou. Ils racontent tout : comment marche leur trafic, comment leurs équipes travaillent... mais sans jamais lâcher de nom. » Une fois le trajet terminé, les fonctionnaires restent à leurs côtés, allant parfois avec eux jusqu'au bloc opératoire - « On n'est jamais certains qu'ils sont bien anesthésiés », remarque le capitaine Adrien -, ou dans le bureau du juge. « On assiste aux interrogatoires. On voit tout : photos, vidéos... », commente l'un de ses collègues.


«CERTAINS NOUS RACONTENT COMMENT MARCHE LEUR TRAFIC, MAIS SANS JAMAIS LÂCHER DE NOM »


Pitou, agent au sein de l'Erie Grand Est


Autre cas, les criminels célèbres qui attirent les journalistes et, surtout, la vindicte populaire. Les Eris les prennent en charge pour prévenir toute tentative de vengeance. En novembre, des agents en poste à Strasbourg ont ainsi conduit Nordahl Lelandais de sa cellule d'Ensisheim (Haut-Rhin), jusqu'au tribunal correctionnel de Charleville-Mézières, dans les Ardennes, à cinq heures de route. Déjà condamné pour les meurtres du caporal Arthur Noyer et de la petite Maëlys, l'ex- maître-chien comparaissait pour l'agression sexuelle d'une petite-cousine. Cagoulés, les hommes sont restés durant toute l'audience, encadrant le prévenu dans le box. Là ne s'arrêtent pas leurs missions. Ils interviennent aussi dans des prisons nouvellement construites comme, dernièrement, celles de Mulhouse-Lutterbach et de Troyes-Lavau. Ils tentent de briser les portes, les barreaux ou les meubles des cellules pour tester leur degré de résistance, et faire des recommandations. Ils forment aussi les surveillants, et ce jusqu'en outre-mer. L'équipe peut aussi renforcer la sécurité d'un établissement qui connaît des tensions ou se retrouve, à un moment donné, plus vulnérable, quand il faut retirer, par exemple, les filins anti-hélicoptère pour les renouveler. Sans oublier les opérations comme à Saint-Mihiel, quand les Eris, à la demande du directeur, facilitent des fouilles.


Des affaires sont passées aux rayons X


Plus rarement, elles peuvent aussi organiser un déménagement. Ainsi, dans la nuit du 12 au 13 décembre dernier, à Troyes (Aube), les 59 derniers pensionnaires de la vieille maison d'arrêt, en centre-ville, devaient être déplacés jusqu'à une nouvelle prison, érigée à la sortie de la cité champenoise. Une opération préparée depuis des mois par l'équipe strasbourgeoise, qui a été aidée, une fois sur place, par le personnel local, mais aussi par les Eris de Dijon, Paris et Lyon, arrivées en renfort. Des dizaines de gendarmes et de policiers ont également été mobilisés. Ce jour-là, les prisonniers sont invités à abandonner leur cellule dans le calme. Leurs affaires, réunies dans de grands sacs en plastique, sont passées aux rayons X avant d'être embarquées. Après quelques formalités administratives, les hommes traversent la cour d'honneur sous bonne garde pour monter, par groupes, dans des bus équipés de cellules. Ces derniers empruntent d'abord une rue à contresens, interdite pour l'occasion à la circulation. Puis filent à travers l'agglomération pour rejoindre, 5 kilomètres plus loin, le centre pénitentiaire de Troyes-Lavau.


Là, des fonctionnaires revérifient les identités dans de grandes pièces aveugles, fermées par des grillages. C'est la dernière étape avant que les détenus rejoignent leurs cellules individuelles, qui sentent encore la peinture fraîche. Mais, soudain, l'électricité saute. Les éclairages s'éteignent, plongeant, par surprise, prisonniers et sur- veillants dans la même obscurité. « On fige ! » réagit le capitaine Adrien. Les Eris allument leurs lampes torches. L'ambiance est étrange. Aucun bruit. « On peut reprendre la procédure, mais on ralentit les mouvements. On prend le temps. On a le temps », ordonne Adrien, serein. Il ajoute, à part : « Ce sont les aléas d'une telle opération. » La lumière revient quelques instants plus tard. Aucun autre incident ne viendra perturber la nuit. Mission accomplie.

Le Parisien - le 20 avril 2024

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