"En fin de journée, il y a une prise de conscience"

Lionel Boulat travaille à la fondation du camp des Milles depuis son ouverture en 2012. Aujourd’hui, il encadre les stages de citoyenneté et nous en dit plus sur leurs répercussions.


• L.G.

Dans quel état d’esprit arrivent-ils ?

La force du lieu permet de s’appuyer sur l’Histoire pour faire le pas de côté, de renvoyer les personnes au poids de l’Histoire, tout ce qui va mettre en danger le vivre-ensemble et donc, par effet miroir les mettre face à leurs attitudes. Souvent tous arrivent le matin en disant ’Ce n’est pas moi qui devrais être là mais mon voisin’. Dans le conflit, ils considèrent que ce n’est pas de leur faute. Ils sont dans la déresponsabilisation. Pendant le stage, on travaille sur cette responsabilité qui nous incombe à tous. On travaille beaucoup sur les éléments psycho-sociaux, les mécaniques de groupe qui peuvent nous conduire à certains actes. Selon notre manière d’interagir, selon ce qui va nous commander, plus souvent d’autres instincts que notre tête, on peut prendre un chemin plutôt qu’un autre. Progressivement, ils remettent les choses à leur place. On revient sur ce qui fait sens. Au camp des Milles, des contre-valeurs se mettent en œuvre, on en voit concrètement les résultats. Le pire étant dans les discriminations, des combats qui vous emmènent à la mort. L’éducation aux valeurs républicaines se fait par l’exemple des anti-valeurs, comme celles de Vichy. Ils réalisent… Une insulte n’est pas juste une insulte…

Comment repartent-ils ?

Transformés. Après six stages d’expérimentation avec le tribunal de Marseille, je les vois se transformer. Il y a une forme de solidarité entre les stagiaires qui se développe. En fin de journée, dans tous les cas, il y a une prise de conscience : ’Je suis venu à reculons mais j’en repars gagnant’. Ils me posent toujours la question s’ils peuvent revenir avec leur famille. Là on se rend compte qu’on a regagné du terrain sur les vraies valeurs, là où parfois on en avait perdu.

Une différence avec une visite normale ?

C’est une visite dans une approche participative. On s’adapte à chaque dynamique de groupe. On n’est pas dans le jugement, mais dans un questionnement. L’Histoire permet de comprendre les mécanismes micro grâce à l’échelle macro.

Tribunal judiciaire

À Aix-en-Provence, l’activité est forte. Les magistrats du siège avaient condamné plus de 4 000 personnes en 2022 et avaient prononcé 1 363 années d’emprisonnement. Dans son ressort, le tribunal couvre 62 communes (sur les 119 du département) et compte 755 000 habitants.

Camp des Milles

Dans ce bâtiment de l’ancienne tuilerie, plus de 10 000 personnes ont été internées entre 1939 et 1942. Parmi eux, plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs ont été déportés depuis le camp des Milles vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Avant même l’occupation de la zone dite libre, ils avaient été livrés aux Nazis par le gouvernement de Vichy. Le site mémorial est aujourd’hui un lieu de mémoire aux actions éducatives et culturelles. Plus de 100 000 visiteurs dont 65 000 jeunes le visitent chaque année. Une fréquentation en constante progression depuis la fin du Covid.

La Provence - le 26 janvier 2024

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