Michelle Perrot, pionnière du féminisme, est également historienne des prisons. Elle estime que si les détenues sont moins nombreuses, la réprobation est plus forte à leur encontre.
« Les femmes détenues sont vite abandonnées »
— framafad paca corse (@WaechterJp) March 8, 2024
Michelle Perrot, pionnière du féminisme, est également historienne des prisons. Elle estime que si les détenues sont moins nombreuses, la réprobation est plus forte à leur encontre. @OuestFrance pic.twitter.com/rTQp9Ez0mt
Entretien
Quel chemin vous a mené à l’étude du crime et de la prison ?
À compter des années 1970, la réflexion s'est portée davantage sur des individus et groupes se trouvant aux marges de la société. C'est une conséquence des événements de Mai 68 et de la critique des institutions. La question pénitentiaire s'invite dans le débat, en lien avec un mouvement de révolte venu des prisons.
Celui-ci avait d'abord marqué les États-Unis. Avec les mutineries de 1971 puis de l'été 1974, les Français découvrent à leur tour la parole des détenus. Et en 1975, paraît Surveiller et punir de Michel Foucault, qui a été déterminant pour moi. Un ouvrage de référence, indispensable pour penser les relations de pouvoir.
Les femmes sont minoritaires en prison. Sont-elles moins violentes que les hommes ?
« Ce sont les femmes qui vont voir les hommes, en prison. Les femmes détenues, elles, sont rapidement abandonnées. Comme si on pardonnait plus facilement les crimes masculins », s'interroge Michelle Perrot. Et si c'était parce qu'encore une fois les femmes offraient plus d'humanité au monde que nous les hommes ? C'est juste une question.
Stéphane BRIZÉ.
Elles n'ont jamais représenté plus de 4% des prisonniers depuis 1980. ll y à une différence des sexes qu'il est difficile d'expliquer. Non pas que les hommes soient forcément plus violents que les femmes. Mais aux yeux du grand public, les femmes sont douces et incapables de faire du mal. La violence serait une sorte d'exaltation de la virilité. Ces stéréotypes ont la vie dure. Mais cela tient aussi aux rôles historiques, où les femmes sont davantage assignées à la maternité et à l'espace domestique. Longtemps, l'espace public était un monde d'hommes. Or, la police, comme
la justice, intervient quand le trouble à l'ordre public est menacé ou atteint. Donc les femmes sont moins incarcérées.….
La prison serait donc un miroir grossissant, lié à la représentation sociétale de la violence des femmes ?
La femme y est renvoyée à son rôle social, c'est-à-dire à ce qu'on attend du rôle d'une femme. La maternité est une donnée signifiante. Les juges pourront se montrer plus indulgents, pour punir une femme qui est mère et doit tenir ce rôle. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, on les punit moins sévèrement.
Dans l'imaginaire collectif, la violence féminine renvoie à des affaires d’empoisonneuses.…
Dans l'imaginaire fantasmé, la femme criminelle commet un crime caché, dissimulé. Pensons à Violette Nozière, une jeune femme de 18 ans, accusée d'avoir assassiné son père en l'empoisonnant. Cette affaire défraya la chronique des années 1930. En 1927, l'écrivain François Mauriac publie Thérèse Desqueyroux, inspiré d'une histoire réelle, celle d'une femme qui a tenté d'empoisonner son mari. Mais ce n'est pas en lien avec la réalité des chiffres du crime. Statistiquement, la violence est celle des
hommes sur les femmes.
Une différenciation est-elle à l’œuvre dans le traitement carcéral ?
Les femmes ne sont pas automatiquement affectées à des établissements pénitentiaires leur étant réservés. La France ne compte que deux établissements pour femmes, le centre pénitentiaire de Rennes et la maison d'arrêt de Versailles. J'ai aussi connu la prison Saint-Lazare, à Paris, qui accueillait uniquement des femmes : lors de mes études au Cours Bossuet, rue de Chabrol, je voyais, depuis le jardin, ces femmes détenues qui marchaient en rond autour des religieuses. De manière générale, la prison est moins dure pour les femmes incarcérées. Je m'explique : il y a moins de problèmes d'espace, il y a moins de révoltes. Moins de difficultés liées à la surpopulation carcérale, évidemment. Le régime disciplinaire, y est par conséquent, différent.
Rien à voir avec le genre, ici ?
Ah si ! Dans les prisons masculines, les gardiens étaient des militaires retraités. Dans les prisons pour femmes, c'était des sœurs. Même dans un État laïc, on a longtemps pensé que la religion avait un effet positif auprès des détenues. Si elles sont pieuses, on pourra les « récupérer ».
Repères
1928. Naissance à Paris, de parents ayant monté un commerce de négociants en cuir.
1934. Élève au Cours Bossuet, rue de Chabrol (externat privé tenu par les religieuses de la retraite chrétienne) à Paris, jusqu'en 1946. Elle découvre Bergson mais aussi Simone Weil.
1951. Agrégée d'histoire, elle est nommée au lycée de jeunes filles de Caen (Calvados), où elle se lie d'amitié avec deux autres enseignantes : la philosophe et historienne Mona Ozouf et la future biologiste Nicole Le Douarin.
1986. Séminaire avec Robert Badinter pour prolonger la réflexion de Michel Foucault. Il se tient jusqu’en 1992 à l'École des hautes études en sciences sociales, avec pour thème la prison républicaine.
2023. Le temps des féminismes, avec Eduardo Castillo (Grasset) ; Punir et Comprendre, avec Frédéric Chauvaud (Presses universitaires de Rennes).
2024. Publie S'engager en historienne
(CNRS éditions).
On attachait beaucoup d’importance à la morale. Aujourd'hui, on observe toujours un traitement différencié : l'accent est mis sur le sport dans les prisons masculines, et sur l'esthétique, le corps, le bien-être, pour les femmes. La performance, d'un côté. La beauté, de l'autre. On à du mal à sortir de ces représentations normées des hommes et des femmes. En même temps, on ne va pas se plaindre qu'il y ait du sport en prison...
On observe une autre difficulté : la solitude des femmes détenues.
Ce sont les femmes qui vont voir les hommes, en prison. Les femmes détenues, elles, sont rapidement abandonnées. Comme si on pardonnait plus facilement les crimes masculins. Le crime serait contraire à la nature des femmes, ainsi pense-t-on, et il y a une réprobation beaucoup plus forte à leur égard...
Quelles relations entretiennent-elles, entre elles ?
Il y a une plus grande tolérance, dans les établissements pénitentiaires, aux relations amoureuses et sexuelles des femmes entre elles. Faut-il rappeler qu'il y a quarante ans, l'homosexualité était rejetée par l’opinion populaire ? Dès que les hommes entretenaient entre eux une relation de proximité, même amicale, la suspicion naissait, c'était mal vu (1). L’idée est que la nature féminine est moins perverse, alors c'est mieux toléré.
Vous avez travaillé aux côtés de l’ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, mort le 9 février. Que retenez-vous de lui ?
C'est un homme des Lumières. Et un juriste précis. Il est à la fois théoricien et homme de terrain. Nous lui devons la fermeture des quartiers de haute sécurité (QHS), l'autorisation de la télévision dans les cellules des détenus. Et le centre de détention semi-ouvert de Mauzac en Dordogne, construit et aménagé à son initiative au milieu des années 1980. Les détenus possèdent la clé de leur propre cellule. Cette prison est unique en son genre.
Propos recueillis par
Angélique CLÉRET.
- En 1982, la gauche mitterrandienne met fin à la discrimination pénale visant les homosexuels (Loi Forni).
Dimanche Ouest-France, le 8 mars 2024