Le Premier ministre Michel Barnier et le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau ont exprimé leur volonté de faciliter la prolongation de la rétention des étrangers en situation irrégulière dans les centres de rétention administrative (CRA).
Pour la Cimade, le gouvernement se trompe sur les CRA. Michel Barnier et Bruno Retailleau ont exprimé leur volonté de faciliter la prolongation de la rétention des étrangers en situation irrégulière ds les CRA. https://t.co/FLwBLoThMb
— framafad paca corse (@WaechterJp) October 17, 2024
Pourquoi ce sujet revient-il sur la table ?
Cette prise de position fait suite au meurtre de Philippine, une étudiante de 19 ans retrouvée morte dans le bois de Boulogne. Le principal suspect est un Marocain, déjà condamné pour viol, faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Cependant, son expulsion n’a pas pu être exécutée en raison de l’absence d’autorisation des autorités marocaines. Après trois prolongations de rétention administrative, atteignant ainsi la limite légale de 90 jours, Taha O. a finalement été relâché par la justice française. Le gouvernement utilise ce fait-divers pour montrer à l’opinion publique que la durée maximale de rétention des personnes en situation irrégulière est actuellement trop courte pour permettre l’exécution des expulsions et prévenir des drames comme celui de Philippine. Leur ambition déclarée est donc d’augmenter le nombre d’expulsions.
Mais dans la réalité, cette stratégie fonctionne-t-elle ? Prolonger la rétention permettrait-il réellement d’augmenter les expulsions, comme le souhaite le gouvernement ?
Absolument pas ! L’expérience démontre que cette affirmation est infondée. La Cimade, présente dans huit CRA à travers la France, suit de près la situation. Sur le terrain, l’observation est claire : la grande majorité des expulsions d’étrangers en situation irrégulière se fait dans les premières semaines de rétention. Prolonger cette rétention ne permet en aucun cas de faciliter l’obtention des laissez-passer consulaires, ces documents indispensables pour renvoyer un étranger dans son pays d’origine. En outre, allonger la durée de rétention peut s’avérer dangereux, tant pour les personnes retenues que pour les associations comme la Cimade, qui leur apportent un soutien. Les CRA, véritables prisons déguisées, ne sont pas conçus pour héberger des individus sur des périodes prolongées. On y mélange des profils qui ne devraient pas cohabiter : des anciens détenus aux côtés de personnes simplement interpellées dans la rue pour absence de titre de séjour. La violence y est omniprésente, et les personnes migrantes, souvent traumatisées par leur parcours migratoire, souffrent de problèmes psychologiques qui ne sont pas pris en charge dans ces centres. En 2023, au CRA du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), des salariés de la Cimade assurant l’accompagnement juridique ont même été menacés de mort.
Dans une interview accordée au Figaro Magazine, mise en ligne le 2 octobre, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a critiqué la présence des associations dans les CRA ainsi que leur subventionnement. Il a notamment exprimé sa préférence pour que « le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l’Office français de l’immigration et de l’intégration [Ofii], et non des associations, qui sont juge et partie. » La Cimade, faisant partie des associations visées par cette déclaration, est directement concernée. Que souhaitez-vous lui répondre ?
Je tiens à rappeler que l’Office français de l’immigration et de l’intégration est un établissement public qui agit sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, tout comme les CRA. On peut véritablement parler de conflit d’intérêts lorsque l’accompagnement juridique des personnes retenues est assuré par un organisme sous la tutelle de ce même ministère. Les recours contre les obligations de quitter le territoire français sont déposés contre des décisions prises par des préfets, qui dépendent également du ministère de l’Intérieur. Si l’on souhaite préserver le bon fonctionnement de la démocratie, il est essentiel de maintenir une séparation claire des pouvoirs. Accuser les associations d’être « juge et partie » relève sans doute d’une méconnaissance. À la Cimade, nous ne sommes que des parties prenantes : nous n’avons aucun rôle décisionnaire, car ce n’est pas à nous de juger.
Propos recueillis par Alice Papin