LOISIRS Les activités culturelles ou ludiques se multiplient dans les prisons et mécontentent les surveillants
PRISONS
— framafad paca corse (@WaechterJp) May 27, 2024
De curieux outils de « réinsertion »
Les activités culturelles ou ludiques se multiplient dans les prisons et mécontentent les surveillants @leJDD pic.twitter.com/FiNcEdbTZR
• GEOFFROY ANTOINE
Huit heures de bus aller-retour, le ticket d’entrée à 32 euros et un pique-nique bien garni ; la pérégrination versaillaise d’une dizaine de détenus de la prison de Toul (54) n’aura finalement pas lieu. Face au tollé, l’administration pénitentiaire a fini par réagir, assurant que le projet n’avait pas été poursuivi. Elle n’a pas contesté le principe de ces sorties mais évoqué la distance qui sépare Toul de Versailles. Surveillants et policiers ont exprimé leur satisfaction, appelant à une réflexion plus large sur ces sorties culturelles. « Sur le terrain, on essaie d’expliquer ce qui ne va pas, mais notre administration reste parfois bloquée par un logiciel idéologique dans lequel seule l’accumulation de droits pour les prisonniers compte », balaie un surveillant désabusé. Une question s’impose à ces agents en colère : l’actuelle politique de réinsertion est-elle en phase avec la réalité des prisons françaises ? « Dans un monde idéal où nos prisons ne seraient pas vétustes, où les détenus ne seraient pas quatre par cellule, où l’on serait suffisamment de gardiens, où la violence ne serait pas telle, je vous dirais : pourquoi pas ! Mais aujourd’hui ? », interroge un surveillant.
Avec 77 450 personnes incarcérées pour 61 570 places opérationnelles au 1er avril, la surpopulation atteint des records, contraignant plus de 3 000 détenus à dormir sur un matelas, à même le sol. Avec une conséquence parmi d’autres : l’impossibilité pour les surveillants de faire correctement leur métier, la montée en puissance des prisonniers les plus dangereux et l’abandon des plus méritants. Forcément, les surveillants voient d’un mauvais œil ces activités dites de « réinsertion ». Sorties au musée, promenades en forêt, activités de surf ou de vélo… ces animations existent aussi bien à l’extérieur qu’au sein même des prisons. À la maison centrale d’Arles, par exemple, Thierry Boissin pratique la médiation équine avec les détenus depuis plusieurs années.
Il l’assure vertueuse : « L’idée c’est de faire travailler un profil à risque, qui va rester un certain temps en prison, sur ses émotions, son comportement ou son rapport à autrui, c’est essentiel pour retrouver une place dans la société ! » Améliorer l’empathie d’un détenu, lui permettre d’assainir ses rapports sociaux, « y compris avec les surveillants », tel est le but recherché. Mais les résultats sont-ils toujours au rendez-vous ? « Vint-et-un ans que je fais ce métier, quinze ans que je vois défiler coachs et psychologues, et je n’ai jamais vu autant de gardiens agressés qu’aujourd’hui ! », assure David Lacroix, surveillant à la centrale de Vendin-le-Vieil et délégué syndical FO. En 2022, le ministère de la Justice a relevé 4 910 violences physiques sur agents ; et deux fois plus de violences entre détenus.
Jeudi, un détenu enfermé à Vendin-le-Vieil, condamné pour meurtre et connu pour ses tentatives d’évasion, devait se rendre au musée du Louvre-Lens dans le cadre d’une sortie culturelle validée par un juge. Problème, un seul gardien était affecté à sa surveillance. Face à la pression des surveillants, la direction a finalement annulé la visite. « Une semaine après que deux de nos collègues se sont fait descendre ! Vous imaginez l’indécence ? », s’agace David Lacroix.
Au JDD, le ministère de la Justice assure s’investir pleinement dans la politique de réinsertion, en permettant un très large choix d’activités. Mais sont-elles toutes aussi efficaces pour assurer le retour de ces prisonniers à la vie en société, objectif évidemment nécessaire dans un pays qui compte un taux de récidive qui avoisine 50 % pour les peines les plus lourdes ? Anyss, qui a purgé une peine de plusieurs mois avant de se lancer dans l’entrepreneuriat, a son idée sur le sujet : « La meilleure activité, c’est le travail ! » Lui s’est réinséré grâce à l’association Wake Up Café : « On m’a aidé à trouver un contrat, j’ai pu retrouver un cadre et un objectif de vie. » La réinsertion par le travail, un objectif que dit partager l’administration pénitentiaire. Éric Dupont-Moretti veut ainsi voir la moitié des détenus français « bénéficier d’une activité rémunérée d’ici 2027 ». Un pari que le ministère assure en bonne voie : « Il y a eu une augmentation du nombre de détenus travailleurs de plus de 7,5 % sur la période de référence juillet 2022-février 2024, en vingt mois. »
« Le travail, c’est une bonne chose. Même certaines activités en prison, sur les longues peines, sont nécessaires, et d’ailleurs consacrées par la loi. Mais il faut absolument concentrer les efforts ! Qu’on oublie ces sorties qu’une bonne partie des contribuables innocents ne peuvent même pas s’offrir et qu’on utilise leur argent pour améliorer la prison, ce dont tout le pays bénéficiera infiniment mieux », conclut un surveillant.
Les contribuables innocents sont loin de pouvoir s’offrir pareilles sorties
Le JDD - le 26 mai 2024