La prison hors les murs, une spécialité française à l’efficacité contestée

Un rapport du Conseil de l’Europe place notre pays parmi les plus actifs en matière de probation. Mais les professionnels estiment la qualité du suivi perfectible.


• Jean-Marc Leclerc

Obligation de travailler ou de suivre une formation, de résider à un endroit précis, de se soumettre à des contrôles réguliers, à une injonction thérapeutique… La France figure parmi les pays champions des mesures alternatives à l’incarcération. Au même niveau que la Grande-Bretagne. Elle affiche un « taux de probation » de 283 mesures édictées l’an dernier pour 100 000 habitants contre 284 pour nos voisins britanniques. C’est quasiment le double de la moyenne calculée pour l’ensemble des pays étudiés par le Conseil de l’Europe, dans une étude qui vient de paraître.

Rappelons que le Conseil de l’Europe se définit comme « la principale organisation de défense des droits de l’homme en Europe ». Elle a édité une première étude, le 6 juin, sur les faiblesses du système carcéral français, notamment le sous-dimensionnement du parc pénitentiaire. Que la France, dans ces conditions, s’illustre par une suractivité en matière de probation, que l’on appelle aussi « prison hors les murs », n’a rien d’illogique.

Des équipes débordées

La nouvelle enquête analyse « des données sur les personnes placées sous la surveillance de 41 services de probation des États membres du Conseil de l’Europe, qui font l’objet de différentes sanctions ou mesures en milieu ouvert, notamment des alternatives à la détention telles que la surveillance électronique, les travaux d’intérêt général, l’assignation à résidence, les traitements, la semi-liberté et la libération conditionnelle ». On y apprend que, dans l’espace étudié, « au 31 janvier 2023, 1 330 838 personnes étaient placées sous surveillance de trente services de probation qui ont communiqué ces données ». Ce qui fait un taux médian de probation de 164 personnes pour 100 000 habitants.

En tête de ce palmarès, devant l’Angleterre et la France, le Conseil de l’Europe place la Pologne (636 personnes en probation pour 100 000 habitants), la Turquie (434), la République moldave (320) et la Lettonie (290). Le professeur Marcelo Aebi, chef de l’équipe de recherche de l’université de Lausanne, qui a réalisé cette étude pour le Conseil de l’Europe, déclare : « Dans certains pays où les taux d’incarcération et de probation sont élevés, les sanctions appliquées dans la communauté ne semblent pas toujours être utilisées comme des alternatives à la prison, mais plutôt comme des mesures supplémentaires, alors que dans d’autres pays ces sanctions sont encore rarement utilisées. »

Un chef de parquet chevronné réagit spontanément : « Tous ces chiffres le prouvent, les juges français recourent beaucoup à la probation, ce qui correspond à ce que je vois se mettre en place, après trente ans de carrière dans de nombreux tribunaux. Le nombre de probationnaires suivis par agent est encore élevé, malgré les renforts de ces dernières années. Ce qui a évidemment des conséquences sur la qualité de la prise en charge. Reste à savoir ce qu’il en est de l’efficacité de la probation par pays sur la récidive, mais la note du Conseil de l’Europe ne le dit pas. »

Un avocat pénaliste du Sud-Ouest renchérit : « Le vrai problème n’est pas celui de la quantité de mesures annoncées, mais bien celui de la qualité du suivi. » S’il concède que la probation s’est beaucoup développée - « Aujourd’hui, le greffier vous remet, le jour même de l’audience de jugement, la première date de convocation de votre client devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), alors que cela pouvait prendre six mois à un an autrefois » -, il estime également que les équipes des Spip sont débordées et peuvent commettre des erreurs.

Un conseiller d’insertion et de probation gère largement plus de 100 dossiers, alors que l’objectif, sous Christiane Taubira, qui avait lancé une vaste politique de recrutement, était de réduire ce nombre à 60 dossiers. « On est loin du compte, car, même renforcés, les Spip ont reçu de nouvelles missions, comme les enquêtes sociales rapides, en cas de comparution immédiate ou de placement en détention provisoire, ou bien celles préalables à la pose des bracelets électroniques », assure ce pénaliste.

16 000 personnes sous bracelet

Un procureur de la République du centre de la France le reconnaît volontiers : « Contrairement à certains préjugés, les magistrats savent utiliser autre chose que l’emprisonnement ferme et se sont approprié la détention sous surveillance électronique » (plus de 16 000 personnes sous bracelet en France). Mais un ancien procureur général se fait plus critique : « La justice abuse du bracelet électronique, faute de places de prison en nombre suffisant. Souvenons-nous que l’un des tueurs du père Hamel en 2016 avait agi alors qu’il portait sur lui ce dispositif. »

Lui aussi considère que « le qualitatif devrait primer sur le quantitatif ». Il poursuit : « La Turquie fait encore mieux que la France dans ce palmarès, en nombre de mesures prises, mais est-ce vraiment un modèle? Le problème de la probation, c’est le contrôle : comment le rendre plus efficace. »

Un autre magistrat, en poste à Paris, le dit sans fard : « Il faut savoir ce qu’on met derrière les mots. La probation à la française repose sur un accompagnement socio-éducatif bureaucratique, fondé essentiellement sur le déclaratif des condamnés qui se déplacent dans les services d’insertion et de probation, de manière plus ou moins régulière. »

Selon lui, « les conseillers n’ont pas les moyens de vérifier l’authenticité de toutes les pièces qu’on leur présente, ni de vérifier sérieusement le respect des interdictions qui sont prononcées par la justice, laissant ce travail aux forces de sécurité intérieure, qui ne l’exercent qu’à l’occasion de contrôles dans le cadre de leur activité. »

À l’entendre, également, « dans les pays anglo-saxons, les officiers de probation appartiennent aux Law Enforcement, ils ont des pouvoirs de vérification et d’arrestation, en cas d’infraction aux obligations et interdictions, et ne sont pas seulement des travailleurs sociaux. » Faut-il s’en inspirer et mieux armer juridiquement les Spip ? Cette réforme n’a pas encore prospéré, mais, sous un autre gouvernement, le chantier pourrait être rouvert. J.-M. L.

Le Figaro - le 28 juin 2024

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