Les JO, un tremplin pour le sport en détention

Dans l’établissement pénitentiaire de Paris -La Santé, un programme a été lancé pour initier les détenus aux disciplines olympiques. Mais l’opération souligne aussi, en creux, les carences du parc pénitentiaire en matière d’accès au sport, dont les biens pour l’équilibre et la réinsertion sont pourtant certains.


philippe brault/vu

Entre les murs de la maison d’arrêt de Paris -La Santé, il faut passer les portes sécurisées du pôle d’insertion et de prévention de la récidive pour assister à une séance de sport pas comme les autres. Dans le gymnase rénové de la prison bâtie en 1867, une vingtaine de détenus s’applique à respecter les consignes de Fatia Benmessahel . Le temps d’une matinée, la boxeuse de 24 ans – médaillée sur la scène internationale – a mis entre parenthèses sa préparation pour les Jeux olympiques de Paris 2024. « Tac, c’est parti ! » Vêtue du survêtement de l’équipe de France, elle ne laisse pas le rythme retomber. « Dans la vie, y a rien sans rien les gars. Il faut se donner les moyens d’y arriver », motive celle qui découvre l’univers carcéral.


Le ring vient d’être monté : les combats peuvent débuter. Le groupe se précipite sur les gants disposés sur le sol du gymnase. Le plus malin est parvenu à récupérer ceux, aux couleurs tricolores, prêtés par la championne. C’est Samir, qui fait figure d’ancien à 41 ans. Les gouailleries fusent : « Qui va dormir dans le lit du bas ? », lance un spectateur à deux codétenus qui s’affrontent. Sur le ring, c’est aussi à celui qui honorera le mieux son étage de détention. Mais l’important est ailleurs : « C’est surtout l’occasion de se défouler, confie Samir. Le sport, c’est un exutoire en prison. »


L’activité du jour s’inscrit dans un plan d’action de l’administration pénitentiaire. Depuis novembre 2023 et jusqu’au début des Jeux, un athlète olympique vient chaque mois, à La Santé, faire découvrir sa discipline. Fatia Benmessahel est la sixième à se plier à l’exercice. « Ce programme s’appuie sur les valeurs olympiques et paralympiques, explique Atena Lasbleiz, directrice des partenariats au Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Paris . Le but est aussi de leur montrer qu’on peut y arriver malgré des échecs, à travers douze parcours d’athlètes desquels s’inspirer. » La trajectoire de Fatia Benmessahel a de quoi forcer le respect : « J’ai grandi dans une famille qui ne voulait pas que les filles fassent de la boxe et j’ai étudié dans un des pires collèges de France dans le 93. J’ai forcé et j’y suis arrivée. » Cette matinée reprend un autre objectif de l’administration pénitentiaire : « Nous voulons créer un héritage des JO en prison », martèle Atena Lasbleiz. Mais si l’initiative permet à une poignée de détenus venus des différents étages de la maison d’arrêt de créer des liens, que restera-t-il de ce programme une fois l’effervescence des Jeux passée ?


Dans les prisons françaises, l’accès à la pratique sportive est devenu compliqué. « L’état actuel de suroccupation carcérale rend l’idée même d’aller à la salle de sport quasiment impensable », déplore Juliette Chapelle , présidente de l’Association pour la défense des droits des détenus (A3D). Avec 77 450 détenus, au 1er avril 2024 – un record –, pour 61 570 places, « la surpopulation affecte l’accès aux activités qui est déjà très très limité », assure Johann Bihr , membre de l’ Observatoire international des prisons (OIP). Un rapport de l’OIP, datant de 2022, complète l’état des lieux : « Le sport est l’activité la plus prisée par les détenus. La majorité d’entre eux ont accès aux installations sportives entre une à trois heures par semaine. Une offre insuffisante au regard des listes d’attente observées. »


À la prison de Paris -La Santé, sur les 1 000 personnes détenues, 700 sont inscrites aux activités sportives proposées au gymnase. « Parmi tous les inscrits, nous ne pouvons en recevoir que 300 par semaine, détaille Younès, moniteur de sport – surveillant spécialisé – affecté au gymnase. Chaque étage de la maison d’arrêt a son créneau, on essaye de faire des rotations sur deux semaines. » Le moniteur, en première ligne, constate les bienfaits de la pratique sportive : « C’est une bouffée d’oxygène pour eux, cela leur permet d’oublier les tracas de la détention. »


À défaut de pouvoir leur offrir une séance hebdomadaire, Younès œuvre à sa manière sur la réinsertion des détenus : « Pour toute activité, on met en place un règlement qu’ils doivent apprendre à respecter. C’est pareil pour la loi quand ils sortent de prison. » Ainsi, le temps de détention doit désormais être utile et pas seulement punitif. Un coordinateur sportif de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris confirme ce changement d’intention : « Avant, le sport était occupationnel. Maintenant, on essaye d’y mettre du sens. »


Cette avancée n’est pas suffisante, selon l’A3D : « Cela reste une initiative prise localement. Il n’y a pas de pratiques unifiées entre les établissements. Cela va dépendre des budgets et du bon vouloir des directeurs de prison », déplore Juliette Chapelle . À La Santé, Younès estime « être bien loti » avec des enveloppes qui permettent de renouveler régulièrement le matériel comme les paniers de basket ou les machines de musculation. En treize ans passés dans la pénitentiaire, le surveillant a vu des progrès sur les moyens alloués à l’activité sportive. Mais la situation diffère à l’échelle nationale. Habituée des visites en prison, Juliette Chapelle insiste : « On a des retours de détenus qui nous disent que l’état du matériel est déplorable. »


Pourtant, les budgets du ministère de la justice ont considérablement augmenté ces dernières années. Entre 2017 et 2027, l’enveloppe budgétaire a bénéficié d’une hausse de 60 %, d’après la chancellerie. Mais l’administration pénitentiaire a vu son budget quasiment inchangé et les rares augmentations ont servi à rénover et accroître le parc pénitentiaire.


Si le contexte olympique permet d’introduire une dose de sport supplémentaire dans le quotidien des détenus, Younès s’interroge sur « l’effet JO » : « Est-ce que ça va durer ? J’ai peur que ça s’estompe avec le temps », craint-il. Restent aussi à bousculer les pratiques et les mentalités pour que le sport ne soit plus relégué en prison : « Trop souvent, les détenus doivent choisir entre l’activité sportive et les obligations telles que le parloir, regrette la présidente de l’A3D. C’est un choix qu’ils ne devraient pas avoir à faire. »


Alors que le cours de boxe avec Fatia Benmessahel s’est terminé plus tôt que prévu, Younès et ses collègues décident d’accorder un rab aux détenus avant qu’ils remontent en cellule. Une partie de football est improvisée. L’un des détenus n’a pas la chance d’y participer, un surveillant pénitentiaire vient le récupérer pour l’accompagner jusqu’au parloir. Dépité, il lâche juste avant de pousser la porte du gymnase : « Vous me gâchez mon seul plaisir de la semaine. »

Hugo Forquès

LA CROIX - le 30 MAI 2024

PLAN DU SITE - © la FRAMAFAD PACA & CORSE- 2024 - Pour nous joindre