Pourquoi cet attrait pour les criminels ?

Nordahl Lelandais vient d’avoir un enfant avec une femme rencontrée en prison. Retour sur un exemple d’hybristophilie, ce désir ressenti pour des tueurs ou violeurs.


Lucile Descamps

Leur passé criminel ne les rebute pas. Au contraire, il les attire. Au point de multiplier les lettres enflammées, les visites en prison, d’aller parfois jusqu’au mariage et à la vie de famille. C’est ce que l’on appelle l’hybristophilie. Derrière ce mot, dont seuls les hellénistes confirmés devinent la signification, se cache l’attirance pour une personne ayant commis un crime, qu’il soit de nature sexuelle ou non.

Ce syndrome de Bonnie et Clyde revient régulièrement dans l’actualité. Vendredi, « le Parisien » - « Aujourd’hui en France » révélait que Nordahl Lelandais — condamné pour les meurtres de la petite Maëlys et du caporal Arthur Noyer, et pour l’agression sexuelle d’une petite-cousine — est devenu père il y a deux mois. La mère de l’enfant n’est pas la première compagne que le tueur a rencontrée en prison : on lui connaît au moins deux relations précédentes.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce phénomène n’est pas rare, surtout dans les affaires médiatisées. Charles Manson, Ted Bundy, Anders Breivik, Marc Dutroux, Guy Georges… Tous ont en commun d’avoir reçu des milliers de lettres de femmes, de colis, de cadeaux. Michèle Agrapart-Delmas, experte criminelle judiciaire et autrice du livre « Femmes fatales : les Criminelles approchées par un expert » (Éditions Max Milo, 2023), se souvient aussi du cas Louis Poirson.

Attrait pour « le sentiment de toute-puissance »

D’abord emprisonné pour des viols, il a noué une relation épistolaire avec une mère de famille mariée. « C’est d’abord sa fille qui a commencé à lui écrire. Puis elle a pris le relais quand le fiancé de la première lui a demandé de cesser ses échanges », retrace celle qui a longuement expertisé Louis Poirson pour la justice. À sa libération, la mère de famille a quitté son mari pour le criminel. Elle ne savait alors pas qu’il deviendrait meurtrier en plus d’être violeur.

Plusieurs mécanismes peuvent expliquer cette attirance. Ces femmes — si le phénomène n’est pas intrinsèquement genré, aucun de nos interlocuteurs n’avait connaissance de cas d’homme hybristophile — sont attirées « par le sentiment de toute-puissance qui se dégage de ces hommes, une image de mâle absolu qui n’a peur de rien. Un peu comme, à l’époque, les guerriers, sauf que là… ce ne sont plus des guerriers », souligne Emma Oliveira, experte en psychocriminologie.

Elles imaginent aussi pouvoir sauver le criminel, l’encourager sur le chemin de la rédemption, décrypte Michèle Agrapart-Delmas. « C’est une idée paradoxale d’attirance vers le mal pour le transformer en bien », précise Daniel Zagury, expert psychiatre près la cour d’appel de Paris. « Ça a un côté très narcissique », analyse de son côté Aurore Malet-Karas, docteure en neurosciences et sexologue. Les personnes vont être attirées par un violeur, un tueur, et croire en leur capacité d’être l’unique individu en mesure de les remettre dans le droit chemin. « Elles ne veulent pas se faire tuer, confirme Emma Oliveira, ni même être complices : elles pensent que si le criminel est avec elles, il ne récidivera plus. » Une attirance qui « s’accompagne d’un mécanisme de déni très fort. Le crime est complètement occulté ou alors on va se persuader que la personne est innocente », renchérit Aurore Malet-Karas.

Le cas de Monique Olivier

À l’inverse, certaines personnes peuvent aussi ressentir « une sorte d’identification négative à des gens pervers », poursuit Michèle Agrapart-Delmas. Il y a « une attirance pour le mal. Les pulsions négatives ou agressives qu’elles ressentent, elles les retrouvent chez ces hommes qu’elles pensent être des gens comme elles », précise-t-elle. Une explication qui n’est pas sans rappeler le cas de Monique Olivier. Bien avant de devenir sa complice, elle tombe sous le charme de Michel Fourniret alors qu’il est emprisonné pour des agressions sexuelles. Les échanges épistolaires réguliers conduisent à un pacte criminel. En échange du meurtre de son ex-mari (qui n’a pas été commis), elle lui promet de l’aider à enlever des jeunes filles. Le couple passe à l’acte deux mois seulement après la sortie de prison de Michel Fourniret, avec l’enlèvement, le viol et le meurtre d’Isabelle Laville.

S’ajoute aussi « la volonté d’être dans la lumière, la recherche de notoriété, peu importe son origine », poursuit Daniel Zagury. L’envie de vivre une histoire exceptionnelle, au sens premier du terme. Une nouvelle théorie, s’appuyant sur la biologie et l’ethnologie, est en vogue outre-Atlantique : « Les criminels auraient des traits physiques ou psychologiques qui s’apparentent au haut de l’échelle sociale, développe Aurore Malet-Karas. Or, les êtres vivants veulent aller vers le partenaire sexuel le plus haut dans la hiérarchie… » Ce qui expliquerait ces attirances insensées.

De manière générale, les femmes hybristophiles « ne sont pas particulièrement équilibrées, souvent fragiles », avance Daniel Zagury. Emma Oliveira dépeint des personnes « la plupart du temps isolées et qui ont des difficultés à nouer des relations saines. Il peut, aussi, y avoir des traumatismes dans l’enfance qui ont entraîné un rapport à l’autre masculin défaillant ».

Le Parisien - le 14 janvier 2024

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