Ces visiteurs de l'ombre, essentiels en prison

Les visiteurs de prison proposent une écoute, ouverte et sans jugement, aux hommes et femmes écroués. Leur association tient son congrès national, samedi à Rennes.


1500

C'est le nombre de membres de l'ANVP, à l'échelle nationale. L'association est présente dans presque tous les établissements pénitentiaires, en métropole comme en outre-mer

Sur la réinsertion, « la France est en retard »

Un regard, une voix, quelques minutes de discussion. Marie-Thérèse Pepion, visiteuse de prison, offre aux femmes détenues la possibilité d’un échange avec l'extérieur. Certaines des femmes incarcérées au centre pénitentiaire de Rennes (Ille-et-Vilaine) ne reçoivent aucune visite de leur famille. « Elles me racontent ce qu'elles vivent en prison : leur travail aux ateliers ou leurs relations avec les autres filles. C'est important que ces femmes gardent un lien avec la réalité de ce qui se passe dehors.

On parle un peu de l'actualité aussi. »

Pour ces détenues condamnées à de longues peines, le risque de désocialisation est très Important. Le motif de l'incarcération n'est jamais évoqué, lors des visites. « Sauf si c'est la détenue qui ressent le besoin d’en parler, alors on écoute, c'est tout, résume Marie-Thérèse. Mais on leur dit dès le départ : nous ne sommes pas là pour parler de leur affaire ou pour les juger. Nos échanges sont confidentiels. Et ça les rassure de le savoir. »

« Ça n'arrive pas qu'aux autres »

Certaines sont dans le déni de ce qu'elles ont commis, pendant longtemps. « C'est seulement lorsqu'elles acceptent leur condamnation qu'elles peuvent se saisir de leur peine, pour en faire quelque chose, expose Marie-Thérèse Pepion. Mais toutes ou presque parlent des victimes. Elles ne se sentent pas bien vis-à-vis d'elles. »


La première fois que cette bénévole a passé les murs de la prison, elle avait 43 ans. Parce que « ça n’arrive pas qu'aux autres », elle n'a pas fermé les yeux sur cet univers, que certains se refusent à voir.« Un accident, une soirée trop arrosée et ce sont des vies qui basculent », dit-elle. Son intérêt remonte à plus loin, en réalité.


« Quand j'étais étudiante en BTS, je passais devant cette prison pour me rendre au lycée. Je ne me demandais pas ce qu'elles avaient fait pour être ici. Je me disais : que le temps doit leur sembler long ! »


Retraitée de la fonction publique, elle a voulu mettre son temps et son écoute au service de ces personnes privées de liberté. Elle a porté une candidature au sein de l’établissement. A été reçue en entretien. A accepté une petite enquête policière. Et a reçu son agrément : l'Administration pénitentiaire l'autorise, en 2000, à entrer dans la prison des femmes, sans avoir besoin de permis de visite.


Désignée par le Spip (Service pénitentiaire d'insertion et de probation), la première femme qu'elle visite avait quitté l'école très tôt. « Nous n’avions pas le même langage et il a fallu que je m'adapte. Je l'ai rencontrée pendant douze ans, une fois par semaine. Je l'ai fait jusqu'à sa sortie de prison. » Les rencontres se passent dans la salle des parloirs.

« Heureuse, comme une enfant »

Avec une autre. il est d'abord question de nourriture, uniquement. « Nos échanges duraient dix minutes. Elle voulait savoir ce que je mangeais et me disait ce qu'il y avait au menu de l'établissement. Et puis un jour où elle a eu une permission de sortie, elle a donné mon nom et je l’ai accompagnée dehors. Nous sommes restées dans un café et elle m’a dit qu'elle n'avait jamais vu la mer, à 52 ans. » La fois suivante, Marie-Thérèse la conduit à Cancale. « Elle était heureuse, comme une enfant. J'aurais au moins permis ça...»

« Des moments extraordinaires •

Les relations nouées avec ces femmes reposent sur une distance nécessaire. « Je les vouvoie. C’est une marque de respect. » Parfois, le lien va plus loin.« J'ai visité une femme qui a souffert d'un cancer. Lorsqu'elle a été admise en soins palliatifs, je l'ai suivie. Cette femme était tellement positive ! Nous avons vécu des moments extraordinaires. »

Marie-Thérèse Pepion a été la présidente de l'Association nationale des visiteurs des personnes sous main de Justice (ANVP). Les membres de cette association, tous bénévoles, mettent en commun leur expérience, régulièrement.

Grâce à eux, à la parole libre et neutre qu'ils autorisent, et à la relation de confiance qu'ils nouent, l’association contribue à la réinsertion des personnes. « Ce n'est pas du bla-bla. On rencontre parfois des personnes qui ne disent rien et puis, un jour, elles s'autorisent à parler. Il est question de la mort et de la fin de vie, du regard des autres et du quotidien collectif. Des sujets lourds. Des sujets propices aussi à la réflexion. »

Angélique CLÉRET

Samedi 25 mal, congrès annuel biannuel de l'association ANVP, à Rennes. à la Maison des associations.

Assemblée générale le 24 mai.


Trois questions à...

Didier Bazin, président de la section des Côtes-d'Armor de l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), est également référent inter-régional de l'association pour la Bretagne, la Normandie et les Pays de la Loire. C'est lui qui chapeaute l'organisation du congrès national de l’ANVP, samedi à Rennes (Ille-et-Vilaine).


Pourquoi avoir choisi la sortie et l'insertion professionnelle des détenus comme thème pour le congrès national de votre association ?

On a choisi ce thème car il revient sans cesse dans les échanges entre détenus et visiteurs de prison. L'objectif est double : améliorer notre présence auprès des détenus en la rendant plus efficace pour les aider à préparer leur sortie, et valoriser les dynamiques qui existent sur ce sujet en faisant en sorte qu'elles se démultiplient partout en France. Nous attendons environ 150 visiteurs de prison, sur les 1 500 que compte l'association.

Comment va se dérouler cette journée ?

Elle va s'articuler autour de deux grandes tables rondes, sur la sortie le matin et l'insertion professionnelle l'après-midi. Nous aurons des temps d'échange avec le président de la Région Bretagne, Loig Chesnais-Girani, la directrice de la prison des femmes de Rennes, le directeur fonctionnel du Service pénitentiaire d'insertion et de probation d'Ille-et-Vilaine...

Plusieurs dynamiques institutionnelles et associatives positives seront mises en avant. Le juge d’application des peines de l'Orne, qui n'hésite pas à accorder des permissions de sortie à des longues peines, viendra expliquer son approche.

Comment jugez-vous la réinsertion des détenus en France aujourd'hui ?

La France est en retard. On se rapproche des 60 % de taux de récidive, quatre ou cinq ans après la première condamnation, ça interroge sur l'incarcération et l'échec de la sortie. C'est à la justice de voir la réalité en face et les conséquences de l'incarcération à outrance. Moins on incarcère, moins le problème de la réinsertion se pose.

Le milieu associatif se met au service de l'administration, mais c’est indéniablement collectivement qu’on doit avancer. Une sortie réussie, c’est quand un détenu ne revient pas.

Recueillis par Cédric ROGER-VASSEUN

OUEST-FRANCE, le 22 mai 2024


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