BLOCAGES Après la mort de leurs collègues, les surveillants pénitentiaires tentent à nouveau de faire entendre leurs nombreuses inquiétudes
Colère pénitentiaire
— framafad paca corse (@WaechterJp) May 20, 2024
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• CHARLOTTE D’ORNELLAS
Mercredi 15 mai, la députée Renaissance Caroline Abadie annonçait une « mission flash » relative aux transfèrements pénitentiaires. La veille, Arnaud Garcia et Fabrice Moello étaient abattus – et trois de leurs collègues blessés – par un commando venu libérer le détenu multicondamné Mohamed Amra. Les députés devraient formuler des propositions d’ici à un mois. De leur côté, les surveillants pénitentiaires ont immédiatement réclamé des recours plus réguliers à la visioconférence entre magistrats et détenus, ainsi qu’une sécurité renforcée de leurs trajets. « Des types avec le profil délinquant de Mohamed Amra, il y en a plein nos prisons, entame un surveillant. Cela peut recommencer. » Le secrétaire général du syndicat UFAP-UNSa-Justice, Wilfried Fonck, est d’accord. Mais il « essaie de décorréler les choses. Il y a ce drame, mais il y a également une prison malade depuis 30 ans ! Il ne faudrait pas qu’on se focalise sur les transfèrements au détriment d’une réflexion plus globale ». La preuve, son syndicat avait envoyé un courrier alarmant à tous les parlementaires début avril, resté sans réponse. Au micro de Sud Radio, le secrétaire général adjoint du syndicat FO-Justice Yoan Karar ne dit pas autre chose : « Au travers de cet événement dramatique, on veut passer un message : depuis des années, nous sommes dans une clochardisation de notre profession. » Déjà, en 2018, les surveillants avaient bloqué les entrées de leurs prisons pendant douze jours… Après une agression « de trop ». Depuis, les chiffres insistent : 4 911 violences physiques sur agents en 2022. Treize par jour. « Le terrain s’inquiète pour sa sécurité, notre administration reste parfois bien angélique et semble plus attachée à défendre les droits des détenus », se désole un surveillant désabusé. « Il y a eu quelques revirements plus sécuritaires depuis les attentats, par à-coups, sans vision. » Il y a le manque de moyens, celui des ressources humaines – « en Île-de-France, 800 postes sont vacants » ; « On veut sévir, construire des prisons, et c’est compréhensible. Mais qui va s’en occuper ? » –, les heures supplémentaires non payées, la fatigue… Il y a aussi la bureaucratisation excessive : « Quand on fouille un retour de parloir, il faut motiver la décision dans un logiciel par exemple. » Mais c’est la « surpopulation carcérale » qui revient sans cesse. Un jeune surveillant résume : « Cette surpopulation a fait perdre tout son sens à notre métier. Or nous ne sommes pas cher payés alors si la vocation s’éteint, qu’est-ce qui nous reste ? » Les derniers chiffres du ministère datent de février : 76 258 personnes incarcérées, 61 737 places de prison opérationnelles. Soit une densité carcérale de 123,5 %, qui pèse sur les maisons d’arrêts où s’entassent les détentions provisoires et les courtes peines. Soit l’essentiel de nos prisons. À la légitime question de la dignité élémentaire due aux prisonniers, s’ajoute celle des conséquences d’une telle situation. « Le cœur de notre savoir-faire est la relation avec le prisonnier, entame Wilfried Fonck. Elle est la première à en pâtir. » Un autre renchérit : « Ce lien est aussi un levier dans la gestion d’une prison. Et cela augmente les tensions, donc la violence. » Tout devient rapport de force entre prisonniers. « Certains se retrouvent à faire les “mules” en récupérant des paquets au parloir pour le compte d’un plus costaud ; à cacher le portable d’un voisin de cellule, ce qui rend la traçabilité impossible pour nous », poursuit un autre. Le cercle vicieux se referme et on finit par acheter la paix sociale. « Et là, c’est notre autorité qui s’effondre. Et notre métier n’a plus aucun sens », conclut l’agent.
C’est par ailleurs dans cette brèche que se glisse la tentation de la corruption. Inutile d’ajouter que l’accompagnement des prisonniers méritants vers leur réinsertion ne trouve plus sa place dans de tels emplois du temps : « Certains prisonniers ressortent pire encore qu’ils ne sont entrés, et toute la société le paie. » Ces agents ont le cœur lourd de répéter « la même chose » sans changements. Au lendemain de la mort tragique de leurs collègues, la colère finit par l’emporter sur la tristesse. Et Wilfried Fonck conclut : « Tout cela a un coût, mais nos vies n’ont pas de prix. »
Arnaud Garcia.
« Des Mohamed Amra, il y en a plein nos prisons »
Le JDD - le 19 mai 2024